Accueil > ... > Forum 193864

la stratégie d’union avec la CFDT est une connerie

19 octobre 2007, 23:26

la stratégie d’union avec la CFDT est une connerie

Evénement

CGT face à CFDT : le divorce syndical expliqué de l’intérieur

Jean-Christophe Le Duigou et Jean-Marie Toulisse ont négocié la réforme des retraites. Interviews croisées.

Par Hervé NATHAN et François WENZ-DUMAS

samedi 24 mai 2003

Pendant trois mois, Jean-Christophe Le Duigou (CGT) et Jean-Marie Toulisse (CFDT) ont mené les négociations sur la réforme des retraites pour leur syndicat respectif. Ils se connaissent bien. Ils ont même écrit ensemble un livre qui fait référence (1). Le 15 mai, les stratégies syndicales les ont séparés. La CFDT s’est ralliée au projet Fillon tandis que la CGT s’est arc-boutée dans une ferme opposition. Retour sur un divorce qu’ils savaient inévitable.

Jugez-vous la réforme équitable ?

Jean-Christophe Le Duigou (CGT) : D’abord, il faut parler de la r éforme Balladur-Fillon, puisque le projet de loi reprend le contenu des décrets de 1993, et les étend au public. La réforme est inéquitable pour trois raisons. Premièrement, 91 % de l’effort est assumé par les salariés, du public et du privé, sous forme de baisse des pensions, d’allongement de la durée de cotisation et de red éploiement des cotisations salari ées. Deuxièmement, l’amputation du niveau des retraites est toujours plus importante pour le privé que pour le public : 25 % contre 20 % ; la course au « toujours moins » ne semble pas terminée. Enfin, la r éforme va peser particulièrement sur les femmes, qui ont le plus de mal à avoir une carri ère complète. Elles supporteront à la fois l’allongement, la pénalisation par la décote et la modification à la baisse des avantages familiaux.

Jean-Marie Toulisse (CFDT) : Que demande-t-on d’autre à une réforme si ce n’est de mettre de l’équité entre les salariés et de garantir la solidarité entre les générations ? Dans la discussion, nous avons toujours recherché cet équilibre. C’est ce qui nous a conduits à accepter l’harmonisation du régime des fonctionnaires avec celui du privé, moyennant des contreparties importantes. C’est pour cela que nous avons pu limiter les effets des mesures Balladur pour ceux qui ont des bas salaires ou des carrières longues. Et pour maintenir la solidarité intergénérationnelle, nous avons évité de charger la barque sur les jeunes générations. D’autre part, nous avons réussi à ébrécher le dogme libéral de ce gouvernement qui refusait toute augmentation des prélèvements obligatoires. Il prônait même une diminution ! Nous avons arraché 0,2 point de cotisation. Et en 2008, tous les paramètres de financement seront réexaminés.

Cette réforme garantit-elle la retraite par répartition pour les vingt années qui viennent ?

J.-C. L. D. (CGT) : Absolument pas. Elle repose sur un marché de dupes : la possibilité pour les salariés de poursuivre leur activité au-delà de 60 ans voire jusqu’à 65 ans, qui n’est ni assurée ni souhaitable. De fait le niveau des pensions va baisser. Un ouvrier retraité a perdu 130 euros par mois depuis 1993. En 2020, il aura perdu 250 euros. Le projet de loi crée des quasi -fonds de pension complémentaires, qui deviendront concurrents du système par répartition. Celui-ci sera profondément fragilisé, car, au nom du dogmatisme de la baisse des prélèvements obligatoires, le système solidaire n’est pas financé. C’est la porte ouverte au développement des vrais fonds de pension, qui saperont la logique de solidarité.

J.-M. T. (CFDT) : La répartition est sauvée pour les vingt années qui viennent. Contrairement à ceux qui ne voulaient rien changer, la CFDT a obtenu cette réforme. Nous ne souhaitions pas qu’elle verrouille tous les paramètres pendant vingt ans, mais qu’elle se fasse par étapes, tous les cinq ans. Et nous avons obtenu que tous les paramètres, y compris celui de l’augmentation de la durée de cotisation, puissent être à cha que fois réexaminés. En faisant passer le taux de remplacement des salariés payés au Smic de 70 à 85 %, nous avons fait un pas décisif vers les 100 %. Le gouvernement proposait une minimesure pour que les 14-15 ans partent à 58-59 ans. Cela concernait 70 000 personnes. Finalement, après deux jours d’âpres négociations, c’est 300 000 salariés qui pourront partir en retraite en 2004, pour certains dès 56 ans. Pour les fonctionnaires, nous avons, seuls contre tous, revendiqué et obtenu la mise en place d’un régime de retraite complémentaire par répartition obligatoire. Enfin, désormais le gouvernement est obligé de négocier avec les syndicats des coups de pouce supplémentaires pour le pouvoir d’achat des retraités du public et du privé.

Pouvait -on, ou peut-on encore, obtenir davantage ?

J.-C. L. D. (CGT) : Dix heures de n égociation pour un tel sujet, c’est ridicule ! La CFDT a choisi d’arrêter alors que nous n’étions qu’à la phase initiale. Il fallait continuer, sans se soucier d’un calendrier imposé par le gouvernement et l’UMP. Nous réclamons la réouverture des négociations. On peut très bien conclure à l’automne, sans remettre en cause les r égimes de retraite. D’abord, il faut avancer sur la garantie du niveau de pension. S’arrêter aux seuls bas salaires, c’est programmer la smicardisation des retraites. Comme en Allemagne, il faut fixer un taux global de remplacement. Nous visons 75 % du salaire pour tous, et 100 % pour les smicards. Il faut ensuite donner un vrai droit à la retraite pour ceux qui ont fait des études, ceux qui ont dû rechercher longtemps un premier emploi, les temps partiels et les longues carrières. Les avancées du plan Fillon sont biaisées. La possibilité de racheter trois années de cotisations va coûter 30 000 euros. C’est prohibitif pour les salariés modestes. Et trois personnes sur quatre qui ont eu une carri ère longue sont exclues du départ anticipé. Ce sont, là aussi, en majorité, des femmes. Enfin, il faut des financements supplémentai res. Cela passe par une réelle politique de l’emploi et une réforme du mode de contribution au système de retraite.

J.-M. T. (CFDT) : Obtenir davantage, c’est une angoisse que seul un syndicaliste réformateur peut éprouver. Ceux qui disent « 100 % de revendications, 100 % de résultats » ne négocient pas. Il est vrai qu’en France la culture de la négociation est loin d’être majoritaire. Elle a besoin d’être expliquée. Nous, nous considérions qu’il fallait verrouiller les points essentiels de la réforme avant le passage au Parlement. Avec la CGC, nous avons rempli notre devoir de protection des salariés.

La question des retraites devient un enjeu politique entre gouvernement et opposition. Le syndicalisme peut-il s’inscrire encore dans le débat sans appuyer l’un ou l’autre camp ?

J.-C. L. D. (CGT) : Que la retraite soit un enjeu politique, cela ne m’étonne ni ne m’effraie. Deux légitimités se côtoient. Les retraites font partie du travail, c’est du ressort des partenaires sociaux. Elles font partie du pacte social global, cela intéresse la représentation nationale. Ce n’est pas l’une contre l’au tre. Il faut faire progresser à la fois les intérêts des salariés et ceux de la société. Il n’y a pas de subordination du syndicalisme qui est, au contraire, l’élément structurant du d ébat social. Notre objectif n’est pas de combattre le gouvernement, mais de se battre sur des objectifs, comme nous l’aurions fait avec un gouvernement de gauche. Il est illusoire de penser qu’un parti politique peut s’accaparer la question des retraites et le mouvement social qui l’accompagne. On peut se demander, au demeurant, si ceux qui ont accepté de s’inscrire dans le calendrier voulu par l’UMP n’ont pas accepté une subordination à des impératifs politiques.

J.-M. T. (CFDT) : C’est la raison pour laquelle la CFDT a pris ses responsabilités au moment où la balle était dans son camp. Le calendrier, tout le monde le connaissait. Dès le 15 mai au soir, on quittait le terrain social pour celui du politique. Aujourd’hui, les mobilisations qui s’annoncent, comme celle de dimanche, n’ont pas pour objet l’amélioration du texte mais son retrait. C’est une logique gauche contre droite. La CFDT a négocié avec un gouvernement des mesures. Ce sont elles que nous avons jugées, pas la couleur du gouvernement. J’aurai été ravi de négocier cette réforme avec le gouvernement précédent. Nous le lui avions demandé. Malheureusement, pendant cinq ans il a laissé se détériorer les basses pensions, et nous a refusé le départ avant 60 ans de ceux qui avaient commencé à travailler très tôt. Cela coûtait trop cher, disait-il. Je me demande comment l’opposition d’aujourd’hui peut dire qu’elle remettra en cause cette réforme, alors qu’elle n’a rien fait pour corriger la réforme Balladur.

La CFDT et la CGT ont tenté de pratiquer le « syndicalisme rassemblé ». Pourquoi s’affrontent-elles sur la question la plus importante, celle des retraites ?

J.-C. L. D. (CGT) : Nous sommes confrontés à ce que j’appelle pudiquement un accroc majeur. Nous connaissions nos divergences sur le fond du dossier et nous en avions débattu. Nous savions qu’elles poseraient un problème, un jour ou l’autre. Mais c’est la méthode qui ne passe pas : une négociation séparée, et pour finir, la mise au pied du mur des autres syndicats. Le 15 mai, à 17 heu res, on nous a convoqués pour entériner une décision préparée à Matignon avec la CFDT. Le syndicalisme ne peut sortir que profondément affecté d’une telle histoire. Pour autant, cela ne peut effacer le besoin de rassemblement que ressentent les salariés.

J.-M. T. (CFDT) : Nous continuons à penser, malgré ces divergences, que l’avenir du syndicalisme passe par les relations renouvelées entre les grandes organisations syndicales. En particulier la CGT et la CFDT qui représentent les deux gran des cultures du syndicalisme français. La gestion intersyndicale du dossier des retraites a permis à la CGT et à la CFDT de mieux se compren dre, de faire un long bout de chemin ensemble, dans l’intérêt des salariés. Ce qui nous a séparés, c’est le passage de la ligne d’arrivée. La CFDT et la CGC ont négocié un compromis, la CGT s’est arrêtée avant. Nous commen çons, avec la CGT, à partager la culture de la négociation. Reste à partager celle du compromis.

(1) L’Avenir des retraites, Editions de l’Atelier, 1999. © Libération Libération : CGT face à CFDT : le divorce syndical expliqué de l’intérieur http://www.libe.fr/imprimer.php?Article=113078 25/05/2003