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> LA GRANDE GUERRE POUR LA CIVILISATION

14 décembre 2005, 00:41

Chère Vara, chère Nicole,

Le livre de Robert Fisk offre en effet une somme de connaissances tant il s’étend sur une vaste période. Mais cette somme de connaissances (dont on s’aperçoit qu’on les connaît finalement déjà, même si l’auteur rajoute une foule de détails pour les enrichir) n’est pas, selon moi, le véritable sujet de ce livre dont l’intérêt premier n’est pas historique.

Robert Fisk, qui a vécu de très près la plupart des évènements qu’il rapporte, nous entraîne dans son sillage au coeur de ce que j’appellerai la tragédie humaine. Nous n’assistons pas aux évènements du haut d’un poste d’observation, mais y sommes plongés au plus près. Leurs multiplications (Afghanistan, Iran-Irak, Liban, conflit Israélo-Palestinien, génocides des Arméniens, des Juifs, Grande Guerre de 14-18...) en renforcent le côté pathétique et insensé.

A l’image des chrétiens (et de la plupart des autres religions) qui méprisent le corps éphémère pour louer l’esprit éternel, nous assistons médusés, bouleversés, à ce saccage, cette humiliation, cette destruction rageuse des corps au nom d’une quête de pouvoir absolu dont on mesure la vanité, et dont on se demande si les protagonistes en conflit y croient vraiment. C’est "l’insupportation" de leurs conditions humaines qui les guident vers cette course aux enfers.

Nicole, je ne comprends pas votre expression "[se] scléroser dans une petite mort", ni votre référence à une "croyance" de ma part. Je pense que je suis très mal placé pour juger de moi-même. Et pour tout dire, ça ne m’intéresse pas. Je ne cherche pas à me connaître, mais à ressentir les autres. Et je crois qu’il faut distinguer nos rêves du quotidien. Pour moi, la seule chose qui existe et m’intéresse, c’est le quotidien (tandis que les rêves relèvent, eux, de la croyance). Ce que j’essaie modestement de faire, c’est de transfigurer ce quotidien pour le rendre passionnant. Le quotidien, c’est le corps, pas l’esprit. J’ai un amour immodéré pour les corps, même périssables. Alors, "petite mort" ? Pas pour moi, la vie simplement.

Lire Robert Fisk me conforte dans cette position. Je sais grâce à lui les démons auxquels je dois échapper (la folie destructrice, l’ivresse des absolus). Je voudrais juste, et seulement juste sentir les battements de coeur du monde qui m’entoure. Ta-toum, ta-toum ...

Le Yéti

PS : "meute de volatiles" ? J’adore les "meutes" tonitruantes (mais c’est vrai, "bandes" aurait tout aussi bien fait l’affaire). Et j’adore les "volatiles" un peu don quichottesques. Il ne m’en fallait pas plus pour les rapprocher.