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Manifeste progressiste pour la langue francaise et les autres langues historiques de la République

15 janvier 2007, 23:26

Je ne signerai pas ce manifeste si son titre s’arrête à la langue française parce qu’il ne prend pas suffisamment en compte le fait que la langue française subit aujourd’hui ce que l’Etat, monarchique puis républicain, en lien avec les classes dominantes et plus particulièrement les puissances financières, a fait subir aux langues historiques de l’hexagone ; elles restent sous le coup de leur interdiction officielle dès le XVIème siècle par l’édit de Villers-Cotterets qui fait toujours partie du droit auquel se réfère le Conseil Constitutionnel se réfère pour entraver le traitement des langues sur un pied d’égalité avec le français, tardivement proclamé langue officielle de la République, sans mention garantissant la sauvegarde et la promotion de la riche diversité linguistique qui imprègne un grand nombre de régions ; de l’occitan (lui-même bariolée dans ses parlers) au breton, en passant par le catalan, le basque, l’alsacien, le flamand, le franco-provençal, le corse, sans parler des créoles et autres langues parlées dans les collectivités publiques de la République outre mer et leurs ressortissants venus travailler dans l’hexagone , ce fonds véritablement multilingue (s’ajoutant à ce qui reste de diversité dialectale du français) donne à une majorité de citoyen-ne-s une capacité de parler et d’écrire bien plus importante que celle d’un monolinguisme français (ce plurilinguisme sous-jacent, même quand il est méconnu, voire nié, est une clé de la créativité littéraire en français)...

Bien sûr qu’il est tout à fait scandaleux que l’anglais soit utilisé (pas seulement en fond sonore de clips télé) et dans la publicité et comme langue de communication à l’intérieur de sociétés françaises en France ; en tant qu’expert socio-économique travaillant dans un cabinet spécialisé dans l’assistance aux CE il arrive que je sois confronté des documents juridiques et économiques en anglais alors même que la tête de groupe est bien dans la République française, preuve de l’échec de l’art 2 et de la loi Toubon face à la généralisation de l’anglais qui était affiché comme leur finalité première. Mais il n’est pas moins scandaleux que l’initiation à la langue hisorique du "pays" où vivent les enfants ne soit pas systématique dès la maternelle (et même dans les crèches ), alors que la transmission familiale a été pratiquement éradiquée par des méthodes donnant la honte de la langue maternelle autre que le français, prétendant qu’elle est inutile ou d’usage strictement local ( François Mauriac citait ainsi un adverbe occitan en prétendant qu’il ne se parlait qu’à quelques lieues de son domaine girondin alors qu’il est utilisé de l’Aquitaine Atlantique aux Alpes fi <dif, de la Méditerranée et des Pyrénées à la Haute Auvergne) ; l’exacerbation des différences localistes a été une politique de l’instruction publique dès le début u XIXème siècle...

Les propos de Jean Jaurès (lui-même assez érudit en littérature d’oc depuis les troubadours et occitanophone y compris dans les réunions politiques publiques en pays occcitan) sur l’importance de la place à donner aux langues "régionales" dans l’éducation sont très généralement occultées (voir quelques pages méconnues sur le site http://gardaremlaterra.free.fr) : pour bien apprendre le français à un enfant vivant en terre occitane et l’ouvrir à un véritable multilinguisme, il faut lui donner la chance d’un bilinguisme naturel occitan-français (naturel parce que l’occitan est toujours présent dans les noms de lieu, de famille, l’histoire locale etc) et il est tout à fait inadmissible que, mettant en oeuvre les orientations des chefs d’Etat et de gouvernement lors du conseil européen de Barcelone, la loi FILLON institue l’obligation d’une initiation à une langue vivante étrangère dans le cycle primaire alors qu’elle ne fait pas place, comme pilier d’un bilinguisme précoce, aux langues historiques de France autres que le français. Pour moi, c’est dans chaque bassin de vie de tout l’espace géographique imprégné d’une de ses langues que l’on devrait trouver, au-delà d’une initiation générale obligatoire, une filière complète, de la maternelle à la terminale, où cette langue soit langue d’enseignement et pas seulement langue enseignée comme option secondaire. Il faut que les possibilités d’étudier chacune de ces langues soient au moins aussi développées que celles d’apprendre l’anglais...

Je pourrais encore développer sur la place à donner à ces langues dans l’usage public (en particulier signalétique des routes, rues et lieux publics des territoires concernés) ou dans les médias (notamment radio, télévision,internet...) : en matière de chansons, par exemple et notamment, des quotas maximaux pour anglais et minimaux pour les langues de la République (tenant compte de la langue historique du territoire de diffusion) mériteraient d’être instaurés, en particulier durant les heures de forte audience.

Bref, comme le demanderont plusieurs milliers de manifestants le 17 mars à Béziers pour l’occitan (nous étions plus de 10 000 le 22 octobre 2005 à Carcassonne), on ne peut pas se battre pour le français face à l’anglais sans exiger que les langues de la République autres que le français aient pleinement droit de cité : si des tenants de la défense du français à l’image de certains académiciens continuent de considérer les autres langues historiques de l’hexagone comme dangereuses pour le français, ou à négliger que l’anglais n’est pas le seul porteur de la logique du libéralisme financier, il ne faudra pas s’étonner que de plus en plus de jeunes préfèrent arborer une "camiseta" arborant "made in Occitània" au lieu de "aux langues, citoyens !"... Enfin il serait temps d’imaginer que dans une économie mondialisée, la régulation démocratique par des politiques demande à la fois plus d’autonomie au niveau de véritables régions proches des citoyens (cf par exemple la Generalitat de Catalunya) et des institutions européennes et mondiales reposant sur le peuple européen ou sur le peuple de la terre plutôt que sur la seule représentation par des Etats qui sont, y compris le plus puissant milititairement et économiquement, largement sous la coupe de puissances financières exerçant déjà un pouvoir transnational...

Donc d’accord pour les revendications tendant à éviter une hégémonie linguistique de l’anglais (ce qui ne signifie pas une négation de l’anglais comme langue fonctionnelle de communication internationale) à l’intérieur de la Républlque française à condition que celle-ci reconnaisse pleinement et réellement que son unité n’implique pas centralisme étatique et monolinguisme. Dans ce sens il faut en particulier modifier l’article 2 de la constitution pour préciser que le français est la langue officielle commune de la République, dans le respect de la sauvegarde et de la promotion de ses autres langues historiques pour garantir en son sein les richesses d’une diversité linguistique vivante s’inscrivant dans l’exercice des droits fondamentaux universels.