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Aux courageux abstentionnistes "de gooooche"

4 mai 2007, 16:30

Très contre productif, Madame.
Parce que ce n’est pas de la qualité des personnes qu’il s’agit.
On peut bien, ou non, voter Dimanche. "La" voix qui manque, cela n’existe pas. Je peux mourir ce soir, et vous aussi.

Mais ce qui manque, c’est la voix qui ne parle pas. Ce qui manque, c’est la critique, explicite et sérieuse, comme un objet central de la campagne, de cette élection là. Vous faites, Madame, le vieux pari du despote éclairé : prendre le pouvoir de manière fausse, en rêvant de construire ensuite un monde meilleur. Mais c’est toujours la façon dont on a accédé au pouvoir qui gagne. Jamais l’image qu’on se faisait de son exercice et de ses buts.

Voter pour une personnalité, c’est accepter que toute une construction politique repose sur un individu investi en tant que "quelque chose" d’un peuple. Si je dis quelque chose, c’est que plusieurs mots peuvent prendre cette place : guide, père ou mère, c’est tout comme, chef, roi, empereur, sauveur. Ou tout ce que l’on voudra, pourvu que cela exprime l’excellence et le destin d’un seul comme garant du "bien-être" de tous . Quels candidats se sont élevés contre cet aphorisme : "l’élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme et d’un peuple" ? Sinon peut-être pour protester contre le sexisme de l’expression.

Qui, dans la classe politique, a répondu à Sarkosy sur sa raillerie à propos de 1958 : "En 1958, il y avait des gens dans la rue qui criaient "le fascisme ne passera pas" - ceci dit avec la volonté de ridiculiser ceux qui criaient cela ? Qui a répondu à Sarkosy que, oui, il fallait être dans la rue à ce moment là, et que peut-être, si la gauche d’alors, issue de la Résistance et de l’espoir socialiste n’était pas descendue dans la rue, on se serait retrouvé à terme avec une alliance entre De Gaulle et l’OAS ? Avez-vous, Madame, oublié le SAC ? La constitution que Mitterrand a utilisée pour prendre le pouvoir, et qu’il a conservée pour le garder, c’est toujours cette constitution gaulliste qui aurait dû en bonne démocratie être retirée en 1968, comme impropre à tout autre but que de conserver le pouvoir à ceux qui le détenaient. Les déclarations floues sur la 6ème République font pâle figure à côté des discours de Ségolène Royal, agrémentés comme ceux de l’autre, de "La France que je veux" de "je veux que les français".

On dit que la société française s’est droitisée. Mais qui l’a droitisée, au plus profond de ses valeurs et de ses croyances : la gauche socialiste, en cédant sur tous les terrains où il fallait tenir.
Sur toutes ces petites choses dont on ne parle pas, dont on parle mal, dont on veut parler alors qu’on n’y connaît rien, tout ce babil pour "l’opinion" qui laisse des traces, depuis des années et des années, qui depuis des années et des années rend crédible, au jour le jour, la droite la plus violemment réactionnaire qu’on ait connu en France depuis les années 30 - qui laisse faire, qui renchérit ? Chevènement, Dray, l’approche sécuritaire, l’élitisme républicain. Quoi, faut-il oublier tout cela et se contenter d’une "chance espiègle" ?
Une chance espiègle contre toute la réflexion sur l’éducation qui a fait sortir les enfants des casernes ?
Une chance espiègle contre toute la réflexion sur la folie qui a fait sortir de l’enfermement des milliers d’être humains confinés jusque là dans le blanc des asiles ?
Une chance espiègle contre la place des hommes dans la production, place de leurs décisions et de leur intelligence en face du caporalisme inhérent au capitalisme ?
Une chance espiègle contre le respect de tous les déviants, fussent-ils des criminels, parce qu’on juge une société à la façon dont elle parvient maintenir en vie et en relation avec elle ceux qui ne trouvent en elle aucune sorte de place, et s’en vengent. (En passant, où vivons nous ? dans un monde qui veut une vengeance plus terrible contre la délinquance brouillonne et la violence absurde et sans but que contre les activités maffieuses. Une société que le crime organisé laisse froide, mais qui hait le pédophile au point que l’accusation portée suffit à faire preuve.)

Vous y croyez, Madame, puisque vous avez voté au premier tour pour Ségolène Royal.
Ce n’était pas notre choix, et nous n’avons pas eu peur de 2001. Après tout, que s’est -il passé en 2001 ? Rien. Une défaite du parti socialiste, due à tous ses reculs, à l’acceptation voltairienne du monde comme il va, au refus d’entendre d’autres paroles que celle des experts, à une analyse des fonctionnements européens en contradiction totale avec leurs effets pour la majorité de la population, à l’absence de tout projet pour aller ailleurs que dans la marmite du capitalisme bouillonnant. Voulez vous me dire ce qui a changé aujourd’hui ? Je ne vois que l’affirmation plus tranquille et plus résolue que le PS doit aller de plus en plus au centre, là où le capitalisme compassionnel peut faire alliance avec le vieux républicanisme radical.

Je crains que cette alliance ne soit propre uniquement à conforter nos petits Bonaparte en chapeau mou.
Il y a toujours un risque, voyez vous, à jouer sur les images. Vous nous parlez aujourd’hui comme si vous nous connaissiez, nous qui nous interrogeons avec gravité, sans le moindre esprit de jeu - sans questions sur les boucles ou sur l’espièglerie - sur ce que nous devons faire. Vous ignorez tout des raisons qui fondent notre incertitude. Vous ne faites autre chose que de nous construire à l’image de ce que vous craindriez d’être.

Mais faire peut-être un autre choix que vous, ce n’est pas se conduire comme un enfant ou comme un parfait. Ce peut être aussi réfléchir, être prudent, tâcher de penser plus loin que le bout de son nez et de ses peurs.

Voyez-vous, Madame, je voterai certainement Royal au second tour. Mais ce sera malgré vous.
Ce sera par discipline républicaine. Ce sera parce que je crois à la politique ET à la révolte.
Ce sera aussi pour prendre date. Sans pari. Dans la certitude que le sombre est devant nous, et que nul rempart sérieux n’a été construit au cours de cette campagne.

D.