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> Confusion dans l’analyse

12 juin 2005, 22:21

"à un niveau individuel, la fragilité de chaque engagement personnel qui ne peut se caler sur aucune certitude absolue, ce qui n’empêche pas l’engagement, mais conduit à ménager un espace de jeu (de questionnements) à l’écart d’un rapport dogmatique (le niveau d’analyse de Landsberg via Corcuff)."

En gros dans cette philosophie du "p’tre ben qu’oui, p’tre ben que non", il faut certes s’engager... mais tout en ménageant ses arrières. S’engager, mais pouvoir à tout moment se dégager ! Certes encore, c’est sans doute ainsi qu’on mène une carrière universitaire ou une carrière médiatique. Et qu’en même temps on invoque - d’une façon ici obscène - les auspices d’un juif et d’un résistant persécuté et assassiné. De plus ce n’est pas l’engagement qui doit être nécessairement fragile, c’est effectivement la "certitude", absolue ou non, qui l’est. Mais une "certitude" (une croyance) hyperhypothétique et "fragile" peut aussi bien fonder un engagement absolu (cf. à la limite Landsberg)

Mais un peu de Derrida encore :
"Or la justice, si imprésentable qu’elle demeure, n’attend pas. Elle est ce qui ne doit pas attendre. Pour être direct, simple et bref, disons ceci : une décision juste est toujours requise immédiatement, sur le champ, le plus vite possible. Elle ne peut pas se donner l’information infinie et le savoir sans limite des conditions, des règles ou des impératifs hypothétiques qui pourraient la justifier. Et même si elle en disposait, même si elle se donnait du temps, tout le temps et tous les savoirs nécessaires à ce sujet, eh bien, le moment de la décision , en tant que tel, ce qui doit être juste, il faut que cela reste un moment fini d’urgence et de précipitation ; cela ne doit pas être la conséquence ou l’effet de ce savoir théorique ou historique, de cette réflexion ou de cette délibération juridico- ou ethico- ou politico-cognitive qui la précède et qui doit la précéder. L’instant de la décision est une folie, dit Kierkegaard. C’est vrai en particulier de l’instant de la décision juste qui doit aussi déchirer le temps et défier les dialectiques. C’est une folie. Une folie car une telle décision est à la fois sur-active et subie, elle garde quelque chose de passif, voire d’inconscient, comme si le décideur n’était pas libre qu’à se laisser affecter par sa propre décision et comme si celle-ci lui venait de l’autre. les conséquences d’une telle hétéronomie paraissent redoutables mais il serait injuste d’en éluder la nécessité. Même si le temps et la prudence, la patience du savoir et la maîtrise des conditions étaient par hypothèse sans limite, la décision serait structurellement finie, si tard qu’elle arrive, décision d’urgence et de précipitation, agissant dans la nuit du non-savoir et de la non-règle. Non pas de l’absence de règle et de savoir mais d’une réinstitution de la règle qui, par définition, n’est précédée d’aucun savoir et d’aucune garantie en tant que telle." [Force de Loi - Le "Fondement mystique de l’autorité" 1. Du droit à la justice ; p.57-58, Paris 1994, Ed.Galilée]

"D’une part il [Walter Benjamin] aurait probablement tenu la "solution finale" pour l’extrême conséquence d’une logique du nazisme qui, pour reprendre les concepts de notre texte, aurait correspondu à une radicalisation multiple :
1. La radicalisation du mal liée à la chute dans le langage de la communication, de la représentation, de l’information (et, de ce point de vue, le nazisme a bien été la figure la plus marquante de la violence médiatique et de l’exploitation politique des techniques modernes du langage communicatif, du langage industriel et du langage de l’industrie, de l’objectivation scientifique à laquelle est liée la logique du signe conventionnel et de l’immatriculation formalisante).
2. La radicalisation totalitaire d’une logique de l’Etat (et notre texte [cf. Le texte de Benjamin "A propos de la critique de la violence" de 1921 que commente Derrida] est bien une condamnation de l’Etat, voire de la révolution qui remplace un Etat par un autre Etat, ce qui vaut aussi bien pour d’autres totalitarismes (...))
3. La corruption radicale mais aussi fatale de la démocratie parlementaire et représentative par une police moderne qui en est inséparable, qui devient le vrai pouvoir législatif et dont le fantôme commande la totalité de l’espace poltique. de ce point de vue, la "solution finale" est à la fois une décision historico-politique d’Etat et une décision de police, de police civile et militaire, sans qu’on puisse jamais discerner entre les deux et assigner de véritables responsabilités à quelque décision que ce soit.
4. une radicalisation et une extension totale du mythique, de la violence mythique, à la fois dans son moment sacrificiel fondateur et dans son moment le plus conservateur. Et cette dimension mythologique, à la fois grecque et esthétisante (le nazisme, comme le fascisme, est mythologique, grécoïde, et s’il correspond à une esthétisation du politique c’est dans une esthétique de la représentation), cette dimension mythologique répond aussi à une certaine violence du droit étatique, de sa police, de sa technique, d’un droit totalement dissocié de la justice, comme la généralité conceptuelle et propice à la structure de masse par opposition à la considération de la singularité et à l’unicité[ souligné par moi : c’est une opposition général/ singulier, masse/unicité qui traverse ici la tension droit/justice et non collectif/individuel. Voilà pour la "confusion dans l’analyse", professeur diafoirus !]. Comment expliquer autrement la forme institutionnelle, voire bureaucratique, les simulacres de légalisation, le juridisme, le respect des compétences et des hiérarchies, bref toute l’organisation juridico-étatique qui a marqué la mise en oeuvre techno-industrielle et scientifique de la "solution finale" ? Ici une certaine mythologie du droit s’est déchaînée contre une justice dont Benjamin pensait qu’au fond elle devait rester hétérogène au droit, au droit naturel comme au droit historique, à la violence de sa fondation comme à celle de sa conservation. Et le nazisme fut une révolution conservatrice de ce droit." [[Force de Loi - Le "Fondement mystique de l’autorité" 2. Prénom de benjamin - Post-Scriptum p.139-140]