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-bilingual- What Does Europe Want? SLAVOJ ZIZEK (May 04 -> 05)

by Open-Publishing - Tuesday 17 May 2005

Europe Referendum France

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ou à toute fin utile
Please to copy paste, to follow
for information and to be usefull anyway


Apropos the European petition by organizations, unions and else to support the Left vote NO.

Initiating K project http://www.projet-k.org

La liste des signataires au 8 mai 05 / the list of signatures till May 8:

http://www.projet-k.org/ListeSolida...

Of SLAVOJ ZIZEK, who signed on the European petition and more has just published a book ito support the left vote NO in France. Same tittle from an article published online last year, same month:

What Does Europe Want?

http://www.inthesetimes.com/comment...
This article which I have translated to the French lists is bilingual below; it consists a chapter of the 198 pages of the book appearing singularly in French version only (May 5, at Editions Climats, col. Sisyphe, Paris).

A l’occasion de la parution ce mois-ci (2 mai 2005), de l’édition française
apparemment originale de l’ouvrage de 198 pages qui conforte sa signature contribuant au soutien du vote de gauche contre le TCE.

"Que veut l’Europe ? Réflexions sur une nécessaire réappropriation"

par SLAVOJ ZIZEK

traduit de l’anglais par Frédéric Joly
Editions Climats ; col. Sisyphe
198 pages
Thème : histoire et sciences politiques-sciences politiques

Résumé
Seule l’Europe est susceptible de défendre la notion d’universalisme, bien
plus menacée que les particularismes locaux par la globalisation. La défense
de l’héritage européen impose toutefois une autocritique complète. Ce que
nous jugeons dangereux dans la politique et la civilisation américaines,
c’est l’une des conséquences possibles du projet européen. Dans les années
trente, Max Horkheimer écrivait que ceux qui ne voulaient pas s’exprimer (de
façon critique) sur le libéralisme devaient également rester silencieux à
propos du fascisme. Il faudrait dire à ceux qui attaquent le nouvel
impérialisme américain : ceux qui ne veulent pas s’engager dans la critique
de l’Europe devraient également se taire à propos des USA. Si la défense de
l’héritage européen se limite à la défense de la tradition démocratique
européenne, la bataille est perdue d’avance. L’Europe doit réinventer, dans
l’acte même de défense, ce qu’elle a à défendre. Il nous faut remettre en
question, impitoyablement, les fondations mêmes de l’héritage européen,
jusqu’à ces vaches sacrées (y compris ces vaches sacrées) que sont la
démocratie et les droits de l’homme.


What Does Europe Want?
On May 1, eight new countries were welcomed into the European Union-but
which "Europe" will they find there?

By Slavoj Zizek | 5.1.04 print

"Que veut l’Europe ?
Le 1 mai, huit nouveaux pays ont été accueillis dans l’Union européenne -
Mais quelle "Europe" trouveront-ils là ?
Par Slavoj Zizek | imprimé le 1.5.04

(Merci de vérifier la comparaison avec le texte en anglais pour éviter des
contresens : ici est une trad. rapide originale de L.Desrenards - excepté
les trois derniers paragraphes, qui sont la citation intégrale des pages 7
et 8 du bouquin français à l’occasion du référendum ce mois-ci ; il est
possible que cette version qui date d’un an ne correponde pas terme à terme
au chapitre qui se trouve dans l’ouvrage, éventuellement actualisé à la
lueur des événements européens et internationaux qui ont eu lieu depuis)

In the months before Slovenia’s entry to the European Union, whenever a
foreign journalist asked me what new dimension would Slovenia contribute to
Europe, my answer was instant and unambiguous: NOTHING.

Dans les mois précédant l’entrée de la Slovénie à l’Union
européenne, chaque fois qu’un journaliste étranger m’a demandé dans quelle
nouvelle dimension la Slovénie contribuerait en Europe, ma réponse fut
instantanée et sans ambiguité : AUCUNE.

Slovene culture is obsessed with the notion that, although a small nation,
we are a cultural superpower: We possess some agalma, a hidden intimate
treasure of cultural masterpieces that wait to be acknowledged by the wider
world. Maybe, this treasure is too fragile to survive intact the exposure to
the fresh air of international competition, like the old Roman frescoes in
that wonderful scene from Fellini’s Roma which start to disappear the moment
the daylight reaches them. Such narcissism is not a Slovene specialty. There
are versions of it all around Eastern Europe: We value democracy more
because we had to fight for it recently, not being allowed to take it for
granted; we still know what true culture is, not being corrupted by the
cheap Americanized mass culture.

La culture slovène est hantée par la notion que, bien qu’une
petite nation, nous soyons une superpuissance culturelle : nous posséderions
un certain amalgame, un trésor intime caché de chef-d’oeuvres culturels qui
attendraient d’être reconnus par le monde plus large. Peut-être, ce trésor
est-il trop fragile pour réchapper intact de l’exposition à l’air frais de
la concurrence internationale, comme les vieilles fresques romaines, dans
cette merveilleuse scène de Fellini Roma, qui commencent à disparaître quand
la lumière du jour commence à les atteindre. Un tel narcissisme n’est pas
une spécialité slovène. Il y en a des versions tout autour de l’Europe de
l’Est : nous estimons plus la démocratie parce que nous avons dû nous battre
pour elle récemment, qu’étant permis de la considérer comme allant de soi;
nous savons encore quelle est la vraie culture, pas celle corrompue par la
culture américanisée à bon marché de masse.

Rejecting such a fixation on the hidden national treasure in no way implies
ethnic self-hatred. The point is a simple and cruel one: All Slovene artists
who made a relevant contribution had to "betray" their ethnic roots at some
point, either by isolating themselves from the cultural mainstream in
Slovenia or by simply leaving the country for some time, living in Vienna or
Paris. It is the same as with Ireland: not only did James Joyce leave home
in order to write Ulysses, his masterpiece about Dublin; Yeats himself, the
poet of Irish national revival, spent years in London. The greatest threats
to national tradition are its local guardians who warn about the danger of
foreign influences.

Le rejet d’une telle fixation sur le trésor national caché
n’implique nullement l’auto-haine ethnique. Le point est simple et cruel :
tous les artistes slovènes qui ont fait une contribution pertinente ont dû
"trahir" leurs racines ethniques à un certain point, soit en s’isolant du
courant culturel dominant en Slovénie, soit simplement en quittant le pays
pour quelque temps, vivant à Vienne ou à Paris. Ce fut la même chose
concernant l’Irlande : non seulement James Joyce a quitté la maison pour
écrire Ulysses, son chef-d’oeuvre de Dublin, mais encore Yeats lui-même, le
poète du ressaisissement national irlandais, passa ses années à Londres. Les
plus grandes menaces de la tradition nationale sont ses gardiens locaux
avertissant du danger des influences étrangères.

Furthermore, the Slovene attitude of cultural superiority finds its
counterpart in the patronizing Western cliche which characterizes the East
European post-Communist countries as a kind of retarded poor cousins who
will be admitted back into the family if they can behave properly. Recall
the reaction of the press to the last elections in Serbia where the
nationalists gained big-it was read as a sign that Serbia is not yet ready
for Europe. A similar process is going on now in Slovenia: The fact that
nationalists collected enough signatures to enforce a referendum about the
building of a mosque in Ljubljana is sad enough; the fact that the majority
of the population thinks that one should not allow the mosque is even
sadder; and the arguments evoked (Should we allow our beautiful countryside
to be spoiled by a minaret that stands for fundamentalist barbarism?, etc.)
make one ashamed of being a Slovene. In such cases, the occasional threats
from Brussels can only appear welcome: Show multiculturalist tolerance.or
else!

En outre, l’attitude de supériorité culturelle slovène trouve
son contrepoint dans le cliché occidental familier, de caractériser les pays
postcommunistes européens de l’Est comme une espèce de cousins pauvres et
retardés, qui ne seront admis en arrière dans la famille que s’ils peuvent
se comporter correctement. Rappelez-vous la réaction de la Presse aux
dernières élections en Serbie, quand les nationalistes tirèrent un grand
profit - ce fut la lecture du signe que la Serbie ne soit encore prête pour
l’Europe. Un processus semblable se passe maintenant en Slovénie : le fait
que les nationalistes aient rassemblé assez de signatures pour mettre en
application un référendum sur la construction d’une mosquée à Ljubljana est
assez triste; le fait que la majorité de la population pense qu’il ne
faudrait pas autoriser la mosquée est encore plus triste; et les arguments
évoqués (devrions-nous permettre à notre belle campagne d’être gâtée par un
minaret érigé à la barbarie fondamentaliste ? etc.) font qu’il devient
honteux d’être un Slovène. Dans de tels cas, les menaces occasionnelles de
Bruxelles ne peuvent apparaître que bienvenues : "Montrez la tolérance
multiculturelle. ou autrement !"

However, this simplified picture is not the entire truth. The first
complication: The very ex-Communist countries which are the most ardent
supporters of the US "war on terror" deeply worry that their cultural
identity, their very survival as nations, is threatened by the onslaught of
cultural "Americanization" as the price for their immersion into global
capitalism. We thus witness the paradox of pro-Bushist anti-Americanism. In
Slovenia, the Rightist nationalists complain that the ruling Center-Left
coalition, though it is publicly for joining NATO and supporting the U.S.
anti-terrorist campaign, is secretly sabotaging it, participating in it for
opportunist reasons and not from conviction. At the same time, however, it
reproaches the ruling coalition for undermining Slovene national identity by
advocating full Slovene integration into the Westernized global capitalism
and thus drowning Slovenes in contemporary Americanized pop culture. The
idea is that the ruling coalition sustains pop culture, stupid TV amusement
and mindless consumption in order to turn Slovenes into an easily
manipulated crowd, incapable of serious reflection and firm ethical stances.

Cependant, cette image simplifiée n’est pas l’entière vérité. La
première complication : les pays ex-communistes absolutistes qui sont les
partisans les plus ardents de "la guerre à la terreur" US inquiètent
profondément par eux-mêmes que leur identité culturelle, leur survie
absolutiste en nations, soient menacées par l’assaut de l’"américanisation"
culturelle, pour prix de leur immersion dans capitalisme mondial. Nous
sommes ainsi témoins du paradoxe pro-Bushiste anti-américaniste. En
Slovénie, les nationalistes de droite se plaignent que la coalition de
centre gauche dirigeante s’étant proclamée publiquement pour rejoindre
l’OTAN, soutiennent la campagne anti-terroriste américaine mais la sabotant
secrètement, en y participant pour des raisons opportunistes et non par
conviction. En même temps, de toutes façons, cela reproche à la coalition
dirigeante, qui est pour l’identité nationale slovène, de préconiser la
pleine intégration slovène dans le capitalisme mondial occidentalisé, par là
noyant les Slovènes dans la culture contemporaine pop américanisée. L’idée
étant que la coalition dirigeante supporterait la culture pop, l’amusement
de la télévision stupide et la consommation stupide, pour faire des Slovènes
une foule facilement manipulée, incapable de réflexion sérieuse et de
positions morales fermes.

In short, the underlying motif is that the ruling coalition stands for the
"liberal-Communist plot": Ruthless, unconstrained immersion in global
capitalism is perceived as the latest dark plot of the ex-Communists,
enabling them to retain their secret hold on power. Ironically, the
nationalist conservatives’ lament about the new emerging socio-ideological
order reads like the old New Left’s description of the "repressive
tolerance" of capitalist freedom as the mode of unfreedom’s appearance.

En bref, le motif sous-jacent est que la coalition dirigeante roule
pour "le complot libéral-communiste" : l’immersion non contrainte,
impitoyable, dans le capitalisme mondial, est perçue comme le dernier
complot obscur des ex-communistes, leur permettant de conserver leur
détention secrète du pouvoir. Ironiquement, la lamentation des conservateurs
nationalistes à propos du nouvel ordre socio-idéologique émergent voit le
mode d’apparence du manque de liberté, à l’image de l’ancienne description
de la "tolérance répressive" de la liberté capitaliste, par la nouvelle
gauche.

This ambiguity of the Eastern European attitude finds its perfect
counterpart in the ambiguous message of the West to post-Communist
countries. Recall the two-sided pressure the United States exerted on Serbia
in the summer of 2003: U.S. representatives simultaneously demanded that
Serbia deliver the suspected war criminals to the Hague court (in accordance
with the logic of the global Empire which demands a trans-state global
judicial institution) AND to sign the bilateral treaty with the United
States obliging Serbia not to deliver to any international institution
(i.e., the SAME Hague court) U.S. citizens suspected of war crimes or other
crimes against humanity (in accordance with the Nation-State logic). No
wonder the Serb reaction is one of perplexed fury! And a similar thing is
going on at the economic level: While pressuring Poland to open its
agriculture to market competition, Western Europe floods the Polish market
with agricultural products heavily subsidized from Brussels.

Cette ambiguïté de l’attitude de L’Europe de l’Est trouve sa
contrepartie parfaite dans le message ambigu de l’Ouest aux pays
postcommunistes. Rappelez-vous la double pression exercée par les Etats-Unis
sur la Serbie, l’été 2003 : Les représentants américains ont exigé
simultanément que la Serbie livre à la cour de la Haye les criminels de
guerre présumés (conformément à la logique de l’empire mondial exigeant le
transfert à une juridiction mondiale) ET de signer le traité bilatéral avec
les Etats-Unis, obligeant la Serbie de ne pas livrer à n’importe quelle
institution internationale (c’est-à-dire, la MÊME cour de la Haye) des
citoyens américains soupçonnés de crimes de guerre, ou d’autres crimes
contre l’humanité (conformément à la logique de l’Etat-nation). Ne pas
s’étonner que la réaction serbe fut celle de la perplexité furieuse ! Et une
chose semblable se passe au niveau économique : tandis qu’elle fait pression
sur la Pologne pour ouvrir son agriculture à la concurrence du marché,
l’Europe occidentale inonde le marché polonais avec des produits agricoles
lourdement subventionnés depuis Bruxelles.

How do post-Communist countries navigate in this sea with conflicting winds?
If there is an ethical hero of the recent time in ex-Yugoslavia, it is Ika
Saric, a modest judge in Croatia who, in the face of threats to her life and
without any visible public support, condemned general Mirko Norac and his
colleagues to 12 years of prison for the crimes committed in 1992 against
the Serb civilian population. Even the Leftist government, afraid of the
threat of the Rightist nationalist demonstrations, refused to stand firmly
behind the trial against Norac. However, just as the nationalist Right was
intimating that large public disorders would topple the government, when the
sentence was proclaimed, NOTHING HAPPENED. The demonstrations were much
smaller than expected and Croatia "rediscovered" itself as a state of the
rule of law. It was especially important that Norac was not delivered to the
Hague, but condemned in Croatia itself-Croatia thus proved that it does not
need international tutelage.

Comment les pays postcommunistes naviguent-ils sur cette mer aux
vents conflictuels ? S’il y a un héros moral des temps récents, en
ex-Yougoslavie, c’est Ika Saric, un juge modeste en Croatie qui, face aux
menaces sur sa vie et sans aucun appui public visible, condamna à 12 ans
fermes le général Mirko Norac et ses collègues, pour des crimes commis en
1992, contre la population civile serbe. Même le gouvernement gauchiste,
effrayé par la menace de manifestations nationalistes de droite, a refusé de
s’adosser fermement au procès contre Norac. Pourtant, lorsque fut proclamée
la sentence, quant à l’intimidation de la droite nationaliste que de grands
désordres publics renverseraient le gouvernement, RIEN N’ARRIVA. Les
manifestations furent beaucoup plus petites qu’attendues et la Croatie "se
redécouvrit" en état de la loi. Il était particulièrement important que
Norac n’ait pas été livré à La Haye, mais condamné en Croatie, en sorte de
prouver d’elle-même qu’elle n’avait pas besoin de la tutelle internationale.

The dimension of the act proper consisted in the shift from the impossible
to the possible: Before the sentence, the nationalist Right with its veteran
organizations was perceived as a powerful force not to be provoked, and the
direct harsh sentence was perceived by the liberal Left as something that
"we all want, but, unfortunately, cannot afford in this difficult moment,
since chaos would ensue." However, after the sentence was proclaimed and
nothing happened, the impossible turned into the routine. If there is any
dimension to be redeemed of the signifier "Europe," then this act was
"European" in the most exemplary sense of the term.

La dimension de cet acte consista proprement dans le passage de
l’impossible au possible : avant la sentence, la droite nationaliste avec
ses organisations anciennes étaient perçues comme une force puissante à ne
pas provoquer, et la dure possibilité d’une sentence directe était ressentie
par la gauche libérale comme : "Nous le voulons tous, mais, malheureusement,
nous ne pouvons pas nous le permettre en ce moment difficile, puisque le
chaos s’ensuivrait." Cependant, après que l’on ait proclamé la sentence rien
n’arriva et la routine de l’impossible fut métamorphosée. S’il existe
quelque dimension pour racheter la signification de "l’Europe", alors cet
acte fut "européen", dans le sens le plus exemplaire du terme.

And if there is an event that embodies the cowardice, it is the behavior of
the Slovene government after the outbreak of the Iraq-U.S. war. Slovene
politicians desperately tried to steer a middle course between U.S. pressure
and the unpopularity of the war with the majority of the Slovene population.
First, Slovenia signed the infamous Vilnius declaration for which it was
praised by Rumsfeld and others as part of the "new Europe" of the "coalition
of the willing" in the war against Iraq. However, after the foreign minister
signed the document, there ensued a true comedy of denials: The minister
claimed that, before signing the document, he consulted the president of the
republic and other dignitaries, who promptly denied that they knew anything
about it; then, all concerned claimed that the document in no way supported
the unilateral US attack on Iraq, but called for the key role of the United
Nations. The specification was that Slovenia supported the disarmament of
Iraq, but not the war on Iraq.

Et s’il y a un événement qui incarne la lâcheté, c’est le
comportement du gouvernement slovène après l’éruption Irak-US. Guerre. Les
politiciens slovènes essayèrent désespérément d’orienter un moyen cours
entre la pression américaine et l’impopularité de la guerre pour la majorité
de la population slovène. D’abord, la Slovénie signa l’infâme déclaration de
Vilnius que Rumsfeld et d’autres louèrent comme la participation "de la
nouvelle Europe" à "la coalition de la volonté" dans la guerre contre
l’Irak. Cependant, après que le ministre des Affaires Etrangères eut signé
le document, suivit une vraie comédie de démentis : Le ministre prétendit
qu’avant la signature du document il avait consulté le président de la
république et d’autres dignitaires, qui promptement nièrent en avoir su quoi
que ce soit ; alors, tous les concernés revendiquèrent que ce document en
aucun cas ne soutenait l’attaque américaine unilatérale sur l’Irak, mais
appelait au rôle clef des Nations unies. La spécification était que la
Slovénie soutenait le désarmement de l’Irak, mais pas la guerre à l’Irak.

However, a couple of days later, there was a bad surprise from the United
States: Slovenia was not only explicitly named among the countries
participating in the "coalition of the willing," but was even designated as
the recipient of financial aid from the United States to its war partners.
What ensued was pure comedy: Slovenia proudly declared that it did not
participate in the war against Iraq and demanded to be stricken from the
list. After a couple of days, a new embarrassing document was received: The
United States officially thanked Slovenia for it support and help. Slovenia
again protested that it did not qualify for any thanks and refused to
recognize itself as the proper addressee of the letter, in a kind of mocking
version of "please, I do not really deserve your thanks!," as if sending its
thanks was the worst thing the United States could do to us. Usually, states
protest when they are unjustly criticized; Slovenia protests when it
receives signs of gratitude. In short, Slovenia behaved as if it was not the
proper recipient of the letters of praise that went on and on-and what we
all knew was that, in this case also, the letter DID arrive at its proper
destination.

Cependant, deux ou trois jours plus tard, il y a eu une mauvaise
surprise de la part des Etats-Unis : non seulement la Slovénie était
explicitement nommée parmi les pays participant à "la coalition de la
volonté", mais elle avait même été désignée comme le destinataire d’aide
financière des Etats-Unis à ses associés de guerre. Ce qui succéda releva de
la pure comédie : la Slovénie déclara fièrement qu’elle n’avait pas
participé à la guerre contre l’Irak et exigea d’être rayée de la liste.
Après deux ou trois jours, un nouveau document embarrassant fut reçu : les
Etats-Unis remerciaient officiellement la Slovénie, pour son aide et son
appui. La Slovénie de nouveau protesta qu’elle n’était pas qualifiée de
recevoir des remerciements quelconques et refusa de se reconnaître comme le
destinataire approprié de la lettre, dans une sorte de version moqueuse du :
"s’il vous plaît, je ne mérite pas vraiment vos remerciements !" comme si
l’envoi de ces remerciements était la plus mauvaise chose que les Etats-Unis
aient pu nous faire. D’habitude, les états protestaient quand ils étaient
injustement critiqués; la Slovénie protestait alors qu’elle recevait des
signes de gratitude. Bref, la Slovénie se comporta comme si elle n’était pas
le destinataire approprié des lettres d’éloge qui se poursuivaient, et ce
que nous savions tous là-dessus était que la lettre était VRAIMENT parvenue
à sa destination appropriée.

The ambiguity of Eastern Europeans therefore merely mirrors the
inconsistencies of Western Europe itself. Late in his life, Freud asked the
famous question "Was will das Weib?" ("What does Woman want?"), admitting
his perplexity when faced with the enigma of feminine sexuality. And a
similar perplexity arises today, when post-Communist countries are entering
the European Union: Which Europe will they be entering?

L’ambiguïté des Européens orientaux reflète donc simplement les
inconséquences de l’Europe de l’ouest elle-même. Tard dans sa vie, Freud,
admettant sa perplexité face à l’énigme de sexualité féminine, posa la
question célèbre "Was will das Weib?" ("Que veut la Femme ?") Et une
perplexité semblable surgit aujourd’hui, quand des pays postcommunistes sont
en train d’intègrer l’Union européenne : dans quelle Europe entrent-ils ?

For long years, I have been pleading for a renewed "Leftist Eurocentrism."
To put it bluntly, do we want to live in a world in which the only choice is
between the American civilization and the emerging Chinese
authoritarian-capitalist one? If the answer is no, then the only alternative
is Europe. The Third World cannot generate a strong enough resistance to the
ideology of the American Dream; in the present constellation, it is only
Europe that can do it. The true opposition today is not the one between the
First World and the Third World, but the one between the Whole of First and
Third World (the American global Empire and its colonies) and the remaining
Second World (Europe). Apropos Freud, Theodor Adorno claimed that what we
are getting in our contemporary "administered world" and its "repressive
desublimation" is no longer the old logic of repression of the Id and its
drives, but a perverse direct pact between the punitive superego and the Id’
s illicit aggressive drives at the expense of the Ego’s rational agency. Is
not something structurally similar going on today at the political level,
the weird pact between the postmodern global capitalism and the premodern
societies at the expense of modernity proper? It is easy for the American
multiculturalist global Empire to integrate premodern local traditions-the
foreign body that it effectively cannot assimilate is European modernity.
Jihad and McWorld are two sides of the same coin. Jihad is already McJihad.

Pendant de longues années, j’ai plaidé pour un renouvellement de
l’"eurocentrisme Gauchiste". Pour le dire brutalement, voulons-nous vivre
dans un monde dans lequel le seul choix soit entre la civilisation
américaine et un capitalisme autoritaire chinois émergent ? Si la réponse
est non, alors la seule alternative c’est l’Europe. Le Tiers-Monde ne peut
pas produire une résistance assez forte à l’idéologie du Rêve américain;
dans la constellation présente, c’est seulement l’Europe qui peut le faire.
La vraie opposition aujourd’hui n’est pas celle entre le Premier Monde et le
Tiers-Monde, mais celle entre le Premier et le Tiers-Monde (l’Empire mondial
américain et ses colonies), avec le deuxième monde restant (l’Europe). À
propos de Freud, Theodor Adorno a déclaré que ce qui nous arrivait dans le
"monde administré" contemporain et sa "désublimation répressive" n’était
plus la vieille logique de la répression de l’identification et de ses
commandes, mais un pacte pervers direct entre le surmoi punitif et les
commandes d’identification agressives illicites, aux dépens de l’agencement
raisonnable du moi. N’y a-t-il pas quelque chose de structurellement
semblable dans ce qui se passe au niveau politique aujourd’hui, aux dépens
de la modernité appropriée, avec le pacte mystérieux entre le capitalisme
mondial post-moderne et les sociétés prémodernes ? Pour l’empire
multiculturaliste américain global, il est facile d’intégrer des traditions
locales prémodernes - le corps étranger qu’il ne peut pas assimiler
effectivement est la modernité européenne. Jihad et McWorld sont les deux
faces de la même pièce de monnaie. Le Jihad est déjà McJihad.

Although the ongoing "war on terror" presents itself as the defense of the
democratic legacy, it courts the danger clearly perceived a century ago by
G.K. Chesterton who, in his Orthodoxy, deployed the fundamental deadlock of
the critics ofreligion: "Men who begin to fight the Church for the sake of
freedom and humanity end by flinging away freedom and humanity if only they
may fight the Church.The secularists have not wrecked divine things; but the
secularists have wrecked secular things, if that is any comfort to them."

Bien que la "guerre à la terreur" permanente se manifeste elle-même
comme la défense du leg démocratique, cela court le danger clairement perçu
il y a un siècle par G.K. Chesterton qui, dans Orthodoxie, déploie l’impasse
fondamentale des critiques de la religion : "Les hommes qui commencent à
combattre l’église pour la liberté et l’humanité finissent par être parties
délaissantes de la liberté et de l’humanité pourvu qu’ils puissent combattre
l’église... les laïques sécularistes n’ont pas détruit les choses divines ;
mais les laïques sécularistes ont détruit des choses séculaires, du moment
que cela les confortait en quelque façon."

Does the same not hold today for the advocates of religion themselves? How
many fanatical defenders of religion started by ferociously attacking the
contemporary secular culture and ended up forsaking any meaningful religious
experience? In a similar way, many liberal warriors are so eager to fight
anti-democratic fundamentalism that they will end by flinging away freedom
and democracy themselves if only they may fight terror. They have such a
passion for proving that non-Christian fundamentalism is the main threat to
freedom that they are ready to fall back on the position that we have to
limit our own freedom here and now, in our allegedly Christian societies. If
the "terrorists" are ready to wreck this world for love of another world,
our warriors on terror are ready to wreck their own democratic world out of
hatred for the Muslim other. Some of them love human dignity so much that
they are ready to legalize torture-the ultimate degradation of human
dignity-to defend it. And, along the same lines, we may lose "Europe"
through its very defense.

La même situation aujourd’hui ne saisit-elle pas les avocats de la
religion eux-mêmes ? Combien de défenseurs fanatiques de la religion
commencèrent par attaquer férocement la culture laïque contemporaine pour
terminer par l’abandon de l’expérience religieuse significative ? D’une
façon semblable, beaucoup de guerriers libéraux sont si désireux de se
battre avec le fondamentalisme antidémocratique qu’ils finiront par jeter la
liberté et la démocratie elles-mêmes pourvu qu’ils puissent combattre la
terreur. Ils ont une telle passion pour prouver que le fondamentalisme
non-chrétien est la menace principale de la liberté qu’ils sont prêts à
avoir recours à la position que nous devions limiter notre propre liberté
ici et maintenant, dans nos sociétés prétendument Chrétiennes. Si "les
terroristes" sont prêts à détruire ce monde pour l’amour d’un autre monde,
nos guerriers contre la terreur sont prêts à détruire leur propre monde
démocratique avec la haine de l’autre pour le Musulman. Certains d’entre eux
aiment tellement la dignité humaine que pour la défendre ils sont prêts à
légaliser la torture - la dégradation suprême de dignité humaine -. Et,
selon les mêmes directions, nous pouvons à travers la défense absolue de
l’Europe, la perdre.

A year ago, an ominous decision of the European Union passed almost
unnoticed: The plan to establish an all-European border police force to
secure the isolation of the Union territory and thus to prevent the influx
of immigrants. THIS is the truth of globalization: the construction of NEW
walls safeguarding the prosperous Europe from the immigrant flood. One is
tempted to resuscitate here the old Marxist "humanist" opposition of
"relations between things" and "relations between persons": In the much
celebrated free circulation opened up by global capitalism, it is "things"
(commodities) which freely circulate, while the circulation of "persons" is
more and more controlled. This new racism of the developed is in a way much
more brutal than the racism of the past: Its implicit legitimization is
neither naturalist (the "natural" superiority of the developed West) nor any
longer culturalist (we in the West also want to preserve our cultural
identity), but unabashed economic egotism-the fundamental divide is between
those included in the sphere of (relative) economic prosperity and those
excluded from it.

Il n’y a eu, une décision lourde de sens de l’Union européenne passa
pratiquement inaperçue: le projet de mettre en place une force de police des
frontières européenne destinée à sécuriser l’isolement du territoire de
l’Union et à prévenir de cette façon l’afflux d’immigrés. VOILÀ la vérité de
la globalisation : la constuction de NOUVEAUX murs sauvegardent la prospère
Europe du flux des immigrés. Il est ici tentant de ressuciter la vieille
opposition "humaniste" classsique entre les relations entre les choses et
les relations entre les êtres: dans la si célébrée libre circulation ouverte
par le capitalisme global, ce sont les choses (les marchandises) qui
circulent librement, tandis que la circulation des personnes est de plus en
plus soumise à contrôle. Ce nouveau racisme de la modernité est d’une
certaine manière bien plus brutal que le racisme d’antan: sa légitimation
implicite n’est ni naturaliste (la supériorité "naturelle" de l’Ouest
développé) ni - et encore moins - culturaliste (nous voulons à l’Ouest aussi
préserver notre identité culturelle) mais bien liée à un égotisme
particulièrement décomplexé - la séparation fondamentale est entre ceux qui
sont intégrés à la sphère de la (relative) prospérité économique et ceux qui
en sont exclus.

What we find reprehensible and dangerous in U.S. politics and civilization
is thus A PART OF EUROPE ITSELF, one of the possible outcomes of the
European project. There is no place for self-satisfied arrogance: The United
States is a distorted mirror of Europe itself. Back in the 1930s, Max
Horkheimer wrote that those who do not want to speak (critically) about
liberalism should also keep silent about fascism. Mutatis mutandis, one
should say to those who decry the new U.S. imperialism: Those who do not
want to engage critically with Europe itself should also keep silent about
the United States.

Ce que nous trouvons répréhensible et dangereux dans la politique et
la civilisations américaines, c’est en conséquence UNE PARTIE DE L’EUROPE
ELLE-MEME, l’une des issues possibles du projet européen. Il n’y a pas de
place pour une arrogance auto-satisfaite: les Etats-Unis constituent un
reflet distordu de l’Europe elle-même. Max Horkheimer, pour revenir vers les
années trente, écrivait que ceux qui ne souhaitaient pas parler (de manière
critique) du libéralisme devaient alors rester silencieux sur le
fascisme. Mutatis Mutandis, il faudrait dire à ceux qui décrient le nouvel
impérialisme américain que ceux qui refusent d’engager un dialogue critique
avec l’Europe elle-même devraient alors rester silencieux au sujet des
Etats-Unis.

This, then, is the only true question beneath the self-congratulatory
celebrations that accompany the extension of the European Union: WHAT Europe
are we joining? And when confronted with this question, all of us, "New" and
"Old" Europe, are in the same boat.

La seule véritable question à poser en-deça des célébrations
auto-congratulatoires qui accompagnèrent l’extension de l’Union européenne
est celle-ci : QUELLE Europe rejoignons-nous? Confrontés à cette question,
nous tous habitants de la "nouvelle" et de la "vieille" Europe, somme dans
le même bateau.

S.Z.

Slavoj Zizek, a philosopher and psychoanalyst, is a senior researcher at the
Institute for Advanced Study in the Humanities, in Essen, Germany. Among
other books, he is the author of The Fragile Absolute and Did Somebody Say
Totalitarianism ?

(Fast French translation of the article by Louise Desrenards)


Le livre en ligne chez Decitre / To get the French book online
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