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Etat espagnol. L’indépendance, un droit démocratique de la Catalogne

1er décembre 2012, 22:29

Salut Alain, Paco, Richard et, plus haut, Copas,

Je croyais que l’échange s’était arrêté faute de combattants mais ce n’est pas le cas et, de plus, il est vrai que ce n’était justement pas de la bagarre et qu’on a pu développer nos arguments sans se faire agresser. Ce qui ne me semblait pas gagné d’avance sur un sujet comme le "nationalisme" où je m’attendais à voir monter l’assaut des gardes rouges de l’orthodoxie marxiste. Orthodoxie qui d’ailleurs n’en serait pas une sur la question nationale où les marxistes ne se réduisent pas à la seule production (la plus pauvre) du petit père des peuples.

Au point où nous en sommes, je crois que les arguments des uns et des autres se tiennent et il faudra attendre les développements de la situation pour les requestionner.

A AC je voudrais quand même dire que le catalanisme a eu sa composante ouvrière sans que cela altère sa radicalité sociale et politique ni son internationalisme, y compris au sens des inter-nations d’une Espagne fédérale ou à nations confédérées. Pour ceux qui lisent l’espagnol je renvoie par exemple à cet article : Catalanismo y anarquismo où je relève qu’un des grands dirigeant anars de Catalogne Seguí ne voyait pas d’un mauvais oeil la revendication nationale (même si, c’est l’objet de ce texte, certains le contestent). D’autres comme Joan Peiró fréquentaient les catalanistes. Ce texte rappelle aussi que des marxistes, comme le dirigeant du POUM (qui avait une réelle implantation ouvrière en Catalogne et en Aragon) Joaquín Maurin, étaient très fortement pour l’autodétermination avec droit à l’indépendance car ils considéraient que c’était la condition pour que le peuple travailleur catalan puisse se retrouver dans une Espagne (con)fédérale avec les autres travailleurs. Et cela, pour répondre à Richard, sans subordonner le cycle de la revendication catalaniste à une sorte de convergence miraculeusement synchronisée qui amènerait toutes ou au moins plusieurs "nations" à se déclarer prêtes à se (con)fédérer. De toute façon l’une des clés de compréhension du fait national c’est que, quand il est vraiment populaire, il n’a pas tendance à attendre que la Constitution ceci, que les travailleurs d’ailleurs cela, il avance, peut faire des pauses, peut même entrer en sommeil au vu des rapports de force, mais quand il se décide à faire le saut qualitatif il vaut mieux être dedans sur des positions de classe, même minoritaires, que dehors en partisan impuissant du fédéralisme et pur spectateur de la lutte nationale. La limite c’est bien sûr que ce mouvement national ne vire pas à la xénophobie (le risque existe) et que la gauche garde un minimum d’impact et de possibilités de développer son programme national et politico-social.

La référence à la Yougoslavie, Richard en est conscient à la fin, est un mauvais exemple, voire un contre-exemple : il ne faut pas raisonner sur les nationalismes dans l’abstrait (c’est ce que fait Staline mais, rassure-toi, Richard, je ne fais aucun amalgame). Le risque du chauvinisme et du racisme est réel dans tout nationalisme (le premier nationalisme basque, celui de Sabino Arana, est raciste : l’Espagnol y est un maqueto, un métèque !). Mais justement le cas basque montre comment l’histoire se fraye son chemin contre les essentialismes ("LE basque", "LE catalan"...) : les gens de l’ETA, y compris par filiation politique les plus marxistes comme ceux de la LKI (LCR basque) ou de l’EMK (maoistes du MC) se sont détachés de ce fonds d’exclusion des autres et se sont réclamés d’un ...nationalisme internationaliste. Ce n’est pas parce que maintenant ce courant est devenu très minoritaire dans l’Etat espagnol que cela invalide, par essence, les nationalismes des dominés. Tout se joue à la croisée de l’histoire et de la politique, plus précisément celles qui ont rapport au monde du travail. Sans pouvoir préciser ce qu’il en est depuis le basculement de la dernière Dyada (fête nationale catalaniste) avec ses 1,5 millions à 2 millions de personnes dans les rues de Barcelone, je pense que la composante populaire à sensibilité de gauche radicale a accru son poids dans le catalanisme. Ce que contradictoirement les élections ne rendent pas (beaucoup de ces gens-là s’abstiennent) et rendent quand même avec l’irruption de la CUP (Candidatures d’Unité Populaire qui vient de décrocher avec 3,5% des voix 3 députés) dont certains dirigeants et élus sont des libertaires.

Je dois oublier des choses mais je voudrais dire à AC que le nationalisme catalan est un "lieu" politique à défendre contre ce qui en fait est un nationalisme de dominants qui cache son jeu, le nationalisme espagnoliste et contre aussi un ouvriérisme qui pose l’internationalisme comme intrinsèquement incompatible avec le nationalisme des peuples dominés. De par notre histoire française on se trouve confrontés au nationalisme des dominants qui s’est dédoublé en "francisme" très facho et en européisme, libéral, (qui cherche à se construire comme entité supérieure "nationale-supranationale" exclusive des archaïsmes nationaux). On trouve, à travers le Front de gauche, un mixte d’ouvriérisme et de nationalisme jacobin républicaniste qui est en profonde défiance, lui aussi, envers les nationalismes des peuples dominés.

D’où, quoiqu’on en dise, notre difficulté à cerner une réalité aussi différente de la nôtre comme cette "nation éclatée de nations" qu’est l’Espagne ! Et, quoique l’on fasse pour "comprendre", on a la crainte qu’exprime AC que le catalanisme ne "baise" l’internationalisme prolétarien ! Or pour éviter ce risque-là, paradoxalement, il faut être dans le mouvement national pour y défendre l’internationalisme, le fédéralisme (mais sans en faire un préalable politique), la conception lutte de classes de la politique et donc cibler sans retenue des bourgeois comme Mas ! Car AC, si le catalanisme est un "lieu" à défendre, il est aussi un "lieu" où l’on défend un point de vue anticapitaliste contre le point de vue bourgeois-petit-bourgeois, et il n’est pas évident que tous les indépendantistes (et il faudrait déjà voir les nuances qu’il intègre) tombent dans le panneau de la nation catalane "vache à lait" des autres régions, etc. !

Enfin pour retouver Copas et Richard : oui, il manque le parti à même d’assumer ce double-triple positionnement nationaliste-anticapitaliste-internationaliste. Mais je suis persuadé qu’on ne peut le construire que dans le mouvement de masse et actuellement il est catalaniste-antiaustéritaire... Et je préciserai qu’il est à construire en confrontation politique à gauche avec IU et sa variante catalane qui a un temps d’avance sur elle puisqu’elle a gouverné, avec le PSC et ERC,...pour mener une politique social-libérale ! Mais on l’a vu, grâce aux andalous d’IU, celle-ci, avance ses pions vers une unité avec le PSOE pour le tirer à gauche ! Ah, comme en France le PCF espère encore tirer Hollande-Ayrault à gauche... IU a beaucoup de choses à voir avec le FdG ; sa différence est qu’elle a été jusqu’ici exclue du pouvoir par un PSOE qui pouvait bien vivre sa social-libéralisation sans avoir à mobiliser un pare-feu sur sa gauche pour contenir un mouvement populaire. La Transition s’est chargée (là aussi on dit merci au récemment décédé Santiago Carrillo) de "casser" trop bien le mouvement antifranquiste. Le PCE ne servait donc plus à rien. A quoi ledit PCE a trouvé la porte de survie en créant IU comme position pour chercher à peser pour que le PSOE s’ouvre sur sa gauche ! IU est un réformisme radical en attente de mettre cette radicalité au service d’une alliance avec le PSOE qui ne vient pas. Le FdG en revanche a déjà montré, de par ses composantes essentielles, sa capacité à gérer le capital avec le socialistes et c’est un "acquis" que n’a pas IU pour monnayer une alliance avec les homologues espagnols du PS.

Bon, je crois qu’il faut arrêter là. On se retrouvera à l’occasion car la Catalogne et espérons-le, les peuples de l’Etat espagnol devraient refaire parler d’eux !