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Avanti-lcr : Le mouvement pour le Non de gauche et ses perspectives

Publie le jeudi 12 mai 2005 par Open-Publishing

de Michel Bastien

Plus de 800 collectifs ou comités regroupant des dizaines de milliers de membres, près de 200.000 personnes participant d’une façon ou d’une autre à leur campagne : le mouvement qui s’est constitué pour le Non de gauche à la constitution européenne est absolument sans précédent.

Il est donc naturel que des discussions se mènent dès à présent sur son avenir, surtout si le référendum se solde par la victoire vers laquelle tendent tous nos efforts, mais aussi et même si les mensonges du Oui finissaient par l’emporter. Chacun a entendu, dans son comité, des participants « non encartés » affirmer que cette expérience partagée d’intervention politique (« citoyenne », dit-on souvent, mais il s’agit en fait de politique dans le meilleur sens du terme) ne doit pas rester sans lendemain.

Ces camarades ont raison. Quel que soit le résultat, il faudra donner une continuité à notre mouvement. Cette aspiration semble avoir été entendue par le « Collectif national pour un Non de gauche » qui coordonne la campagne. Le compte rendu de sa réunion du 18 avril [1] signale : "Le mouvement citoyen qui s’est levé et rassemblé est porteur d’exigences sociales et de volontés de ruptures avec les politiques néo-libérales. Il ne s’arrêtera évidemment pas le 29
mai au soir et les multiples collectifs unitaires qui l’incarnent ne sont pas appelés à disparaître (...) Nous continuons."

Mais pour faire quoi ? Le même compte rendu affirme : « Si le Non l’emporte il nous faudra engager, avec les mouvements sociaux, les réseaux syndicaux, les courants politiques européens, une vaste campagne européenne de débat sur l’Europe que nous voulons afin de ne pas laisser ce choix aux négociations de sommet mais de créer une dynamique populaire pour un réel débat constituant impliquant les peuples en profondeur dans toute l’Europe. »

Le rejet de la constitutionnalisation des politiques néolibérales ouvrirait en effet la possibilité de lutter à une échelle de masse pour refonder l’Europe sur des bases nouvelles, et les collectifs pour le Non de gauche devraient évidemment prendre cette bataille en charge.

Cela ne signifie pourtant pas qu’ils devraient s’autolimiter à cette seule tâche.
Le besoin d’unité pour la lutte Une des particularités du mouvement pour le Non de gauche est qu’il réunit, aux côtés d’autres participants, des représentants de la quasi totalité des secteurs qui ont participé aux luttes ces dernières années. Militants politiques, de partis ou courants de l’ancienne gauche plurielle s’affirmant antilibéraux, ainsi que de l’extrême gauche ; militants syndicaux, surtout de la CGT, de la FSU et de Solidaires, c’est-à-dire les trois organisations en général les plus engagées dans les mobilisations ; militants associatifs sur le terrain de l’altermondialisme, des droits des chômeurs, des précaires (parmi eux, les intermittents du spectacle et les chercheurs), des femmes, des immigrés et notamment des sans-papiers, des luttes sur le logement, en défense de l’environnement, des services publics, jeunes engagés dans les
mobilisations étudiantes et lycéennes, etc.

Or l’une des principales faiblesses du « mouvement social » qui s’est installé notamment depuis le mouvement de novembre et décembre 1995, est qu’il reste éclaté en de très nombreuses structures qui peinent à se coordonner et que, parallèlement, les mobilisations menées sur les divers terrains de lutte restent trop souvent isolées, ce qui nuit d’autant à leur efficacité.

Par ailleurs, comme les participants au mouvement pour le Non de gauche le savent bien, la politique menée par les institutions de l’Union européenne (conseil, commission, cour de justice), et que le traité constitutionnel européen entend sacraliser en la transformant en un ensemble de principes irréversibles, c’est celle que mènent jour après jour, dans notre pays, Chirac, Raffarin et Seillière (tout comme, dans une très large mesure, celle que Jospin a menée entre 1997 et 2002).

Si effectivement les combats au niveau européen et en France sont indissolublement liés, nous avons maintenant la possibilité - et une occasion inédite, qui risque de ne pas se représenter pas de sitôt - de développer un outil unitaire pour le soutien aux luttes, et par voie de conséquence pour leur développement, qui constitue la clé de la construction du rapport de forces nécessaire afin de faire reculer le patronat, ses gouvernements et leurs
relais européens.

Autrement dit, sans négliger les tâches spécifiquement européennes, le mouvement national des collectifs pour le Non de gauche ne devrait pas perdre l’opportunité de s’affirmer comme un « mouvement des mouvements » qui, tout en respectant l’autonomie de chaque organisation, réseau, syndicat, association, aident ceux qui interviennent sur chaque front de lutte à avancer dans la réalisation de leurs objectifs. Disposer dans pratiquement toutes les villes, quartiers ou arrondissements du pays, d’une structure unitaire, large et ouverte en permanence à qui souhaite participer, capable de s’engager immédiatement afin de populariser telle grève, de mobiliser contre telle menace d’expulsion ou telle fermeture de bureau de poste, etc., constituerait une avancée très importante pour l’ensemble du mouvement social.

D’ailleurs, même si l’on y discute beaucoup, les collectifs qui militent pour le Non de gauche sont avant tout un mouvement de lutte. Leur unité est fondée sur une mobilisation de terrain commune et intense, liée à celles du mouvement altermondialiste, aux mobilisations de défense des services publics et en général à toutes les luttes sociales, à commencer par les grèves en nette augmentation depuis le début de l’année. C’est justement parce qu’il y a cette intervention au coude à coude sur le terrain que les débats qui se mènent ne sont pas un facteur de division du mouvement.

Affirmer cela ne signifie nullement que la discussion sur les options politiques susceptibles d’imposer les choix de société qui, de façon générale, sont partagés par les membres des collectifs, serait secondaire. Cela signifie qu’elle ne devrait pas faire obstacle au maintien et au développement de l’unité d’action dans la lutte.

Qui doit gouverner, pour quoi faire et à travers quelles institutions - autrement dit, la perspective politique - est en effet une question incontournable, au plan national comme à l’échelle européenne. Cependant, les réponses qui seront apportées à ces questions risquent d’être moins consensuelles que le rejet de la constitution libérale. Y compris dans le cadre du « débat constituant » dont le Collectif national pour un Non de gauche souligne la nécessité.

« Nos vies valent plus que leurs profits »...

Les comités locaux ont reçu du Collectif national, le 8 avril, un texte rédigé par Roger Martelli (membre du PCF) dans le cadre d’un groupe de travail, intitulé « Si le Non l’emporte... Propositions pour une relance européenne ». Depuis, ce document a été cosigné ou soutenu par une série d’autres responsables, de diverses appartenances, engagés dans le mouvement pour le Non. A travers dix « mesures d’urgence », douze « principes » et dix-huit « orientations », il propose une réorientation radicale de l’Union européenne : « le cadre général de l’Union sera redéfini par un ou deux traités, qui se substitueront ainsi à ceux qui ont été en vigueur jusqu’à ce jour.

La discussion sera engagée sur les grandes lignes d’une politique économique et sociale affranchie du carcan libéral qui la régit aujourd’hui. » De sérieuses limites apparaissent cependant, sur deux plans. On est d’abord frappé par le décalage existant entre la précision des propositions formulées dans le domaine des droits démocratiques (par exemple, « instauration d’une citoyenneté européenne de résidence » [2] ), et le caractère extrêmement vague des points qui
se réfèrent à la politique économique. « L’Europe cherchera à éradiquer le chômage et la précarité.

Des objectifs annuels seront décidés en matière de création et de transformation d’emplois, comme en matière de formation, et cela en articulation avec les objectifs régionaux et nationaux (...) L’Europe se dotera d’une véritable politique industrielle soucieuse de l’environnement, en concertation avec les collectivités nationales et territoriales. Une autre politique agricole commune favorisera une agriculture non productiviste... » Voilà qui ressemble tout de même beaucoup (trop !) aux promesses dont les politiciens ont l’habitude de nous abreuver pendant leurs campagnes électorales [3].

Le problème principal est que de toute façon, les velléités même sincères d’éradication du chômage ou de défense de l’environnement ne peuvent que se heurter au mur de la propriété privée - auquel alors elles s’attaquent, ou bien devant lequel elles reculent. Car les patrons et actionnaires d’Airbus, Renault, Vivendi et autres ne sont pas des philanthropes désintéressés, mais des gens dont l’intérêt, et par conséquent le but, sont de réaliser le maximum de profit. Sans mesures coercitives contre le Capital, les objectifs les plus
généreux ne peuvent donc que rester au stade des bonnes intentions.

Rappelons-nous - entre autres - comment Lionel Jospin et ses partenaires de la gauche plurielle avaient affirmé, avant de former le gouvernement en 1997, leur opposition au projet de traité européen d’Amsterdam ainsi que leur refus de la fermeture de l’usine Renault de Vilvoorde. Peut-être nous opposera-t-on que les propositions contenues dans le texte de Roger Martelli relèvent des principes et grandes orientations devant présider à une autre construction européenne, et non des politiques concrètes qui en découleraient.

L’argument ne serait pas juste, mais admettons qu’il le soit. Le différend pourrait être résolu de façon très simple, y compris en demeurant sur le strict terrain des principes constitutionnels. Il suffirait d’intégrer parmi les principes avancés dans le texte celui, fondamental, qui n’y figure pas : « Le droit de chaque citoyen à l’existence, à un emploi et à un revenu permettant de mener une vie digne, s’impose face à la propriété privée de moyens de production, de
communication et d’échange, à toute considération de profit dans l’entreprise ou dans la sphère financière. »

Le second aspect frappant est que ce texte ignore complètement deux institutions dont le rôle est central dans le fonctionnement de l’Union européenne : les très imposants services de la Commission des Communautés européennes, chargés de produire les directives et règlements et d’en contrôler l’application, services dont toute l’organisation, la structure même sont conçues
de A à Z en fonction des besoins des politiques néolibérales ; et puis la Cour de justice des Communautés européennes, qui remplit le même rôle au niveau de la jurisprudence (celle qu’elle produit en permanence s’imposant également aux droits nationaux, contraints à chaque fois de se modifier pour se conformer au nouveau droit européen néolibéral).

De la même façon, le document de Roger Martelli ne dit rien de la nécessité d’abroger les textes (directives et règlements) organisant dans tous les secteurs les privatisations, dérégulations, déréglementations, la « libre circulation » des capitaux, la mise en concurrence féroce des travailleurs des différents pays et la destruction des services publics, autrement dit ce « marché libre et non faussé » qui est justement au centre du traité constitutionnel. Est-ce
seulement un oubli ?

Cela étant, toutes ces questions doivent justement être discutées. L’attitude consistant à se draper dans sa dignité offensée pour ne rien faire, puis se contenter de condamner l’initiative après coup, en lui opposant un catalogue long comme le bras de mesures dites « d’urgence » et supposées « révolutionnaire » ou « transitoire », ne peut qu’être totalement incomprise par les militants des comités qui aspirent légitimement à une autre gauche, rompant avec le libéralisme.

De même ne peut-elle que faire le jeu de ceux dont l’antilibéralisme restera au niveau de la pure rhétorique parce qu’ils n’ont nulle intention de s’attaquer aux profits de la bourgeoisie. ... En France comme en Europe

Nous devons expliquer qu’une autre Europe n’est possible que si l’on rompt avec les institutions actuelles, ainsi qu’avec la logique du Capital qu’elles expriment et dont le néolibéralisme n’est que l’expression contemporaine. Ce qui est vrai au niveau européen l’est aussi, évidemment, au niveau national. C’est pourquoi le même type de débat est posé autour de la question qui surgit naturellement du combat en cours : quelle alternative à gauche, en terme de gouvernement, de programme et de force politique capable de l’imposer.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, qui en lui-même n’a rien de révolutionnaire, le seul fait de rétablir la répartition entre salaires et profits tel qu’elle existait il y a une vingtaine d’années (70/30, contre 60/40 aujourd’hui y compris les « salaires » de PDG et hauts cadres dirigeants dont le montant a explosé) impliquerait de s’en prendre durement au Capital.

Ses détenteurs, en tout cas, ne manqueraient pas de considérer qu’ils sont la cible d’une agression extrêmement violente, et de réagir en conséquence. Sans des mesures fortes s’en prenant très concrètement aux intérêts matériels du patronat et de la finance, et sans une mobilisation sociale de haut niveau permettant de les imposer, ce n’est même pas la peine d’y penser.

Mais les courants qui s’affirment uniquement ou principalement antilibéraux, et dont certains raillent parfois notre anticapitalisme « d’un autre âge », ou bien considéré à l’inverse comme « beaucoup trop en avance » sur les événements, sont-ils prêts à lutter avec nous pour de telles mesures, pour un tel programme ? Les « antilibéraux d’en haut » qui répondront par la négative, ou bien qui évacueront la question (ce qui reviendra exactement au même), démontreront que leur discours apparemment radical n’est pas cohérent ou, pire encore, n’est pas vraiment sincère.

Avec celles et ceux qui répondront positivement, en revanche, nous pourrons faire des pas dans la voie d’une nouvelle construction politique, même si le projet de société n’est pas encore clair parce que l’horizon socialiste que nous défendons apparaît trop lointain ou a été trop discrédité par le stalinisme et la social-démocratie.

http://avanti-lcr.org


[1Rédigé par Claude Debons et « relu » (donc approuvé) notamment par les représentants du PCF (Jean-François
Gau), de la tendance Mélenchon de Nouveau Monde (François Delapierre) et de la LCR (Christian Picquet). Ce texte, de même que celui, cité ensuite, de Roger Martelli, peuvent être consultés et téléchargés sur le site
www.appeldes200.Net

[2Même si y compris dans ce domaine, les ambiguïtés ne manquent pas. Le même point - n° 33 - proposant la
citoyenneté européenne de résidence défend ainsi l’ « instauration d’une véritable politique de l’immigration prenant en compte les intérêts de développement du Sud », formulation impliquant un contrôle de l’immigration,
donc nécessairement la répression de celle qui restera « illégale ».

[33 Chirac a déclaré le 2 mai : « la culture n’est pas une marchandise » !