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Contre la dictature de la bourgeoisie et du capitalisme : la démocratie prolétarienne !

23 juin 2008, 00:15

Rendons à César ce qui est à Gorkin :

Situation du mouvement ouvrier et du socialisme

XI. CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Nous avons déjà noté plus haut à quelles conditions la crise générale du mouvement ouvrier et du socialisme peut être porteuse de promesses. Nous allons soumettre à présent au critère des militants ouvriers et socialistes
quelques conclusions générales susceptibles d’être corrigées et élargies.

1. Voyons, pour commencer, la question de la désignation. Elle est d’une importance indiscutable si nous voulons nous caractériser et nous distinguer face aux masses. Il faut renoncer à la dénomination de « communistes », même si beaucoup d’entre nous ne renoncent pas à se considérer comme tels, parce qu’une telle dénomination a été, est toujours, déshonorée par les communistes staliniens. Il ne faut pas entretenir la moindre confusion là-dessus. Nous ne pouvons pas, et pour une raison similaire, nous qualifier de « socialistes » tout court. Eu égard à l’histoire, mais aussi à l’avenir, la confusion n’est pas possible avec ceux qui, s’appelant socialistes, ont constamment trahi la classe ouvrière et le socialisme et le referont demain. Par conséquent, je propose la dénomination de socialistes révolutionnaires et socialistes libertaires. En effet, le socialisme ne peut être que révolutionnaire et libertaire : par la révolution il doit réaliser la liberté de l’individu et la liberté humaine. Cette dénomination me semble la plus juste et la plus appropriée.

2. Contre la tentative d’établir une pensée dirigée, susceptible de mener à un totalitarisme « socialiste », il faut proclamer la nécessité d’une pensée libre au sein du mouvement ouvrier. Le socialisme est synonyme de liberté ou il n’est pas. Et ceci n’est pas seulement valable au cours de la période révolutionnaire mais encore, et surtout, au moment de la victoire de la révolution, et après. Par liberté, nous entendons, selon la formule de Rosa Luxemburg, la liberté de ceux qui ne pensent pas comme nous.

3. Nous nous déclarons ennemis absolus de la soumission du mouvement ouvrier et de la révolution socialiste aux intérêts étroits d’un parti, quand bien même celui-ci prétendrait représenter — et pourrait représenter effectivement — la volonté majoritaire du prolétariat. Cela signifie que nous n’admettons pas la conception du parti unique, puisque ce dernier — qui peut être, au début, le meilleur des partis — recèle les germes fatals du totalitarisme. Au parti unique nous opposons la liberté des travailleurs à s’organiser dans les partis qu’ils voudront et le plein droit de ces partis à l’existence, à penser et à agir comme ils le croiront approprié, dans le cadre de la démocratie ouvrière. Aux partis monolithiques nous opposons la démocratie, la pensée libre et créatrice à l’intérieur des partis. En leur sein existeront fatalement des majorités et des minorités:la discipline dans l’action sera sans doute nécessaire, mais sans la suppression, aussi provisoire qu’elle soit, des droits et de la pensée libre des tendances minoritaires ou des individus.

4. Notre socialisme est profondément humaniste, non seulement parce qu’il défend à tout instant les droits humains — avant, pendant et après la révolution — mais aussi parce que lui seul peut « réaliser » l’humanité sans classes ni antagonismes de classes et comme un tout harmonieux et social.

5. Nous proposons fermement l’adoption de la formule démocratie ouvrière et socialiste au lieu du mot d’ordre traditionnel de dictature du prolétariat Cela ne veut pas dire que flous renions la dictature du prolétariat en tant qu’elle suppose la destruction révolutionnaire du pouvoir économique et Politique de la bourgeoisie, les mesures et les moyens de défense du nouveau régime. Même la majorité des anarchistes admet aujourd’hui cette nécessité transitoire Mais la dictature du prolétariat est associée dans l’esprit des masses à l’expérience russe, qui n’a jamais été une authentique dictature du prolétariat mais la dictature d’un parti sur le prolétariat, même si le premier a pu interpréter la volonté majoritaire du second La formule « démocratie ouvrière et socialiste » nous paraît plus complète et plus parfaite. Celle-ci a le droit, et le devoir, de se défendre à tout instant et contre tous ses ennemis. Elle ne sera une véritable démocratie ouvrière et socialiste que du moment où elle aura détruit
politiquement et socialement ses ennemis. Mais tous les partis, toutes les organisations, toutes les tendances et tous les individus révolutionnaires, démocratiques et socialistes ont le droit d’intervenir dans son organisation, dans sa défense, dans son évolution progressive et son perfectionnement. On ne refusera à personne, en son sein, la liberté de penser ni la manifestation de cette pensée, dès l’instant qu’elle ne porte pas atteinte à l’existence même de la révolution démocratique socialiste ou qu’elle ne la met en danger. La seule limite pourrait être la suivante : pas de liberté pour détruire la liberté.

6. Une démocratie ouvrière et socialiste ainsi conçue pose aussitôt le problème des organes de pouvoir. Quels seront ces organes ? Le nom importe peu. Conseils, comités, municipalités, communes, juntes ? En Russie, on eut des soviets. Ils auraient pu être les organes démocratiques du pouvoir ouvrier s’ils n’avaient pas été soumis, presque automatiquement, à la dictature du parti bolchevik Ce qui importe fondamentalement, c’est la forme d’élection de ces organes de pouvoir et les garanties qu’ils auront quant à leur fonction. Leur forme d’élection démocratique ne peut être autre que celle du suffrage libre et direct exercé par les individus qui constituent la masse du peuple producteur, en y englobant tous les individus qui remplissent une fonction sociale utile. Tous les partis intégrant la démocratie ouvrière ont le droit de présenter leurs candidats et de défendre librement leurs programmes Le corps électoral a un droit de contrôle sur les organes et sur les individus élus. Ce système peut s’appliquer, de bas en haut, pour l’élection et le contrôle des organes locaux, régionaux, provinciaux et généraux. Aucune fonction publique ne pourra échapper au contrôle démocratique du peuple. Ce n’est qu’à ce prix qu’on pourra sauvegarder la démocratie socialiste et éviter la bureaucratisation du nouveau régime. On ne prendra jamais trop de mesures, à notre sens, pour enrayer ce mal.

7. En même temps que la nécessité d’organiser les partis socialistes révolutionnaires, il faudra affronter la nécessité d’organiser une Internationale socialiste révolutionnaire. Disons, pour commencer, que l’ère des révolutions nationales est close. Les révolutions modernes, socialistes, ne peuvent triompher que comme des révolutions internationales. La révolution qui a triomphé en Russie en 1917 s’est conclue par un échec non seulement par ses défauts intérieurs mais encore et avant tout à cause de l’absence d’une révolution internationale. Seule une révolution internationale pouvait garantir le développement et le salut de la révolution russe. Enfermée dans ses frontières nationales, malgré les sympathies du prolétariat mondial, elle a fini par se bureaucratiser et, au bout du compte, par perdre la partie. Seule une révolution politique intérieure — une révolution profondément démocratique et libertaire — qui coïnciderait avec une révolution sociale internationale pourra sauver le peuple soviétique du totalitarisme stalinien. La révolution espagnole échoua elle aussi, en dépit de l’héroïsme populaire, à cause de l’absence de solidarité active et révolutionnaire du prolétariat international. Ces deux exemples, parmi beaucoup d’autres de moindre importance, suffisent à justifier notre thèse internationaliste. Nous croyons franchement que la guerre actuelle ouvre une crise révolutionnaire générale, c’est-à-dire un véritable cycle de révolutions internationales. Dans n’importe quel pays du globe où se produira la révolution socialiste — ou une révolution progressiste, qui peut ne pas être socialiste dans sa première phase — elle devra bénéficier immédiatement, par-dessus et contre les intérêts des bourgeoisies nationales, de la ferme solidarité, et par tous les moyens, de la classe travailleuse internationale. Seule l’Internationale socialiste révolutionnaire pourra diriger efficacement une telle action de solidarité. Pour son organisation, celle-ci ne devra tomber ni dans le « nationalisme » démocratique bourgeois de la IIe Internationale — en sacrifiant les intérêts internationaux du prolétariat des autres pays à ceux de chaque parti national — ni dans le monolithisme bureaucratique de la IIIe Internationale, laquelle a prétendu transformer les travailleurs des autres pays en une masse de manœuvre au service de la politique extérieure de l’État russe. C’est pour ces raisons qu’aucune d’entre elles n’a été une véritable et authentique Internationale. L’lnternationale socialiste révolutionnaire devra tenir compte de la situation réelle de chaque pays et des caractéristiques particulières à chaque peuple et à chaque prolétariat, mais sans que la détermination de sa pensée et de son action conformément aux nécessités et aux intérêts du prolétariat ne soit un inconvénient. Elle devra être, en même temps, une somme de partis « nationaux » et un parti mondial du prolétariat. Nous avons déjà défini ailleurs le caractère démocratique qui doit informer les partis. Le même caractère démocratique doit informer aussi la nouvelle Internationale.

Cet essai n’a et ne peut avoir d’autre prétention que celle d’offrir une esquisse générale relativement à la situation du mouvement ouvrier et du socialisme. Les grands problèmes que pose la guerre et ceux que posera l’après-guerre sont encore à étudier. Ainsi que les nouvelles caractéristiques et tendances de l’économie mondiale. Et les nouveaux contours des classes sociales et de leur relation entre elles. Par exemple : l’importance des techniciens et le problème de leur attraction ou conquête par le prolétariat. Et les changements dans la question coloniale. C’est à nous autres, socialistes révolutionnaires, que l’histoire propose ces problèmes-là. Sans leur étude préalable, il serait puéril d’essayer de traiter ici des circonstances révolutionnaires du futur et encore plus de tenter d’établir des normes en prévision de ces circonstances. Ce que nous pouvons faire, tout au plus, c’est d’indiquer, à la lumière des expériences vécues, des idées et des principes généraux. C’est la révolution elle-même qui se chargera de tracer les véritables normes révolutionnaires. Ce sera là un travail de création collective, auquel la plus modeste contribution individuelle pourra constituer un motif d’orgueil légitime.

JULIAN GORKIN

Mexico, DF juillet 1943

Traduit de l’espagnol par Miguel Chueca

« Publié opportunément par AGONE, n° 37, 2007, La joie de servir »