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TOUJOURS SUR LA DECROISSANCE BABEUF42

3 septembre 2008, 12:32

"Slt Bernard

"Ne pas être sectaire" - oui ,soit. Bon, et quand bien même, d’abord - ça
voudrait dire quoi être sectaire ? et dans quel cadre ? bref.

C’est pas parce qu’on a l’intention, louable, de ne pas être sectaire ( moi
non plus je ne suis pas sectaire je lis tout et tout le monde, surtout les
trucs de droite ) c’est pour soi, c’est pas pour faire de la propagande pour
des ennemis idéologiques, surtout sur nos moyens de communication.

Si c’est ça être "sectaire" ? Non moi j’appelle ç a "ne pas être con". Les
VErts propagent ils les idées et la théorie communistes sur leurs sites ?
NON. La plupart d’entre eux sont des anticommunistes viscéraux !

Les Verts français, je me garde de dire crûment ce que j’en pense - je vais
le dire politiquement : d’un point de vue marxiste léniniste ce sont des
alliés + ou - objectifs du capital, d’un point de vue institutionnel, ce
sont des gens de centre droit.

Si le Mr de la LCR chez qui tu as lu ça estime qu’il est de son devoir de
propager de telles opinions ( au sens strcict) ça le regarde - mais ça me
confirme dans ce que je pense : la qualité du recrutement et de la formation
à la LCR baisse- depuis qu’ils ont eux aussi abandonné la "dictature du
prolétariat". C’est bien dommage - le vieux Léon doit se retourner sur son
pic à glace ....

Ne pas être sectaire dans les luttes et face au capital c’est une chose -
reproduire ici les âneries des Verts... Tiens, moi j’ai trouvé autre chose,
en termes critiques, un peu "mieux" je pense sur le site
"decroissance.info"...(En
termes de présentation "positive", sur les "tenants" de la décroissance, en
effet, les sites ladecroissance.net, ou decroissance.org sont pas mal, mais
ça aurait tendance à me confirmer dans mes a priori - je range ça dans le
même sac que Naomi Klein).

On continue les recherches

A plus

La Louve


" La « décroissance », c’est l’administration du désastre et la soumission
durable !

Chapitre XXIV

Si l’on s’en tenait à la formule de Nougé (« l’intelligence doit avoir un
mordant. Elle attaque un problème »), on serait tenté de n’accorder qu’une
intelligence fort médiocre à Latouche, principal penseur de la « 
décroissance », cette idéologie qui se donne pour une critique radicale du
développement économique et de ses sous-produits « durables ». Il fait
montre en effet d’un talent bien professoral, confinant parfois au génie,
pour affadir tout ce qu’il touche et faire de n’importe quelle vérité
critique, en la traduisant en novlangue décroissante, une platitude insipide
et bien-pensante. Il ne faudrait pas cependant lui attribuer tout le mérite
d’une fadeur doucereusement édifiante qui est surtout le résultat d’une
sorte de politique : celle par laquelle la gauche de l’expertise cherche à
mobiliser des troupes en rassemblant tous ceux qui veulent croire qu’on
pourrait « sortir du développement » (c’est-à-dire du capitalisme) tout en y
restant. Ce n’est donc pas en tant qu’œuvre personnelle que nous évaluerons
les écrits de Latouche (à cet égard, le génie de la langue est plus cruel
que n’importe quel jugement : sa prose lui rend justice). Qu’une telle eau
tiède, sur laquelle surnagent tous les clichés du citoyennisme
écocompatible, puisse passer pour porteuse d’une quelconque subversion -
fut-elle « cognitive » -, voilà qui donne seulement la mesure du conformisme
ambiant. En revanche, pour ce qui nous intéresse ici, Latouche est parfait :
il sait magistralement flatter la bonne conscience et entretenir les
illusions du petit personnel qui s’affaire déjà à « tisser du lien social »,
et qui se voit accédant bientôt à l’encadrement dans l’administration du
désastre. C’est ce qu’il appelle lui-même, en tête de son dernier bréviaire
(Petit Traité de la décroissance sereine, 2007), fournir « un outil de
travail utile pour tout responsable associatif ou politique engagé, en
particulier dans le local ou le régional ».

Le programme de la décroissance, tel que Latouche le propose donc au
citoyennisme décomposé comme à l’écologisme en quête de recomposition, n’est
pas sans évoquer celui tracé en 1995 par l’Américain Rifkin, dans son livre
La Fin du travail. Il s’agissait déjà « d’annoncer la transition vers une
société post-marchande et post-salariale » par le développement de ce que
Rifkin nomme le « tiers secteur » (c’est-à-dire en gros ce qu’on appelle en
France « mouvement associatif » ou « économie sociale »), et pour ce faire
de lancer un « mouvement social de masse », « susceptible d’excercer une
forte pression à la fois sur le secteur privé et sur les pouvoirs publics »,
« pour obtenir le transfert d’une partie des énormes bénéfices de la
nouvelle économie de l’information dans la création de capital social et la
reconstruction de la société civile ». Mais chez les décroissants, on compte
plutôt sur les dures nécessités de la crise écologique et énergétique, dont
on se propose de faire autant de vertus, pour exercer « une forte pression »
sur les industriels et les Etats. En attendant, les militants de la
décroissance doivent prêcher par l’exemple, se montrer pédagogiquement
économes, en avant-garde du rationnement baptisé « simplicité volontaire ».

Précisément parce que les décroissants se présentent comme porteurs de la
volonté la plus déterminée de « sortir du développement », c’est chez eux
que se mesurent le mieux à la fois la profondeur du regret d’avoir à le
faire (renversé en autoflagellation et en commandements vertueux) et
l’enfermement durable dans les catégories de l’argumentation « scientifique
 ». Le fatum thermodynamique soulage heureusement du choix de l’itinéraire à
emprunter : c’est la « loi de l’entropie » qui impose comme seule « 
alternative » la voie de la décroissance. Avec cet œuf de Colomb, pondu par
leur « grand économiste » Georgescu-Roegen, les décroissants sont sûrs de
tenir l’argument imparable qui ne peut que convaincre industriels et
décideurs de bonne foi. A défaut de quoi, les conséquences, prévisibles et
calculables, sauront les contraindre à faire les choix qui s’imposent (comme
dit Cochet, dont Latouche aime à citer le livre Pétrole apocalypse : « A
cent dollars le baril de pétrole, on change de civilisation. »).

Qualifier la société de thermo-industrielle permet aussi de négliger tout ce
qui d’ores et déjà s’y produit en matière de coercitions et d’embrigadement,
sans contribuer, ou si peu, à l’épuisement des ressources énergétiques. On
passe d’autant plus volontiers là-dessus qu’on y trempe soi-même, à
l’Education nationale ou ailleurs. Attribuer tous nos maux au caractère « 
thermo-industriel » de cette société est donc assez confortable, en même
temps qu’assez simpliste pour combler les appétits critiques des niais et
des crétins arrivistes, déchets ultimes de l’écologisme et du « mouvement
associatif », qui font la base de la décroissance. C’est le souci de ne pas
brusquer cette base avec des vérités trop rudes, de lui faire miroiter une
transition en douceur vers « l’ivresse joyeuse de l’austérité partagée » et
le « paradis de la décroissance conviviale » qui amène Latouche, lequel
n’est tout de même pas si bête, à de telles pauvretés volontaires, prudences
de tournée électorale ou d’encyclique pontificale : « Il est de plus en plus
probable qu’au-delà d’un certain seuil, la croissance du PNB se traduise par
une diminution du bien-être » ; ou encore, après s’être aventuré jusqu’à
imputer au « système marchand » la désolation du monde : « Tout cela
confirme les doutes que nous avions émis sur l’écocompatibilité du
capitalisme et d’une société de décroissance. » (Le Pari de la décroissance,
2006)

Car, même si la plupart des décroissants ont jugé prématuré ou maladroit de
créer formellement un « Parti de la décroissance », et préférable de « peser
dans le débat », il y a bien là une sorte de parti qui ne dit pas son nom,
avec sa hiérarchie informelle, ses militants de base, ses intellectuels et
experts, ses dirigeants et fins politiques. Tout cela baigne dans les
vertueuses conventions d’un citoyennisme qu’on se garde de choquer par
quelque outrance critique : il faut surtout ne froisser personne au Monde
diplomatique, ménager la gauche, le parlementarisme (« Le rejet radical de
la ’’ démocratie ’’ représentative a quelque chose d’excessif », ibid.), et
plus généralement le progressisme en se gardant de jamais paraître
passéiste, technophobe, réactionnaire. La « transition » vers la « sortie du
développement » doit donc rester assez vague pour ne pas interdire les
combinaisons et les arrangements de ce que l’on dénonce rituellement sous le
nom de « politique politicienne » : « Les compromis possibles sur les moyens
de la transition ne doivent pas faire perdre de vue les objectifs sur
lesquels on ne peut transiger. » (Petit traité de la décroissance sereine,
2007.) Ces objectifs sont psalmodiés par Latouche dans un style digne de
l’école des cadres du Parti : « Rappelons ces huit objectifs interdépendants
susceptibles d’enclencher un cercle vertueux de décroissance, sereine,
conviviale et soutenable : réévaluer, reconceptualiser, restructurer,
redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler. » (Ibid.) Quant à
réutiliser et recycler, Latouche donne sans attendre l’exemple en rabâchant
et ressassant d’un livre à l’autre les mêmes vœux pieux, statistiques,
indices, références, exemples et citations. Tournant en rond dans son « 
cercle vertueux », il cherche cependant à innover et a ainsi enrichi son
catalogue de deux « R » (reconceptualiser et relocaliser) depuis l’époque où
le fier projet de « défaire le développement, refaire le monde » s’élaborait
sous l’égide de l’Unesco (cf. Survivre au développement, 2004). On comprend
dès lors assez mal l’absence d’un neuvième commandement, (se) réapproprier,
désormais récuré de tout relent révolutionnaire (l’antique « Exproprions les
expropriateurs ! ») ; ainsi décontaminé, il va pourtant comme un gant fait
main à l’expéditive entreprise de récupération à laquelle se livrent les
décroissants pour se bricoler, vite fait, une galerie d’ancêtres
présentables (où figure maintenant « une tradition anarchiste au sein du
marxisme, réactualisée par l’Ecole de Francfort, le conseillisme et le
situationnisme », Petit traité...).

Selon Latouche, le « pari de la décroissance (...) consiste à penser que
l’attrait de l’utopie conviviale combiné au poids des contraintes au
changement est susceptible de favoriser une ’’ décolonisation de
l’imaginaire ’’ et de susciter suffisamment de ’’ comportement vertueux ’’
en faveur d’une solution raisonnable : la démocratie écologique » (Le Pari
de la décroissance). Si, en fait de « contraintes au changement », on voit
bien à quoi peuvent servir les décroissants - à relayer par leurs appels à
l’autodiscipline la propagande pour le rationnement, afin que, par exemple,
l’agriculture industrielle ne manque pas d’eau pour l’irrigation -, on
discerne en revanche assez mal quel attrait pourrait exercer une « utopie »
dont le « programme quasi électoral » fait une place au bonheur et au
plaisir en proposant d’ « impulser la ’’ production ’’ de biens relationnels
 ». Certes on se méfierait de trop lyriques envolées sur les lendemains qui
décroissent. On n’y est guère exposé lorsque ces besogneux, coiffés de leur
bonnet de nuit, exposent avec un entrain d’animateur socioculturel leurs
promesses de « joie de vivre » et de sérénité conviviale. Leurs pitoyables
tentatives de mettre un peu de fantaisie dans leur austérité sont aussi
inspirées que celles de Besset chantant les beautés du surréalisme à la
manière d’un sous-préfet inaugurant une médiathèque René-Char à
Lamotte-Beuvron. Le bonheur semble une idée si neuve pour ces gens, l’idée
qu’ils s’en font paraît tellement conforme aux joies promises par un festin
macrobiotique, qu’on ne peut que supposer qu’ils se font eux-mêmes mourir
d’ennui ou que quelque casseur de pub leur en a fait la remarque. Ils
s’emploient désormais, notamment dans leur revue « théorique » Entropia, à
montrer qu’ils raffolent de l’art et de la poésie. On voit déjà l’affichette
et les flyers (« Dimanche après-midi à la Maison des associations de
Moulins-sur-Allier, de 15h30 à 17 heures, le club des poètes locaux et
l’association des sculpteurs bretons se livreront à une amusante
performance, suivie d’un goûter bio »).

L’idéologie de la décroissance est née dans le milieu des experts, parmi
ceux qui, au nom du réalisme, voulaient inclure dans une comptabilité « 
bioéconomique » ces « coûts réels pour la société » qu’entraîne la
destruction de la nature. Elle conserve de cette origine la marque
ineffaçable : en dépit de tous les verbiages convenus sur le « 
réenchantement du monde », l’ambition reste, à la façon de n’importe quel
technocrate à la Lester Brown, « d’internatiser les coûts pour parvenir à
une meilleure gestion de la biosphère ». Le rationnement volontaire est
prôné à la base, pour l’exemplarité, mais on en appelle au sommet à des
mesures étatiques : redéploiement de la fiscalité (« taxes environnementales
 »), des subventions, des normes. Si l’on se risque parfois à faire
profession d’anticapitalisme - dans la plus parfaite incohérence avec des
propositions comme celle d’un « revenu minimum garanti », par exemple - on
ne s’aventure jamais à se déclarer anti-étatiste. La vague teinte libertaire
n’est là que pour ménager une partie du public, donner une touche de
gauchisme très consensuel et « antitotalitaire ». Ainsi l’alternative
irréelle entre « écofascisme » et « écodémocratie » sert surtout à ne rien
dire de la réorganisation bureaucratique en cours, à laquelle on participe
sereinement en militant déjà pour l’embrigadement consenti, la
sursocialisation, la mise aux normes, la pacification des conflits. Car la
peur qu’exprime ce rêve puéril d’une « transition » sans combat est, bien
plus que celle de la catastrophe dont on agite la menace pour amener les
décideurs à résipiscence, celle des désordres où liberté et vérité
pourraient prendre corps, cesser d’être des questions académiques. Et c’est
donc très logiquement que cette décroissance de la conscience finit par
trouver son bonheur dans le monde virtuel, où l’on peut sans se sentir
coupable voyager « avec un impact très limité sur l’environnement »
(Entropia, n°3, automne 2007) ; à condition toutefois d’oublier qu’en 2007,
selon une étude récente, « le secteur des technologies de l’information, au
niveau mondial, a autant contribué au changement climatique que le transport
aérien » (Le Monde, 13-14 avril 2008).

Chapitre XXV

Aussi éloigné de toute outrance Latouche sache-t-il se montrer dans
l’accomplissement de son « devoir d’iconoclastie », la décroissance n’en a
pas moins ses révisionnistes, qui l’invitent à oser paraître ce qu’elle est
et à remiser une fois pour toutes un accoutrement subversif qui lui va si
mal : « Une première proposition pour consolider l’idée d’une décroissance
pacifique serait un renoncement clair et sans équivoque à l’objectif
révolutionnaire. Casser, détruire ou renverser le monde industriel me semble
non seulement une lubie dangereuse, mais un appel caché à la violence, tout
comme l’était la volonté de supprimer les classes sociales dans la théorie
marxiste. » (Alexandre Genko, « La décroissance, une utopie sans danger ? »,
Entropia n°4, printemps 2008.) Même un Besset, pourtant porte-plume de Hulot
et défenseur du « Grenelle de l’environnement » comme « premier pas dans une
démarche de transition vers la mutation écologique, sociale et culturelle de
la société », a du mal après cela à surenchérir de modération : « Face à
l’ampleur et à la complexité de la tâche, ce ne sont certainement pas les
projections verbeuses ou les catéchismes révolutionnaires qui s’avèreront
d’un grand secours. (...) On a beau habiller la décroissance d’adjectifs
sympathiques - conviviale, équitable, heureuse -, l’affaire ne se présente
pas avec le sourire (...) les transitions vont être redoutables, les
arrachements douloureux. » (Ibid.) Ces vertes remontrances disent à leur
façon assez bien en quoi les recommandations décroissantes ne constituent
d’aucune façon un programme dont il y aurait lieu de discuter le contenu, et
quelle est la partition imposée sur laquelle elles essaient de jouer leur
petite musique (decrescendo cantabile), en guise d’accompagnement de fin de
vie pour une époque de la société industrielle : un « nouvel art de
consommer » dans les ruines de l’abondance marchande [1].

L’image que se faisait de lui-même ce que l’on appelait naguère le « monde
libre » n’avait en fait guère varié depuis Yalta : ce conformisme
démocratique, bardé de ses certitudes, de ses marchandises et de ses
technologies désirables, avait certes été brièvement ébranlé par des
troubles révolutionnaires autour de 1968, mais la « chute du mur » avait
semblé lui assurer une sorte d’éternité (in avait expéditivement parlé de « 
fin de l’histoire »), et l’on croyait pouvoir se féliciter de ce que les
cousins pauvres veuillent accéder à leur tour et au plus vite à semblables
délices. Il a cependant fallu par la suite commencer à s’inquiéter du nombre
des cousins, surtout des plus lointains, et à se demander s’ils faisaient
vraiment partie de la famille, quand ils se sont mis à accroître
inconsidérablement leur « empreinte carbone ». Ce dont tout le monde
s’alarme désormais, ce n’est plus seulement du scénario classique de
surpopulation, où, en dépit des gains de productivité, les ressources
alimentaires s’avèreraient insuffisantes à pourvoir aux besoins des
surnuméraires, mais d’une configuration inédite dans laquelle, à population
constante, la menace provient d’un trop-plein de modernes vivant de façon
moderne : « Si les Chinois ou les Indiens doivent vivre comme nous... » Face
à ce « réel catastrophique », les panacées technologiques que l’ont fait
encore miroiter (fusion nucléaire, transgénèse humaine, colonisation des
océans, exode spatial vers d’autres planètes) n’ont guère l’allure d’utopies
radieuses, sauf pour quelques illuminés, mais plutôt de palliatifs qui
viendraient de toute façon beaucoup trop tard. Il reste donc à prêcher « 
âpres renoncements » et « arrachements douloureux » à des populations qui
vont devoir « descendre de plusieurs degrés dans l’échelle de
l’alimentation, des déplacements, des productions, des modes de vie »
(Besset) ; et, vis-à-vis des nouvelles puissances industrielles, à revenir
au protectionnisme au nom de la lutte contre le « dumping écologique », en
attendant qu’émerge là aussi une relève plus consciente des « coûts
environnementaux » et des mesures à prendre (réorientation qu’incarne en
Chine le désormais ministre Pan Yue).

Les « contraintes du présent » que se plaît à seriner le réalisme des
experts sont exclusivement celles qu’imposent le maintien et la
généralisation planétaire d’un mode de vie industriel condamné. Qu’elles ne
s’exercent qu’à l’intérieur d’un système des besoins dont le démantèlement
permettrait de retrouver, sous les complications démentes de la société
administrée et de son appareillage technologique, les problèmes vitaux que
la liberté peut seule poser et résoudre, et que ces retrouvailles avec des
contraintes matérielles affrontées sans intermédiaires puissent être, en
elles-mêmes, tout de suite, une émancipation, voilà des idées que personne
ne se risque à défendre franchement et nettement, parmi tous ceux qui nous
entretiennent des immenses périls créés par notre entrée dans
l’anthropocène. Quand quelqu’un se hasarde à évoquer timidement quelque
chose dans ce sens, que peut-être ce ne serait par un renoncement bien
douloureux que de se priver des commodités de la vie industrielle, mais au
contraire un immense soulagement et une sensation de revivre enfin, il
s’empresse en général de faire machine arrière, conscient qu’il sera taxé de
terrorisme anti-démocratique, voire de totalitarisme ou d’écofascisme, s’il
mène ses raisonnements à leur terme ; de là cette profusion d’ouvrages où
quelques remarques pertinentes sont noyées dans un océan de considérations
lénifiantes. Il n’y a presque plus personne pour concevoir la défense de ses
idées, non comme une banale stratégie de conquête de l’opinion sur le modèle
du lobbying, mais comme un engagement dans un conflit historique où l’on se
bat sans chercher d’autre appui qu’un « pacte offensif et défensif avec la
vérité », selon le mot d’un intellectuel hongrois en 1956. Ainsi on ne peut
qu’être atterré par l’unification des points de vue, l’absence de toute
pensée indépendante et de toute voix réellement discordante. Si l’on
considère l’histoire moderne, ne serait-ce que celle du siècle dernier, on
est pris de vertige à constater d’une part la variété et l’audace de tant de
positions, d’hypothèses et d’avis contradictoires, quels qu’ils aient été,
et d’autre part ce à quoi tout cela est maintenant réduit. Au lavage de
cerveau auquel se sont livrés sur eux-mêmes tant de protagonistes toujours
vivants répondent au mieux des travaux historiques parfois judicieux, mais
qui semblent relever plutôt de la paléontologie ou des sciences naturelles,
tant ceux qui les mènent paraissent loin d’imaginer que les éléments qu’ils
mettent au jour pourraient avoir quelque usage critique aujourd’hui.

Le goût de la conformité vertueuse, la haine et la peur panique de
l’histoire, sinon comme caricature univoque et fléchée, ont atteint un point
tel qu’à côté de ce qu’est aujourd’hui un citoyenniste, avec ses
indignations calibrées et labellisées, son hypocrisie de curé, sa lâcheté
devant tout conflit direct, n’importe quel intellectuel de gauche des années
cinquante ou soixante passerait presque pour un farouche libertaire
débordant de combativité, de fantaisie et d’humour. A observer une telle
normalisation des esprits, on en arriverait à l’action d’une police de la
pensée. En fait l’adhésion au consensus est le produit spontané du sentiment
d’impuissance, de l’anxiété qu’il entraîne, et du besoin de rechercher la
protection de la collectivité organisée par un surcroît d’abandon à la
société totale. La mise en doute de n’importe laquelle des certitudes
démocratiquement validées par l’assentiment général - les bienfaits de la
culture par Internet ou ceux de la médecine de pointe - pourrait laisser
soupçonner une déviation par rapport à la ligne de l’orthodoxie admise,
peut-être même une pensée indépendante, voir un jugement portant sur la
totalité de la vie aliénée. Et qui est-on pour se le permettre ? Tout cela
n’est pas sas rappeler d’assez près la maxime de la soumission militante,
perinde ac cadaver, ainsi que l’avait formulée Trotski : « Le Parti a
toujours raison. » Mais alors que dans les sociétés bureaucratiques
totalitaires la contrainte était ressentie comme telle par les masses, et
que c’était un redoutable privilège des militants et des apparatchiks de
devoir croire à la fiction d’un choix possible - pour ou contre la patrie
socialiste, la classe ouvrière, le Parti -, c’est-à-dire d’avoir à mettre
constamment à l’épreuve une orthodoxie jamais assurée, ce privilège est
maintenant démocratisé, quoique avec moins d’intensité dramatique : pas
question de s’opposer au bien de la société, ou à ce qu’elle y déclare
nécessaire. C’est un devoir civique que d’être en bonne santé,
culturellement à jour, connecté, etc. Les impératifs écologiques sont
l’ultime argument sans réplique. Qui ne s’opposerait à la pédophilie,
certes, mais surtout qui s’opposerait au maintien de l’organisation sociale
qui permettra de sauver l’humanité, la planète et la biosphère ? Il y a là
comme une aubaine pour un caractère « citoyen » déjà bien trempé et répandu.

En France, il est notable que la que la soumission apeurée prend une forme
particulièrement pesante, quasi pathologique ; mais il n’est pas besoin pour
l’expliquer de recourir à la psychologie des peuples : c’est tout simplement
qu’ici le conformisme doit en quelque sorte travailler double pour
s’affermir dans ses certitudes. Car il lui faut censurer le démenti que leur
a infligé par avance, il y a déjà quarante ans, la critique de la société
moderne et de son « systèmes d’illusions » que portait la tentative
révolutionnaire de Mai 1968, et qu’elle a fait fugitivement accéder à la
conscience collective, en l’inscrivant dans l’éphémère espace public
qu’avait créé son existence sauvage. Un rival décroissant de Latouche, qui
s’affirme plus nettement « républicain » et « démocrate », c’est-à-dire
étatiste et électoraliste, redoute ainsi que des « thèses et des pratiques
extrémistes, maximalistes » viennent renforcer dans la jeunesse des travers
qui lui seraient propres, « comme la haine de l’institution ou le rejet en
bloc de la société » (Vincent Cheynet, Le Choc de la décroissance, 2008)

René Riesel et Jaime Semprun. (avril 2008)"

http://www.decroissance.info/La-decroissance-c-est-l