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> Contresens à propos du plan B(lair)

9 juin 2005, 19:46

Je suis globalement en accord avec le constat de cet article, à une différence près, mais de taille : Pourquoi attribuer aux seuls anglais, et aux seuls néo-travaillistes cette stratégie de "l’Europe des marché, de la flexibilité et des privatisations" ? Que Blair ait plus de latitude et de liberté pour dire haut et fort ce qu’il pense et ce qu’il met en oeuvre, qu’un Chirac, un Berlusconi ou un Schröder, ne signifie ni que ces trois derniers aient des options réellement différentes, ni que cela soit Blair et les "lobbies" anglais qui soient les plus actifs et les plus efficaces dans cette stratégie qu’ils partagent en fait tous. Et qu’ils partagent tous, non en vertu d’un obscur complot, ou de la force d’une idéologie particulière, ou encore d’une sorte de "tempérament national" (l’"ultralibéralisme" que se complet à dénoncer "sous les sunlights télévisés" Jacques Chirac), mais parce que qu’il n’y a peut-être pas - du point de vue du big business - d’autres voies, face à une mondialisation que le capital européen a lui même voulu et déclencher !
Il y a seulement "modulation" et variations de la "communication publique" des politiques et de la stratégie, en fonction des rapports de force interne : les vieilles centrales syndicales ont été brisées au Royaume uni, en RFA et en France, pas encore, et particulièrement dans ce dernier pays, dans un secteur public qui n’est pâs encore démantelé. Je crois que cette tendance à constamment souligner la "contrainte" qui serait imposé par les dirigeants britanniques (et derrière eux, on voit poindre le nez de l’ogre américain, avec l’angleterre comme "cheval de troie américain" en Europe - comme si il n’y avait pas un parti furieusement atlantiste en france et en Allemagne ou au Benelux à la tête des affaires -), participe aussi, même involontairement, du "jeu" tactique des dirigeants français et allemands (au-delà, des réels conflits d’intérêts particuliers sur tel ou tel dossier, qui surgissent régulièrement cà et là). Cela leur permet, quand ils sont pris en flagrant délit - "la main dans le pot de confiture" de l’"ultralibéralisme"-, comme tout récemment à l’occasion du projet de TCE, de faire (très temporairement et très verbalement) "machine arrière", d’invoquer les horribles pressions de ces hypocrites, ces égoïstes et impitoyables anglais, et la "main sur le coeur", de jurer qu’on ne les y reprendra plus. Symétriquement, le discours à usage interne des dirigeants anglais est peuplé de récits édifiants sur les turpitudes de la corruption française - de la francafrique aux détournements de subventions -, de ses passions bureaucratiques et de son cortège de riches fonctionnaires rentiers et incapables. Bref chacun joue sur la corde sensible des chauvinismes et autres clichés mollement xénophobes, afin de renvoyer la patate chaude de la nouvelle vague de dérèglementation, de privatisation..., et in fine, de "baisse du coût du travail" et de "maximisation des profits" comme idéal insurpassable de notre temps, la bourgeoisie anglaise s’épargnant cependant la bouffonnerie d’agiter les clochettes illuminées du "grand Dessein Européen" , et autre métaphysique de boy scouts.
Un indice de cette unité sous-jacente, au-delà de la division nationale du travail dans le registre du simulacre, réside peut-être dans cette expression de "troisième voie" qu’invoque le Blairisme, et pour l’essentiel reprise par Schröder (Dritte mitte) et les dirigeants PS pro-oui (Hollande et Strauss-kahn en tête). Traditionnellement la "troisième voie" désignait une sorte de voie médiane entre capitalisme libéral type 19ème siècle et "Socialisme réel" de l’URSS. Une sorte de "policy mix", mêlant dirigisme d’état et redistribution partielle et concurrence capitaliste, "l’économie sociale de marché", "l’économie mixte" ou encore le rêve gaullien de la "participation", qui ressort régulièrement comme une sorte de serpent de mer de l’idéologie française (hier avec les stocks otption des starts up, aujourd’hui encore avec "le dynamisme de l’initiative privée allié à la solidarité" du Villepinisme. Le philosophe slovène Slavoj Zizek, se plaisait récemment à souligner le paradoxe de la formule (cf. Que veut l’Europe ? Paris 2005 Ed. Climats). Si le terme "troisième voie" était censé illustrer une voie médiane , une sorte de synthèse, entre socialisme et capitalisme, aujourd’hui que le premier est mort, et universellement décrié comme non viable, despotique... , il ne peut plus se justifier, que comme parodique tautologie : la troisième voie, c’est la synthèse entre le capitalisme... et le capitalisme, donc c’est le capitalisme : l’alternative, et l’alternance politique, deviennent prodigieusement simple, vous avez le choix entre bonux, ariel, et la troisième voie, skip, pour 3 lessives absolument identiques sortant de la même usine. Les divergences liées au "tempérament national", à la culture partidaire ou à tout autre de ces formes archaïques ( "Il est social démocrate, et moi je suis démocrate... sociale" s’esclaffait dans un grand sourire, mutine et goguenargue, dimanche 5 juin dernier sur France 5 la député européenne UDF Marielle de Sarnez, en oeillade au "socialiste" Pierre Moscovici), participe d’un pur simulacre de barnum électoral, auquel plus personne ne croit, si ce n’est les gens payés pour ce faire : claque de permanents, journalistes, experts...) ou quelques "citoyens" attardés.
Cependant que les spectres des vieux antagonismes - de classes : citoyens versus homo sacer, dirigeants/dirigés, exclus / inclus, prolétaires / capitalistes - arrivés à ce stade burlesque du simulacre, pourraient bien brutalement resurgir, comme une sorte de "point d’explosion de l’Idéologie en Europe". Le verdict des urnes le 29 mai dernier, suivi de sa réplique hollandaise, est peut-être un signe annonciateur de ce retour du refoulé, que les "manipulateurs de symbole" s’emploient à conjurer.