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> LETTRE OUVERTE D’UN SOCIALISTE PAS SYNTHETIQUE DU "NON" A RAOUL MARC JENNAR

30 novembre 2005, 23:19

Lettre ouverte d’un socialiste pas synthétique du "NON" à Raoul-Marc Jennar.

Mon cher camarade Raoul,

toi aussi, tu m’es cher, et infiniment. D’abord parce que ton nom, avec quelques autres, symbolise le combat victorieux qu’ensemble nous avons mené pour faire en sorte que le Non, c’est-à-dire la démocratie, le libre débat et la discussion raisonnée, l’emporte en France le 29 mai.
Ensuite en raison de cette lettre ouverte que tu adresse, certes indistinctement (je vais y revenir) aux "socialistes du Non", car elle résume évidemment fort bien ce qu’est et ce que vaut cette "synthèse", et elle illustre aussi parfaitement bien comment cette "synthèse" est ressentie, et comprise pour ce qu’elle est, parmi celles et ceux qui, au printemps 2005, ont mené ce combat et construit cette victoire de la démocratie. C’est, je crois, François Rebsamen (à moins que ce soit son clone) qui a osé déclaré que la synthèse avait pour but de "ne pas désespérer Billancourt". Il est douteux que même Rebsamen ou son clone puisse croire à une telle affirmation au moment même où il la profère. La synthèse a pour but de désespérer, et elle désespère, non pas, aujourd’hui, "Billancourt", mais ce peuple qui a combattu et qui, surtout, depuis le 29 mai, reçoit coups sur coups de la part des auteurs battus du texte repoussé le 29 mai : contrats journaliers dits de "nouvelles embauches", privatisation à marche forcée, provocation policière, violence sociale démultipliée.
Parce que ta lettre ouverte dit clairement ce qu’est cette synthèse, et contre qui elle est dirigée -contre ce que l’on appelle parfois encore en France le "peuple de gauche"-, et donc au service de qui elle a lieu -au service de ceux qui, en France et en Europe, sont aujourd’hui au pouvoir, ta lettre me fait infininement plaisir.
Et c’est aussi à cause de ce grand plaisir, de cette large plage d’accord, que je dois t’adresser deux graves reproches.
Le premier, c’est de faire exactement comme les puissants, comme les journalistes des médias dominants, qui, voici exactement un an, nous expliquaient, faisaient comme si personne ne pouvait être contre la "constitution européenne". Nous n’existions pas, nous étions censé ne devoir pas exister, cela allait de soi.
Hé bien, mon cher Raoul, tu fais exactement pareil dans ta lettre. Tu considère implicitement, comme le journaliste de Libé pour qui tout le monde est pour le Oui, qu’au Parti socialiste tout le monde est pour la synthèse. Tu ignore (peut-être l’ignore-tu réellement, mais dans ce cas il est temps de te renseigner) que 7% des délégués ont refusé de la voter, que dans au moins l’une des motions -la 5, celle d’Henri Emmanuelli-, c’est par le viol grossier de la démocratie que la synthèse a pu être imposée, et que quelques figures connues ( Arnaud Montebourg, Marc Dolez, Gérard Filoche, et ces deux derniers ont fait tréteaux communs avec toi et d’autres pour assurer la victoire du Non le 29 mai) n’en sont pas.
Les socialistes du Non non synthétiques existent et comptent bien se faire entendre -se faire entendre dans le pays. Ils n’ont pas oublié que leur intervention, pour assurer la victoire du 29 mai, fut décisive. Ils ont donc conscience d’avoir une responsabilité, puisque le sentiment majoritaire de la base sociale et électorale du Parti socialiste en France, qui s’est exprimé dans le vote Non le 29 mai, n’est plus représenté que par eux.
A partir de là le second grand reproche que j’adresse à ta sympathique lettre ouverte est de se conclure sur cette perspective politique qui n’en est pas une : "l’unité à la gauche du PS". Evidemment, nous les socialistes non synthétiques du Non ne sommes pas des niais et il est inutile de venir nous expliquer, à nous, combien les dirigeants de notre parti sont éloignés et de l’idéal et des sentiments du peuple ouvrier, chômeur, aussi bien que de la jeunesse, et combien ils font partie des classes dominantes et aisées. Cela, nous le savons aussi bien que n’importe quel militant du Non se situant "à la gauche du Parti socialiste". Ce n’est pas avec eux que nous voulons construire une alternative au néolibéralisme, inutile de nous casser la tête à ce sujet. Mais construire une alternative ne peut se faire qu’avec la base sociale et électorale du PS -ce qui, pour nous, constitue véritablement notre parti, le socialisme démocratique dans ce pays. Et la formule politicienne d’ "unité à la gauche du PS" les exclut. Et en les excluant, elle exclut le combat le plus nécessaire, le plus concret qui devrait être mené : celui pour stopper, et donc pour chasser, le gouvernement de violence sociale, le gouvernement illégitime, en place et qui frappe actuellement. Enfin, il est bien naïf de croire que c’est une formule qui puisse inquiéter un tant soit peu les dirigeans socio-libéraux. Au contraire, ceux-ci veulent avoir plein contrôle de "leurs" troupes et se satisferont que d’autres vieilles forces politiques tout aussi intégrées à l’ordre existant qu’eux, autour de la direction du PCF -leur vieil allié et familier partenaire flanqué ou non d’un jeune facteur- occupent "l’espace" situé à leur gauche. Ainsi, les vaches seront bien gardées, chacune dans leur prés carré, et des accords de désistement pour une alternance qui ne soit pas une alternative seront toujours possibles ...
Je ne crois pas que ce soit pour cela que tu combatte, et nous non plus. Ce que nous voulons, c’est faire bouger les lignes, c’est bousculer l’ordre politique, c’est renverser l’ordre établi. Pour cela, nous les invisibles, nous les silencieux, nous qui ne sommes pas censés exister, nous dont même Raoul Marc Jennar a semblé vouloir ignorer l’existence, nous, les socialistes non synthétiques du Non, nous n’avons rien à perdre. Et beaucoup à gagner, tous ensemble avec ceux qui ont fait le 29 mai et qui doivent encore faire bien des choses ! Car oui : l’unité est notre force, elle appartient à tous, elle est porteuse d’alternative et pas d’alternance.

Moulins, 30 novembre 2005.