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> Béchamel béachélienne

8 mars 2006, 22:42

Habituées à traiter de sujets plus graves que ça, les importantes éditions des Arènes de Laurent Beccaria, publient « Une imposture française », document argumenté sur l’arnaque Bernard Henri Levy. Ou comment un homme d’affaires pas maladroit s’est taillé une panoplie d’intellectuel incontournable, à coup d’amitiés sonnantes et trébuchantes.

Peu de médias parleront de ce livre. Il est à parier qu’il sera passé sous silence. Une imposture française ne fera pas descendre BHL de son socle. Sûrement pas. L’homme, de toute façon, a suffisamment de pouvoir pour tenir en respect la quasi-totalité des médias français, hebdos ou quotidiens, qui comptent. Tous aux ordres de l’homme à la chemise blanche ouverte.

Tous au garde-à-vous devant le riche prétendu intellectuel de Saint-Germain-des-Près. Tous terrifiés à l’idée de contrarier l’ami des Pinault ou des Lagardère. L’ami d’Olivier Orban, de Nicolas Sarkozy, de Jack Lang, de Laurent Fabius, de Thierry Ardisson, de Stéphane Bern, d’Alain Minc, de Claude Bébéar, d’Alain Delon, de Philippe Douste Blazy, l’ami de tous de toutes, de tout ce qui compte, qui a de l’argent oui qui est influent. BHL a beaucoup d’amis, de relations, et un gros forfait de téléphone portable. Plus de 2000 euros par mois, selon ses propres dires.

BHL ne conduit pas, toujours trimballé à droite à gauche par un chauffeur, quelques gardes du corps, pas commode pour aller dans les « pires endroits du monde », pas très discrets, mais bon. BHL est l’ami de Claire Chazal, d’Etienne Mougeotte, de Line Renaud, d’Anne Sinclair, de Dominique Strauss-Kahn. BHL a beaucoup d’argent, une fortune héritée de l’entreprise de son père, une société spécialisée dans l’importation de bois précieux africain. C’est connu. Ce qu’on sait moins, peut-être, c’est que Pinault l’a rachetée pour 750 millions de francs. Ce qu’on sait moins, c’est que Guy Carlier, l’alter ego de poids de Fogiel, était directeur financier de cette société entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. Carlier qui, écrivent Nicolas Beau et Olivier Toscer, a « entre autres qualités de la mémoire et une certaine idée de la morale »... Du coup, un jour de 2003 où l’ancien directeur financier devenu chroniqueur s’emporte un tantinet à la radio sur BHL, le « pilleur de la forêt africaine », François Pinault himself se voit obligé de tancer Stéphane Bern (patron de Carlier sur France Inter) : « Dites à votre ami Carlier de se calmer un peu, sinon ça va mal finir pour lui. Qu’il pense à sa carrière. » On ne peut être plus clair. Certains parleront de chantage, mais c’est de Pinault qu’il s’agit, alors on ne parle de rien, on se tient à carreau. Et Carlier, depuis, ne l’a pas ramené. Il a pensé, peut-être, à sa carrière. Ce qu’on apprend en premier lieu, donc, dans Une imposture française, c’est qu’il est extrêmement compliqué de critiquer BHL. On n’y touche pas, il est quasiment inaccessible. Ce qu’on apprend ensuite, et ce peut être lié, c’est que BHL aime l’argent. Il en possède beaucoup, un luxueux palais au Maroc, un 378 mètres carrés dans le 7e arrondissement à Paris, l’homme aime l’argent, la Bourse, et possède même depuis 2001 un peu plus de 4% des... surgelés Piccard ! Etonnant, non ? Mais ce livre n’est pas un recueil d’anecdotes empilées bout à bout, visant à discréditer le personnage BHL, à voir si la chemise blanche résiste au passage à 90 degrés de la rigueur journalistique.

Ce livre n’est pas un pamphlet hargneux que son sujet mériterait, incontestablement, mais qui ne ferait que donner de l’eau à son moulin, au bout du compte. Ce livre est un document, un reportage minutieusement, préparé calibré, comme souvent aux éditions Les Arènes, déjà analystes sans complaisance de la Françafrique, déjà à la pointe du combat dans l’affaire Clearstreamn, les seuls à soutenir Denis Robert dans son entreprise courageuse et jamais vaine. Pas la première fois que la maison d’édition, emmenée par Laurent Beccaria, ne prend pas de pincettes avec le pouvoir, quel qu’il soit. Qui a lu Une guerre de Dominique Lorentz se souvient encore des frissons qui parcouraient tout son corps au fur et à mesure que les pages se tournaient. (Ceux qui n’ont pas lu ce livre ENORME doivent se précipiter séance tenante chez leur libraire pour le commander).

Alors, si Les Arènes choisissent aujourd’hui de se pencher sur le cas BHL, c’est par souci d’informer, là encore. Le personnage Lévy, après tout, est une sorte d’icône médiatique. Invité partout, tout le temps, chez Giesbert, chez Durand, encensé par Savygneau, applaudi par Laurent Baffie, BHL est un totem, une sorte de sculpture tout en hauteur devant et ,autour de laquelle il semble qu’on ne doive que se prosterner. Alors autant éclairer ce... phare. C’est toute l’entreprise, toute la raison d’être du travail de Nicolas Beau et Olivier Toscer. Eclairer, connaître mieux cette célébrité, ce people incontournable. Il y a dans ces quelque deux cent pages beaucoup de choses qu’on savait déjà, certes, et nul doute que certains, au Monde par exemple, comme ils l’avaient fait pour le Révélations de Denis Robert, traqueront la plus petite des contrevérités pour discréditer l’ensemble, mais je prendrai cette fois le pari qu’ils auront du mal à y arriver. Il y a des passages aussi, dans ce livre, où l’on rit franchement, notamment le récit du bide monumental de Levy réalisateur, avec son fameux film Le jour et la nuit, navet historique qui n’a pas fini de faire rire bien des critiques, encore aujourd’hui. Sauf Pierre Billard, alors critique au Point, où Lévy donne chaque semaine un « bloc notes », qui avait vu à l’époque en BHL « à la fois John Huston et Visconti réunis ». Pierre Billard est-il encore critique de cinéma ? Mais il y a des passages aussi qui laissent pantois, comme si à force de trucages, d’impostures et de coups tordus, le « fascinant » personnage, aussi à l’aise qu’un chat pour retomber toujours sur ses pattes, finissait par lasser, par ne plus amuser du tout. Trop c’est trop. Quand on apprend que l’ami de « vingt ans » de Massoud ne l’a connu et rencontré que trois ans avant sa mort, et qu’il pousse le délire jusqu’à poser une plaque sur sa tombe en souvenir de cette prétendue amitié de vingt ans, c’est trop. Trop, je ne veux pas dire « too much », je dis trop. Trop indécent, trop sale. Mais c’est une manière de s’approprier la dépouille de Massoud, comme quelques années plus tard, Lévy s’appropriera celle du journaliste américain Daniel Pearl, décapité par les islamistes. « Marianne Pearl (l’épouse de Daniel Pearl) a toujours considéré le mélange béachélien de fiction et de réalité appliqué à la mémoire de son mari comme un viol littéraire. », écrivent les auteurs de Une imposture française. Marianne Pearl parle de BHL comme d’un homme « dont l’ego détruit l’intelligence ». Un homme qui a décrit de manière abjecte, voyeuriste et nauséeuse la décapitation de Daniel Pearl, comme d’autres filmaient Danièle Gilbert allant aux toilettes dans la Ferme Célébrités. Comme s’il ne s’agissait que d’un jeu, un jeu ayant pour but de placer un peu plus haut au firmament l’étoile BHL. BHL qui se moque de Daniel Pearl plus que de sa première chemise. Qui n’entend rien à la poudrière pakistanaise. Qui n’a de respect que pour lui-même, et sa femme. Et l’argent. Qui a bénéficié, et bénéficiera encore dans les jours qui viennent, de manière honteuse, de la complaisance, de la compromission, de la veulerie de l’ensemble des médias français, du Point au Monde, de Marianne à Voici, de "Campus" à "Tout le monde en parle", tous valets de l’entreprise BHL, multinationale ayant pour but de lustrer à le rendre aveuglant l’ego de ce retraité de tout, jamais écrivain, jamais philosophe, jamais journaliste, combattant de rien, résistant d’aucune époque, d’aucune guerre, imposteur à tous les étages, paltoquet qui n’a pas réussi, malgré ses dires et l’intoxication à venir, (son livre sur Tocqueville sort bientôt en France) à convaincre les Américains, pas aussi stupides qu’il devait le penser.

Bernard Kouchner, lui non plus, ne fait pas partie de la Cour de l’André Rieux de la philosophie, et il touche juste à la fin de l’envoi : « Je crois qu’on savait depuis le début que BHL c’était du toc, et on a laissé faire. L’idéologie française c’est aussi ça, parfois : conforter les intellectuels même quand ils barbotent dans l’approximation et dans l’erreur. » Barboter convient mieux, en effet, à BHL que... philosopher.

Peu de médias, donc, parleront du livre de Nicolas Beau et Olivier Toscer, courageux de s’attaquer au blanchisseur d’idées. Eux, au moins, n’ont pas « pensé à leur carrière », ils ont osé. Le résultat est tout à la fois intrigant, passionnant et consternant. Ainsi est BHL. Après tout, pour reprendre Régis Debray, cité dans l’ouvrage : « Nous avons les divas que nous méritons. Le fric, l’image et le lieu commun sont les trois pilotis de notre système social. BHL réussit la synthèse. Il mérite sa place. »

Lilian Massoulier

(Une imposture française, Nicolas Beau et Olivier Toscer, éditions Les Arènes, 14,90 euros)

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