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A Calais, Bernard Thibault se frotte à sa base

Publie le samedi 11 février 2006 par Open-Publishing

de Rémi Barroux

Quand la jeune femme quitte précipitamment sa caisse pour ne pas avoir à prendre le tract que Bernard Thibault lui tend, un instant, la gêne s’installe. Qu’à cela ne tienne, le secrétaire général de la CGT voit dans ce geste la preuve que la liberté syndicale reste précaire et que les salariés n’osent pas s’engager par peur de représailles patronales.

A Cité-d’Europe, un centre commercial à la périphérie de Calais, la petite troupe des militants et responsables cégétistes ne se laisse pas démonter. Elle reprend sa marche à la rencontre d’autres salariés : un millier sur le site pour seulement 30 syndiqués.

Rencontrer les militants, vérifier sur le terrain que les thèmes de débat du prochain congrès de la CGT - qui doit s’ouvrir le 24 avril à Lille - correspondent aux préoccupations de la base : tel est l’objectif du secrétaire général. Pour cela, il sillonne la France dans sa VelSatis aux vitres teintées, multipliant les visites d’entreprise - mille sont prévues d’ici au congrès - et les réunions avec des adhérents.

Ce mercredi 25 janvier, M. Thibault rencontre les militants de Calais (3 000 cartes, et 21 000 dans le département) : un marathon de douze heures pour écouter les cégétistes d’Eurotunnel, du centre commercial, du port et pour tenir une réunion publique devant 400 personnes.

Là, en trois quarts d’heure de discours, le numéro un de la CGT décline tous les motifs de mécontentement social qu’il a constatés dans la journée... et toutes les raisons d’adhérer au syndicat. Mais, dans la froidure du début de soirée et malgré ses efforts, M. Thibault n’a pas suscité un seul applaudissement, pas même un rire quand il a lancé que le patronat ne faisait pas dans la "dentelle" - la spécialité calaisienne - ou que "le couple Parisot-Villepin (était) au centre de la famille recomposée Medef-gouvernement".

"PAS DE SOLIDARITÉ"

"C’est habituel ici, et avec tous les coups qu’on a pris sur la tête, il y a de quoi être démoralisé", explique Muriel, salariée chez Carrefour. Jean-René, responsable chez Eurest (restauration) à Eurotunnel, reconnaît, lui, que M. Thibault "a la volonté de faire bouger les choses". Mais, dit-il, "de la théorie à la pratique, il y a un pas qu’il ne franchira peut-être pas".

Ancien militant de la CFDT passé à la CGT, il avait apostrophé le secrétaire général, le matin même, sur le choix d’Eurest, qu’il accuse de "harcèlement moral" à l’égard de ses salariés, pour assurer la restauration au siège de la confédération à Montreuil. Il avait surtout dénoncé le manque de soutien de la CGT d’Eurotunnel lors de la grève des salariés d’Eurest en octobre 2005. "Il n’y a pas de solidarité entre les syndicats et j’entends souvent les salariés du privé dire qu’ils en ont marre de bosser pour ceux du public", estime Jean-René.

En lui répondant, le secrétaire de l’union régionale Nord - Pas-de-Calais, Marc Beuzin, reconnaît les pesanteurs et les difficultés : "Même dans la CGT, dit-il, on a du mal à travailler entre Boulogne et Calais, ou avec Dunkerque."

Plus tard, devant des salariés du port, M. Thibault insiste sur le nécessaire développement syndical dans le privé. Il faut éviter les tentations de repli sur son syndicat, ajoute-t-il encore. Joël, salarié chez Draka, proteste : "Les autres syndicats nous freinent. On est obligé de les tirer." M. Thibault recadre : "La CGT ne doit pas tourner le dos à l’unité."

Tout au long de la journée, il déroule les futurs axes du congrès : la réorganisation du système des cotisations, l’aide aux syndicats des petites entreprises... Les militants hochent la tête, plus préoccupés par le chômage en Calaisis que par les règles de syndicalisation. Mais quand M. Thibault aborde la question de l’indépendance à l’égard des partis politiques dans une ville administrée par un maire PCF, Jacky Hénin, et dont les employés municipaux forment le gros des cégétistes calaisiens - environ 400 cartes -, le discours porte peu.

Ernest, 68 ans, et Philippe, 53 ans, affichent sans complexe leur engagement au "parti". "On n’est pas d’accord si la CGT dit qu’elle n’a pas à se mêler de politique", dit Philippe. "Thibault, il n’a pas été très clair au moment de l’Europe", ajoute Ernest. "Toutes les critiques sont les bienvenues, et s’il y a des félicitations, on est preneur aussi", avait préalablement risqué le secrétaire général.

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