Accueil > ... > Forum 196284

PANTALON ET VOILE / SEINS NUS ET JUPE : LE REGARD ET LE RESPECT.

2 novembre 2007, 09:01

Dans certains quartiers, dans certaines familles le voile est imposé. Les islamistes ne sont pas une vue de l’esprit de gens malade. S’il arrive au MRAP qu’on en parle il est rare que l’on écrive cela car on ne peut affirmer une telle causalité sans le prouver. Le but du MRAP n’est pas effectivement de conforter le délire parnoïaque issu de la diffusion du "Choc des civilisations" (SH)

Dans les pays du sud ou la religion fait corps avec l’Etat le voile est bel et bien imposé. Il faudrait ici relativiser le propos car les situations bougent favorablement mais vraiment très faiblement.

Vous avez raison de souligner qu’il n’y a pas que le voile en cause. Je renvoie à ma conclusion du texte posté tout en haut.

Sur la pédagogie nous ne sommes pas d’accord. Cela renvoie au fait que l’on ne saurait véritablement raciser les femmes voilées que si islam et voile ne faisait qu’un ; ce qui est faux. Le racisme anti-voile est un abus de langage.

Je l’explique ci-dessous :


UN SIMPLE FOULARD ? UN VULGAIRE FICHU ? ou AUTRE CHOSE... (GITE "JULIENRUPT" VOSGES)
| 27 octobre 2007

 "DISCRIMINATION RELIGIEUSE"

Tel est le verdict du jugement du 9 octobre 2007 tranchant le conflit entre Horia DEMIATI musulmane voilée et Fany TRUCHELUT propriétaire du gite de Julienrupt dans les vosges. D’une part c’est une victoire contre le racisme qui frappe les musulmans, d’autre part la présence de l’objet-voile laisse planer une ambiguité, donc une insatisfaction. D’un côté un motif de contentement, de l’autre le sentiment de confusion. Car peut-on généraliser ce verdict de discrimination religieuse à chaque demande d’enlèvement du voile ou ce cas était-il particulier car le voile n’était que masque d’un racisme anti-musulman. Avec un contexte différent - épuisement de l’idéologie du ’choc des civilisations" - que va-t-on choisir comme positionnement ? Est-ce que l’on distinguera enfin la musulmane et sa religion ou le seul voile. Pout l’heure il semble bien qu’il faille recevoir les musulmanes voilées et donc éviter l’exclusion discrimination, mais rien n’empêche de dire nonobstant que le voile est honni . En effet le verdict aurait été différent si la musulmane ostensible avait été reçu dans le gîte mais en précisant que son accoutrement offensif indisposait ! Car on peut haïr les signes religieux trop ostensibles mais se garder de préconiser l’exclusion du travail ou du logement. Reste le problème de devoir travailler plusieurs heures et plusieur jours avec une femme voilée à ses côtés, qui est une situation jugée insupportable par beaucoup car ressentie comme une oppression religieuse plus pénible encore qu’un crucifix sur un mur.

 TRANSFORMER PAR LE LANGAGE LE COUTEAU EN PETITE CUILLERE

Du coup, sous l’effet de ce jugement, on contate paradoxalement un retour de textes banalisant le voile islamique . Pourtant le port d’un fichu ou d’un foulard ne pose de problème à personne y compris à la propriétaire du gîte vosgien. Je pourrais parier qu’elle a pu en mettre un dans les dix ans qui viennent de s’écouler. Pour ma part, j’avoue qu’il m’arrive de mettre un bonnet (quand il neige) et un casque (quand je suis en moto). Donc si l’on veut être sérieux, il faut bien dire qu’il s’agit d’autre chose. A partir du moment ou le voile est porté été comme hiver, dehors comme dedans ce n’est plus un simple fichu c’est autre chose.
NB : La "découverte" par le climat date de juin 1989 à Epinal (dans les Vosges déjà et encore)

L’ article de Ghislaine Ottenheimer (2) explique qu’à la faveur de récréations, alors qu’il faisait très chaud, la Directrice, voyant une fillette suer, lui aurait demandé de retirer son foulard, ce que la fillette refusa de faire. Au delà de l’anecdote[2], Ghislaine Ottenheimer insiste bien sur l’époque et sur le climat : « Mais de quel droit, sous quel prétexte s’offenser du port d’un couvre-chef quel qu’il soit, en plein hiver ? Là, à la faveur des premiers rayons de soleil, la directrice a testé le caractère emblématique et religieux de ce fichu. ». (archive MRAP)


I – ANALYSES CRITIQUES D’UN EMBLEME

A) DECONSTRUIRE

 DONC AUTRE CHOSE

Le voile islamique est outil de voilage et outil d’un certain islam. Il est d’une part un étendard pour l’extérieur et d’autre part pour de nombreuses féministes un instrument d’aliénation pour celles qui le portent. Cet outil de communication idéologique dit objectivement deux choses : je crois en Dieu, je crois en Dieu en permanence ce qui finit par insupporter. L’intolérance suscite le rejet. Il dit aussi je suis une femme respectable, ce qui signifie un double insulte :
 pour un femme sans voile : tu n’es qu’une femme-objet (pour s’en tenir à des termes neutres qui ne sont pas ceux ordinairement employés) ;
 pour les hommes : vous ne me verrez pas comme femme séduisante car vous êtes violeur ou du moins trop concupiscent pour me voire aussi comme être humain dans le même mouvement.

 L’AMALGAME D’UN CERTAIN ANTIRACISME

La phrase ci après montre que le travail de "désimbrication" n’a pas été suffisamment fait : "les personnes interrogées (9) qui adoptent des positions à la fois féministes et antiracistes sont celles qui s’opposent le plus à la loi (de mars 2004), qui refusent de la justifier au nom de la laïcité, de désigner l’Autre (ici les Musulman-e-s) comme différent et de le stigmatiser". Il ne faut en effet pas se tromper de stigmatisation.

Cependant, il y a un réel mensonge à amalgamer la critique et la phobie du voile islamique à la phobie de l’islam dans sa globalité. C’est le piège du "faux nez" (7). C’est contraire aux pratiques d’analyse que le MRAP met en oeuvre par ailleurs. D’une certaine manière on pratique ici ce que l’on critique sous le terme d’islamophobie ! On reste dans la prise de position inverse - technique classique du mauvais antiracisme de simple renversement - sans passer par la distinction.

Effectivement le MRAP dénonce à raison " l’amalgame entre islam -intégrisme -islamisme radical" avec pour exemple "l’affaire des bagagistes de Roissy qui se sont vu retirer leurs badges en raison de leurs pratique religieuse" (qui n’avait rien d’anti-laïque ou de sexiste). Effectivement, une argumentation historique et sociologique dès plus conséquente pèse pour dire que la phobie du voile PEUT cacher un racisme anti-musulman. Mais il n’y a pas de causalité automatique. Il importe de dire qu’il s’agit d’une possibilité de dérapage, d’une forte probabilité mais pas d’une nécessité absolue. De nombreux laïcs et de nombreux antisexistes ou féministes sont critiques et phobiques du voile sans être raciste . "N’allons pas dire - écrit Eric FASSIN - que les femmes des quartiers, en dénonçant la violence qu’elles subissent, ou les féministes laïques, en s’insurgeant contre l’oppression sexiste, sont racistes, ni même qu’elles ne sont que les alibis du racisme" (8)


B) RECONSTRUIRE

 PEDAGOGIE ANTIRACISTE : LES DISTINCTIONS A REPETER CONSTAMMENT

 De nombreux antiracistes critiquent le voile, ils le haïssent mais cela s’arrête strictement au voile. Autrement dit ce rejet ne porte ni sur la personne ni sur la religion. Donc pas sur l’Autre. La religion musulmane est diverses : certains religieux pensent que le voile est une obligation mais pas tous. L’islam d’emprisonnement et d’affichage offensif est très minoritaire en France : peu de jeunes filles et de femmes musulmanes portent le voile.

 En conséquence plutôt que de reprendre la distinction l’islam invisible et l’islam visible je distinguerais s’agissant des individus l’islam discret et pacifique d’un l’islam ostensible et offensif. A l’égard de ce dernier on ne saurait se montrer tolérant.. Il faut certes respecter la loi mais être aussi à l’offensive.

 LA PEDAGOGIE LAIQUE

A l’égard de l’islam discret et pacifique dans les relations interpersonnelles la rencontre est possible et même source de richesses. Par contre l
e signe religieux ostensible voile ou kippa est contraire à la mentalité laique qui se contente de signes discrets, ceux-ci manifestant un bon compromis entre liberté d’afficher sa religion sans oppresser l’autre. Le signe religieux discret symbolise le souci d’un espace pacifique, ce qui caractérise la laïcité. Comme le souligne le comité de Vitrolle du MRAP (1) un tel espace permet la rencontre sans que les croyances, restant intimes (ou du moins discrètes), soit un obstacle relationnel.

Un exemple de résistance anti-laïque : "Demander qu’on enlève le crucifix dans l’enceinte de l’Assemblée nationale du Québec, c’est méconnaître l’historicité des civilisations et réduire la laïcité à des gestes mesquins." Geste mesquin que de vouloir enlever un voile comme un crucifix ? Car un voile comme une croix ou une kippa çà s’enlève aisément. Il suffit d’adopter des signes discrets pour satisfaire la mentalité laïque et les critiques de nombreuses féministes. Parler de racisme anti-voile c’est, à la limite, ne pas comprendre ce qu’est le racisme réel, ce que subissent celles - ceux qui ne peuvent enlever tout qui les racise : cheveux frisés, peau mat ou noire, etc.... Et de plus, cela ne signifie pas mépris de la religion (que nous pouvons néanmoins critiquer) que les croyants peuvent pratiquer librement en respectant la législation sur la laïcité. Cela ne signifie pas acceptation des discriminations pour les croyances religieuses.

II – ANALYSE CRITIQUE DES AUTRES PRESUPPOSES

 SORTIR DE LA VISION DES TROIS COMMUNAUTES FONDAMENTALES

Dans une contribution au Monde Mouloud AOUNIT (3) écrit : "La France républicaine des années 2000 serait-elle composée de trois communautés, une majoritaire "catho-laïque" repliée sur elle-même, et deux minoritaires, juive et musulmane, qui seraient susceptibles de s’affronter à tout moment ?" Le propos vise à sortir la lutte antiraciste de la sectorisation de la tribalisation. Ce qui est positif.
Mais le même propos devrait conduire à une vision plus contrastée des processus de communautarisation. En fait il n’y a pas plus UNE communauté catho-laique unifiée qu’UNE communauté musulmane unifiée. On pourrait en dire de même pour les juifs de France. Sans doute y a-t-il des points communs qui justifient cette vision en trois communautés mais les différences voire les conflits internes semblent plus importants. Ce qui devrait inciter à relativiser la vision tricommunautaire bien rigide. D’autant que le fractionnement en de multiples sous communautés est renforcée par la diversité du religieux.

 PRENDRE ACTE DE LA DIVERSITE DES INTERPRETATIONS RELIGIEUSES

Quand on évoque le "retour du religieux" on oubli pour les trois grandes religions monothéistes que l’unanimité d’interprétation des textes et plus encore que l’uniformité dans la diffusion des normes et prescriptions religieuses est un mythe. Au-delà d’un corpus fondateur de chacune, on repère rapidement en quelque sorte des "théologies" dans chaque religion et les pratiques qui en sont issues sont encore plus diverses dans chaque religion. La diversité domine tant au plan historique qu’au plan géographique. On trouvera donc pour chaque religion toute la gamme des visions du monde allant du libéral progressiste acquis relativement à la laicité et à l’égalité des sexes aux visions réactionnaires, à l’intégrisme le plus violent.

 PRENDRE ACTE DES EFFETS D’INTEGRATION

Il faudrait ajouter certains effets de la logique républicaine d’intégration-assimilation qui quoi qu’on en pense (elle est passible de vives et justes critiques) vient renforcer la tendance à mentalité laïque.

La vision tricommunautaire qui est à l’arrière plan de « l’amalgame antiraciste » me semble donc obsolète.

Christian DELARUE

Addendum : - CIRCONSCRIRE L’OPPRESSION

Dire et répéter que le voile signifie, au-delà de la conscience de celle qui le porte, « oppression » (religieuse et/ou sexiste) doit s’accompagner d’un propos de prudence qui vise à relativiser "l’agression". Il faut ici promouvoir une sorte intelligence des rapports humains car il est facile de devenir soi-même oppresseur en luttant contre l’oppression. Au cas présent de devenir raciste islamophobe.

Pour être plus précis - vu mes responsabilités antiracistes - je ne voudrais pas être mal compris . Mon net rejet du voile ne m’empêche nullement de réagir quand par exemple un chauffeur de bus de ma ville interpelle de façon injurieuse une jeune femme voilée dans son bus. Pas d’injure aux jeunes filles voilées ! Le respect de l’humanité de la personne est de droit au-delà de ce qui nous heurte dans son comportement.

Quant à l’éventualité d’une loi sur l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les lieux publics clos ceux ou l’on doit rester en permanence avec de tels individus offensifs, je renvoie au texte écrit sur ce sujet (5).

Notes :

1 cf. Différences n° 254 Article intitulé Laîcité, soupçons,tensions... Comment tenter de « désarmer Dieu ? »

2 cf. site MRAP rubrique archive sous rubrique voile

3 Contre l’antiracisme tribal, par Mouloud Aounit LE MONDE 15.06.06
http://www.mrap.fr/interventions/monde

4 Lire la suite sur sisyphe : Laïcité et accommodements raisonnables au Québec par Léon Ouaknine
http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2752

5 Que penser, que proposer suite au verdict "julienrupt" (voile vosgien) sur ce blog

6 Lire aussi : Qu’est-ce que la laïcité ? par Bernard Teper du vendredi 19 octobre 2007
article publié dans la lettre 31
http://www.ufal.info/media_flash/1,article,181,,,,,_Qu-est-ce-que-la-laicite.htm

7 Gérard Bouvier, cité dans la presse avec ces propos : « Le tribunal ne s’est pas laissé abuser par les arguments pseudo-féministes et pseudo-laïcs avancés par Madame (...). Ces arguments sont un faux-nez derrière lequel on trouve un comportement raciste. » .

8 Eric FASSIN p 242 de "De la question sociale à la question raciale".

9 De l’affaire du voile à l’imbrication du sexisme et du racisme site du Mouvement des indigènes de la République