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B.FRIOT : Pour un imaginaire communiste du salaire 1

29 décembre 2007, 00:23

Aujourd’hui je complète le propos par des remarques de Jean-Marie HARRIBEY issues d’un texte en défense du travail dans les services publics

Le travail productif dans les services non marchands et l’impôt

http://www.france.attac.org/spip.php?article7995&artpage=3

EXTRAIT :

La monnaie, passerelle entre travail et lien social
Dans un article récent, Bernard Friot [2005] s’est référé à la thèse que je défends pour développer l’idée que les actifs ne font pas vivre les inactifs mais que les revenus qu’ils perçoivent (retraites, allocations chômage, etc.) sont la valeur que la société attribue au travail libre qu’ils effectuent. Plus précisément : « les cotisations sociales sont, de la même manière, non pas une part de la valeur attribuée au travail des producteurs du bien B, mais de la monnaie qui attribue de la valeur au travail des producteurs et des bénéficiaires des prestations sociales : le travail subordonné sous forme non capitaliste des infirmières et des médecins ou des travailleurs sociaux si le service de santé et le service social sont financés par les cotisations, le travail libre des membres des ménages bénéficiaires des allocations familiales et celui des chômeurs ou des retraités touchant des indemnités ou des pensions ».

Ce point de vue est selon moi critiquable pour au moins deux raisons.
D’une part, les cotisations sociales ne peuvent à la fois rémunérer les producteurs de services de soins et les bénéficiaires de ces soins. Les infirmières et les médecins produisent les soins, les malades les consomment.
D’autre part, la place donnée à la monnaie rompt avec une interprétation marxo-keynésienne de celle-ci et rejoint semble-t-il une interprétation essentialiste bien développée par Michel Aglietta et André Orléan [1982, 1998, 2002] qui entendent se passer de toute théorie de la valeur [8]. Ainsi, Friot écrit [2005] : « Le travail ne produit pas de valeur, il produit de la richesse ou de la nuisance ; la valeur est un attribut du travail et non pas un produit du travail. » Il y a ici, à mon sens, un oubli de la distinction entre travail concret et travail abstrait et un déni du travail abstrait en tant que créateur de la valeur. Ensuite, puisque la monnaie est l’instrument par lequel passe la validation sociale du travail collectif, Friot en tire la conclusion que tout revenu monétaire valide un travail productif. Or il s’agit d’un retournement abusif d’une implication logique qui n’est vraie que dans un seul sens : validation sociale du travail au sein du capitalisme  monnaie, mais non l’inverse. Friot ajoute : « Si nos PIB doublent tous les quarante ou cinquante ans en monnaie constante, ce n’est pas parce que les produits du travail (richesse et nuisance confondues) ont doublé en quantité ou en qualité : c’est parce que la valeur attribuée au travail a doublé. » Cette phrase est contradictoire. Si le PIB double en monnaie constante, c’est qu’il a doublé en volume, sinon « la valeur attribuée au travail » n’aurait pas pu doubler en monnaie constante (à partage salaires-profits inchangé), c’est-à-dire en termes de pouvoir d’achat.

De mon point de vue, Friot confond l’instrument par lequel s’exprime la validation du travail social – soit sur le marché, soit par décision publique – et le déterminant de la valeur des marchandises en général et de la force de travail en particulier, dont d’ailleurs Friot consacre la disparition puisqu’il propose de ne plus parler que de « travail » et de « valeur du travail ».
En rompant la dialectique entre valeur d’usage et valeur d’échange, Friot ne peut plus considérer que la valeur d’usage est une condition nécessaire de la valeur, une « porte-valeur ». Autrement dit, les individus n’ont plus besoin de participer au processus de production de valeur d’usage pour être productif de valeur : le sourire de l’handicapé pour remercier le personnel soignant des services que celui-ci lui rend pourrait-il alors être considéré comme du « travail » ? Cette thèse serait intenable. Par bien des côtés, elle rejoint celles défendues par Michael Hardt et Toni Negri [2000] qui voient du travail productif partout, même dans la file d’attente des chômeurs devant l’Agence de l’emploi. [9]