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"Les anarchistes et l’expérience de la révolution russe", par Victor SERGE - extraits

6 mars 2009, 15:37

Et encore ceci, même endroit, très intéressant je trouve...

"3. Une définition du bolchevisme

Telle qu’elle est, la révolution sociale en Russie - et partout ailleurs où elle a commencé - est en grande partie l’œuvre du bolchevisme.

Comme toutes les conclusions historiques, celle-ci comporte quelque injustice.

On semble, en la formulant, méconnaître les immenses, les magnifiques efforts de tous ceux qui, avant l’heure du bolchevisme, ont fait la révolution : propagandistes et terroristes socialiste-révolutionnaires dont la vaillance se prodigua ; anarchistes, mencheviks, que n’arrêta aucune persécution.

Il faudra plus tard, en refaisant l’histoire de ces époques troublées, rendre justice à tous.

En attendant, la vie ne récompense que ceux qui ont vaincu. Survivre et vaincre, c’est le grand mérite.

Or, tous les autres ont défailli ou se sont trompés au dernier moment ; les bolcheviks, eux, ont osé. Tout est là.

On sait que le terme russe bolchevik veut simplement dire « majoritai­re ». Les bolcheviks étaient, au sein du parti social-démocrate marxiste, qui comprenait Plekhanov et Martov, les majoritaires, partisans de l’in­transigeance révolutionnaire.

Jusqu’à la Révolution russe, ils demeurè­rent dans une obscurité relative. C’est après la chute du tsarisme qu’ils apparurent et que leurs mots d’ordre enthousiasmèrent les masses.

A la vérité, ce mouvement était nouveau, bien qu’il ait eu depuis de longues années ses pionniers opiniâtres.

C’était le résultat de l’évolution à gauche du socialisme.

Elle s’était accusée à Zimmerwald et à Kienthal. Avili et trahi par l’opportunisme, le parlementarisme, le modérantisme, le socialisme, traduisant les aspirations conscientes d’une élite de mili­tants et - vagues encore - des masses, devenait insurrectionnel, agis­sant, impatient, impérieux ; et il se mettait à parler comme seuls avaient parlé jusqu’alors les anarchistes.

Car il n’est pas mauvais de le rappeler. Jusqu’à la révolution d’Octobre et quelque temps après, seuls les anarchistes s’appelaient communistes et s’affirmaient nettement anti-étatistes.

Jamais les propagandistes officiels du socialisme ne rappelaient les passages de Marx et d’Engels qui ont trait a la nocivité et à la disparition de l’État.

Lénine, Zinoviev, Boukharine, en proclamant incompatibles les idées de communisme et d’État, ont renoué la tradition révolutionnaire du socialisme que, seules, avant l’éclatant succès de leur propagande, continuaient les diverses tendances anarchis­tes.

Seuls avant le bolchevisme, les anarchistes étaient anti-démocrates et anti-patriotes.

Seuls, ils préconisaient la révolution, c’est-à-dire l’expro­priation immédiate de la classe possédante (voir La Conquête du pain, de Kropotkine).

Seuls, ils acceptaient hautement le recours aux méthodes de violence et le principe du terrorisme, et ce n’est pas sans raison que de février à octobre 1917, dans l’intervalle des deux révolutions, bolcheviks et anarchistes russes collaborèrent fraternellement. Pendant les journées décisives de juillet et d’octobre l’initiative de l’action leur appartint également.

Pour la première fois, lors de la révolution d’Octobre, l’accord se réalisa entre l’acte et la parole.

On fit ce dont on avait tant parlé.

L’accord entre la pensée et l’action fit la force initiale du bolchevisme que l’on peut, sans entrer dans des considérations de doctrine, définir comme un mouvement à gauche du socialisme - qui le rapprocha de l’anarchisme - inspiré par la volonté de réaliser immédiatement la révolution. Volonté de révolution : l’essentiel du bolchevisme se résume dans ces trois mots." (...)

http://www.marxists.org/francais/serge/works/1920/08/exprevrusse.htm