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> Multitudes, l’Europe, la lutte de classes, les polémiques... de quoi s’agit-il ?

7 mai 2005, 12:23

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec Patloch, bien qu’il ne faille pas tomber (comme je le fais parfois) dans une certaine grandiloquence et une dramatisation caricaturale des enjeux.

Sur ce point notamment :
"De plus et fondamentalement, je ne crois pas que le OUI et le NON dessinent de façon pertinente une frontière susceptible de faire avancer clairement et durablement le schmilblick disons révolutionnaire, pour simplifier."

Avec des amis, un soir récemment, nous nous sommes faits la réflexion suvante, qui dans nos entourages respectifs (familiaux, amicaux, professionnels, de voisinage, "politiques", associatifs, syndicaux...) allaient voter oui, ou du moins avaient pu nous le signifier d’une manière ou d’une autre ? Après examens, et anaylses détaillées des "profils", nous nous sommes dit que pour près de 100 % des cas, c’était des gens avec lesquels il fallait manifestement rompre, le "oui" venant comme la goutte d’eau qui faisait déborder notre vase de tolérance, et s’additionnant à une multitude (ces cons là nous font presque tiquer quand on utilise ce substantif !) de faits dénotnt l’adhésion profonde de ces gens. Le descriptif de la cinquantaine de personnes que nous avons passé en revue serait un petit roman, mais à chaque fois quelques traits saillants se détachaient : arrivisme, caporalisme (ou si l’on veut "personnalité autoritaire" pour reprendre une catégorie de l’école de Francfort), volonté de se démarquer de la plèbe, inconséquence intellectuelle, admiration des puissants et fayotage...
Aussi si tous ceux qui votent non ne sont pas nos amis, il ne faut pas avoir voté oui pour le demeurer ou pour le devenir. Ce critère est et va demeurer un criterium discriminant. Un peu à l’instar de ce qui se produisit en France au moment de l’affaire Dreyfus : il y avait ceux qui croyaient ou voulaient croire en sa culpabilité, et ceux qui refusaient cette culpabilité et les campagnes militaristes et antisémites dont elle était le prétexte. Cette opposition sur le TCE est similairement une ligne de partage entre des attitudes et des comportements éthiques et moraux, bien au-delà d’une simple divergence d’opinion. Ayant discuté peut-être avec 150 ou 200 personnes de ce sujet, pour peut-être la première fois dans ma vie (alors que je milite depuis plus de trente ans, et que j’en ai vécu des discussions et des polémiques, des plus stériles aux plus violentes), au bout de quelques minutes, dès que je vois le lascar bien enkysté dans son Oui (ce qui est tout de même rare dans mon milieu), je n’insiste pas et me sort de la discussion par un banal "je ne te convaincrai pas et c’est réciproque", tant je vois la distance qui me sépare du gus, généralement s’excitant très vite, usant, souvent avec violence, "d’arguments" soit les plus ineptes soit révélant immédiatement son vrai système de valeur. (j’entends aussi par "avec violence", des propos du type "vous un homme si intelligent" vous n’allez tout de même pas voter NON, je m’attendais à mieux de votre part" etc. utilisés comme arme fatale de propagande par tous les petit(e)s chefs dans les entreprises : à la fois pseudo-flatterie, menace voilée.)
Les seules discussions "intéressantes" sont avec les gens qui ne sont pas sûrs d’aller voter ou qui souhaitent délibérément s’abstenir. C’est celles que je privilégie (d’une part par pragmatisme, cela peut être une voix de plus, mais d’autre part aussi parce que la critique des élections, du système représentatif spectaculaire, de la "politique"... est pour moi l’un des B.A.BA de la critique sociale, et que la position abstentionniste engage fatalement la discussion sur ce terrain là)
Il y a enfin les gens qui refusent obstinément de dire ce qu’ils feront. En général ce sont des gens d’ordre et de droite. Mais il y a aussi les hypocrites et les manipulateurs, osant s’égosiller contre le "terrorisme" des partisans du NON (il y a des exemples dans cette discussion).

Enfin une critique de forme : est-ce faire "clairement" avancer quelque chose que de le dénommer d’un mot "schmilblik révolutionnaire" qui dénote qu’on ne sait pas de quoi exactement on parle ? Cet énoncé reviendrait à dire "je ne crois pas que le oui et le non dessine une frontière pertinente pour faire avancer quelque chose dont je n’ai aucune idée et que j’appelle "stroumpf". L’énoncé à ce stade n’est ni vrai ni faux, il est "indécidable" comme on dirait maintenant. Je me refuse pour ma part à parler de "révolution" : la plupart de ceux qui ont en parlé positivement ces 60 dernières années ont tout fait pour ne jamais la faire et la reporter toujours au lendemain ou au surlendemain. Tant est si bien que l’expression s’est progressivement dévaluée, démonétisée, pour ne devenir qu’un concept fourre-tout et passe-partout, qui s’applique beaucoup mieux à l’annonce d’une "nouvelle technologie" qu’à la lutte des classes contemporaines ( au moins ces concepts : lutte de classe, masse, prolétariat, insurrection, capital, exploitation... s’il faut certes les désinfecter de toute la connerie stalino-maoïste aujourd’hui presque oubliée, sont-ils des concepts qui pretent moins à confusion, du moment qu’un discours articule leur signification et les leste de concrétude)

Concernant l’université : Patloch dit que beaucoup des critiques adressées à la revue Multitude et à son groupe (je ne pense pas que les lecteurs aient jamais été visé. Je lis chaque jour plusieurs journaux, dont le Figaro, je suis bien forcé d’entendre sinon d’écouter les radio-TV.... qui m’assimilerait aux médiatiques) seraient en fait généralisables à l’université en général, les "marxisants" compris. Tout à fait d’accord. Ce qui fait précisément défaut ce serait une vraie sociologie critique de ces milieux et de ces institutions. Mais la sociologie étant précisément "monopolisée" par les universités (autrement dit les systèmes de production de savoirs de l’Etat et des grandes entreprises) et les universitaires, une telle tâche ne peut s’accomplir. Cette question et cette aporie s’étaient déjà manifestés dans les années 60 dans la pratique et la théorie de l’internationale situationniste.