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Réponse aux "voilées" : Nous sommes tous et toutes des putes !

18 novembre 2007, 12:29

IDENTITE – APPARTENANCE :
MINORITES - COMMUNAUTES - COMMUNAUTARISME

Alors que la nécessité d’une lutte anti-raciste contre toutes les formes de racisme pour la dignité et l’égalité des droits est évidente au moins au sein du MRAP , voici qu’apparaît un anti-racisme tribal, sectorisé (1), provenant quasiment de chaque minorité discriminé. Doit-on y voir la montée du communautarisme ? Doit-on y voir la montée des revendications particularistes des minorités ?

Le terme de "minorité" - qui n’est guère employé massivement en France par comparaison au Canada par exemple - se comprend en fonction d’une situation, d’une situation d’oppression. Une minorité discriminée subie une forme spécifique de racisme, une minorités sexuelle subie l’oppression des normes hétérosexuelles (2).

En France, le combat des minorités discriminées s’effectue pour l’essentiel sous la bannière de l’universel et de sa généralisation et non par référence à des luttes catégorielles. Il n’y a donc guère d’antiracisme tribal, ce qui semble devoir repousser l’agitation facile en France sur le spectre du communautarisme . Ce qui repousse aussi la nécessité d’en passer par des statistiques ethniques.

Il nous semble aussi que ce que l’on a appelé " l’intifada des banlieues " relève plus de la solidarité politique des jeunes français d’origine maghrébine que de l’identité figée à une communauté close. Si c’est le cas, le « spectre du communautarisme » (3) doit être revu. Mais qu’est-ce que le communautarisme ?

I - COMMUNAUTARISME : PREMIERS ELEMENTS POUR UN DEBAT

Se mettre d’accord sur la définition du communautarisme est essentiel pour avancer sur les débats qui lui sont liés. « J’importe » ici une définition provenant d’ATTAC.


A) Communautarisme : on connait l’insulte ou l’injure avant la définition.

Avant de savoir ce qu’est le communautarisme, non défini dans les dictionnaires, le français adepte de la télévision comprend qu’il fonctionne comme repoussoir si ce n’est comme insulte d’une communauté particulière au sein de la communauté française . La campagne présidentielle de Monsieur SARKOZY a même accentué cette dimension ( le communautarisme visé est essentiellement celui des musulmans, pas celui des juifs). Un tel usage polémique devrait inciter à un emploi justifié et prudent.

Dans le même registre pédagogique, le dictionnaire "Le Petit Alter" d’ATTAC indique d’emblée : « Le mot " communautarisme ", sujet à polémiques, n’est pas défini par les dictionnaires et les encyclopédies. Il est usité en France depuis le début des années 1980. Il a trouvé dans un contexte idéologique spécifique à ce pays plusieurs acceptions, et il est souvent connoté négativement, à la différence du terme " communauté " plutôt jugé de manière neutre, si ce n’est positive ».

B) Le communautarisme : idéologie, groupe de pression et organisation sociale.

Le dictionnaire "Le Petit Alter" précise ensuite que : "Le communautarisme est d’abord l’idéologie qui légitime une reconstruction de la société sur la base de regroupements de personnes, selon leurs origines, leur communauté d’origine : une manière de lobbying pour peser sur l’organisation sociale en faveur de tel ou tel groupe. Dans cette vision, ce qui prédomine est moins l’existence de normes de vie commune qu’une adhésion à une idée et à un but commun, par exemple politique. Dans certains cas, ce regroupement de personnes sur des critères identitaires et/ou religieux peut aboutir à des prescriptions spécifiques au groupe qui s’impose à ses membres.

Considérant qu’on ne peut parler de communautarisme que dans un espace au sein duquel existent plusieurs groupes sociaux organisés, on peut le définir comme l’organisation politique qui reconnaît l’existence de ces différentes communautés et respecte leur règles internes (le droit commun à tous est subordonné aux us et coutumes internes à chaque groupe)".

C) Cette conception entraîne de nombreux questionnements parmi lesquels :

 Une société démocratique avec un Etat laïque peut-elle être le produit d’une juxtaposition d’une mosaïque de communautés ?

 Comment peuvent se construire des valeurs universelles dépassant les valeurs de telle ou telle communauté ?

 La loi commune peut-elle s’opposer à une règle interne d’une communauté ; ou, inversement, une règle particulière peut-elle contrevenir à la loi commune ? Tels sont les cas, par exemple, de l’excision et de la polygamie.

 Un individu doit-il être identifié comme appartenant à une communauté particulière pour avoir les mêmes droits que tout le monde ? Ce problème est sous-jacent à toute classification selon la religion ou l’ethnie
d’origine.

 Quelle est la langue commune d’un espace pluri-communautaire ?


II - IDENTITE, APPARTENANCE, COMMUNAUTES

La solidarité idéologico-politique avec le peuple palestinien des jeunes des banlieues en révolte en 2005 relèvait plus du sentiment d’identification à un combat politique que d’une identité culturelle rigide, notamment au travers de l’adoption d’un islam radical.


A) COMMUNAUTARISME OU SOLIDARITE POLITIQUE

J’emprunte ici (à d’autres fins argumentatives) des distinctions faites par Philippe Zarifian dans « L’échelle du monde » (4) 1) LES IDENTITES COLLECTIVES EN CRISE

Les identités à la base des communautés sont en crise. La manifestation de cette crise en est le raidissement identitaire observé sous des formes variables ici ou là pour chacune d’elle qu’elle soit religieuse, de classe, de sexe, d’âge, de métier, d’ethnie ou de nation.

La multi-appartenance sur fond de mentalité "chat de gouttière" ( Edm p70) offre une perspective de sortie de crise, notamment en temps de guerres récurrentes et de crise écologique. Le métissage culturel est aussi une voie positive sous réserve d’ "enrichissement et confrontation critique" (Edm p183) notamment pour que la laïcité soit assurée et les droits des femmes respectés.

2) DES IDENTITES AUX APPARTENANCES

L’appartenance se fonde sur une identification au groupe, voire à la communauté, mais elle est plus modeste que l’identité. L’appartenance aide à nous situer. Elle est d’abord sociale. Nous appartenons à tel groupe (parti, syndicat, association) mais aussi à tel communauté (ethnique, nationale, salariale, mondiale) avec des cohérences ou des contradictions. L’appartenance est donc sans fermeture.

Plus souple que l’identité, l’appartenance permet de jouer des références de solidarité en fonction des enjeux. Tantôt sentir l’amitié entre les peuples en cas de guerre, tantôt sentir l’appartenance à la communauté d’intérêts des travailleurs salariés quand le capital pousse ses attaques contre les droits des salariés des précaires et des chômeurs. La mondialisation capital par les entreprises transnationales a étendu les rapports sociaux qui lui sont intrinsèquement liés. La lutte de classe loin de disparaître s’est accrue et mondialisée.

B) LE MYTHE DES GRANDES COMMUNAUTES EN France (5).

Le spectre du communautarisme est infondé. Du moins il ne porte pas sur les trois grandes communautés à base religieuse. Il joue à la marge.

3) SORTIR DE LA VISION DES TROIS COMMUNAUTES FONDAMENTALES

Dans une contribution au Monde Mouloud AOUNIT (1) écrit : "La France républicaine des années 2000 serait-elle composée de trois communautés, une majoritaire "catho-laïque" repliée sur elle-même, et deux minoritaires, juive et musulmane, qui seraient susceptibles de s’affronter à tout moment ?/" Le propos vise à sortir la lutte antiraciste de la sectorisation de la tribalisation. Ce qui est positif.

Mais le même propos devrait conduire à une vision plus contrastée des processus de communautarisation. En fait il n’y a pas plus UNE communauté catho-laique unifiée qu’ UNE communauté musulmane unifiée. On pourrait en dire de même pour les juifs de France. Sans doute y a-t-il des points communs qui justifient cette vision en trois communautés mais les différences voire les conflits internes semblent plus importants. Ce qui devrait inciter à relativiser la vision tricommunautaire bien rigide. D’autant que le fractionnement en de multiples sous communautés est renforcée par la diversité du religieux.

4) PRENDRE ACTE DE LA DIVERSITE DES INTERPRETATIONS RELIGIEUSES

Quand on évoque le "retour du religieux" on oubli pour les trois grandes religions monothéistes que l’unanimité d’interprétation des textes et plus encore que l’uniformité dans la diffusion des normes et prescriptions religieuses est un mythe. Au-delà d’un corpus fondateur de chacune, on repère rapidement en quelque sorte des "théologies" dans chaque religion et les pratiques qui en sont issues sont encore plus diverses dans chaque religion. La diversité domine tant au plan historique qu’au plan géographique. On trouvera donc pour chaque religion toute la gamme des visions du monde allant du libéral progressiste acquis relativement à la laïcité et à l’égalité des sexes aux visions réactionnaires, à l’intégrisme le plus violent.


5) PRENDRE ACTE DES EFFETS D’INTEGRATION

Il faudrait ajouter certains effets de la logique républicaine d’intégration-assimilation qui quoi qu’on en pense (elle est passible de vives et justes critiques) vient renforcer la tendance à mentalité laïque.

Ici et maintenant on ne peut plus aisément raciser la jeune fille voilée par simple effet de l’évidence avec le réel. Ce phénomène de racisation ne peut se produire que dans les sociétés ou islam et voile vont ensemble comme une "seconde nature". Au temps de la colonisation toutes les femmes étaient voilées (énormément du moins) et donc le "racisme anti-voile" était un réel racisme islamophobique (avant le mot) lié au colonialisme. Aujourd’hui le nombre de musulmanes non voilées est immensément supérieur à la petite minorité de jeunes filles voilées, et l’effet d’amalgame ne joue plus automatiquement. Pour beaucoup, la phobie discriminante est très circonscrite à l’objet-voile et ne saurait donc être, sauf délire paranoiaque, une islamophobie raciste.

Parler d’islamophobie non raciste - car très circonscrite à l’objet voile - laisse d’ailleurs entendre qu’il existe bien une islamophobie raciste. Mais c’est à l’analyse de le montrer. On ne peut recourir à l’évidence comme du temps de la colonisation.

Christian DELARUE

Secrétaire national du MRAP

1) Sur l’antiracisme tribal lire le texte de Mouloud AOUNIT sur le site du MRAP
Le Monde du 15 juin 2006

http://www.mrap.fr/interventions/monde

2) Concernant les minorités sexuelles lire :
"Pour une critique bienveillante de la notion de minorité" (le cas des
minorités sexuelles) par Sébastien CHAUVIN

http://sebchauv.free.fr/Sebastien_Chauvin_Notion_Minorit%E9.pdf

3) cf le texte de Michel FEHER intitulé « Le Proche-Orient hors des murs : Usages français du conflit israélo-palestinien » dans « De la question sociale à la question raciale » La découverte

4) Cf L’échelle du monde de Philippe Zarifian La Dispute 2004
Lire le CH 3 « De l’agonie des identités au métissage » et plus particulièrement en p 73 le paragraphe relatif à « l’ouverture de l’appartenance »

5) LE MYTHE DES GRANDES COMMUNAUTES EN FRANCE provient de « UN SIMPLE FOULARD ? UN VULGAIRE FICHU ? OU AUTRE CHOSE » site Bellaciao ou chrismondial blogg

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=54657