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Bruxelles veut mettre un terme a l’hegemonie de Microsoft

Publie le vendredi 26 mars 2004 par Open-Publishing

L’entreprise de Bill Gates fera appel des sanctions prononcées par
la Commission européenne. Celle-ci introduit l’innovation dans le droit de
la concurrence, mais certaines associations de consommateurs restent
sceptiques.

Bruxelles de notre bureau européen

"L’entreprise ne pouvait ignorer qu’elle violait les règles
européennes" : sans se départir de son calme habituel, Mario Monti a eu des
mots très directs pour justifier, mercredi 24 mars, la décision de la
Commission européenne de condamner Microsoft pour abus de position
dominante. A l’issue de cinq années d’enquêtes et de tractations, le
fabricant américain de logiciels s’est vu infliger une amende de 497
millions d’euros. Un record en Europe, même si cette somme représente moins
de 2 % du chiffre d’affaires de l’entreprise.

Pour mettre fin à "ce comportement illicite", la Commission demande
surtout à Microsoft de mettre en œuvre une série de mesures correctrices,
afin de l’obliger à modifier ses pratiques commerciales dans les domaines où
elle dispose d’une situation de "quasi monopole".

Mais cette décision, dont les effets prêtent à discussion parmi les
experts, risque de susciter une longue bataille judiciaire, voire de
nouvelles tensions avec les autorités américaines. Plus importants encore
que l’amende, même s’ils sont limités au seul espace européen, les remèdes
imposés se concentrent sur deux marchés. D’une part, la Commission donne 120
jours à Microsoft pour divulguer à ses concurrents une partie des
informations susceptibles d’assurer l’interopérabilité de logiciels rivaux
dans le domaine des serveurs installés au cœur des réseaux informatiques.
Pour dévoiler la documentation sur les "interfaces" de Windows, Microsoft
pourrait, selon la Commission, "prétendre à une rémunération, qui doit
demeurer raisonnable et non discriminatoire".

D’autre part, la Commission s’en prend aux ventes liées du système
d’exploitation Windows et des logiciels de lecture de fichiers son et vidéo
sur Internet (Media Player), proposés ensemble au détriment des produits
concurrents : Microsoft dispose cette fois d’un délai de 90 jours pour
proposer à ses clients une version de son système d’exploitation Windows non
équipée du Media Player. La firme de Bill Gates doit, parallèlement
"s’abstenir de recourir à tout moyen commercial, technique ou contractuel
ayant pour effet de rendre moins intéressante ou moins performante la
version non liée".

"La décision rétablit les conditions d’une concurrence loyale sur
les marchés concernés et pose les principes clairs, quant au comportement
que devra avoir, dorénavant, une entreprise jouissant d’un tel pouvoir sur
les marchés, pour le plus grand bénéfice des consommateurs", a expliqué M.
Monti. Cela devrait permettre de mener plus vite de nouvelles enquêtes, une
autre plainte, contre les applications liées au Windows XP, attendant dans
les tiroirs des fonctionnaires européens depuis la fin 2002. Les rivaux de
Microsoft actifs dans la procédure européenne se sont d’ailleurs réjouis de
la sanction : RealNetworks, dont les logiciels souffrent de l’hégémonie du
Média Player, la juge "fondamentalement importante parce que la Commission a
formellement affirmé que la stratégie de Microsoft d’intégrer Media Player
est illégale".

Le groupe a aussitôt contre-attaqué. Brad Smith, le directeur
juridique et numéro trois de Microsoft, a confirmé son intention de déposer
un recours, dès que possible, auprès du tribunal de première instance de la
Cour de justice européenne. "Cette décision constitue une mise en cause sans
précédent de nos droits de propriété intellectuelle", a-t-il affirmé : avant
d’être fixé sur le fond de l’affaire, Microsoft espère obtenir des juges
européens une suspension des mesures imposées par la Commission. Des
Etats-Unis, Steve Ballmer, le PDG de Microsoft, a assuré que les solutions
proposées par le groupe la semaine dernière, avant l’échec d’ultimes
pourparlers en vue d’un éventuel compromis à l’amiable, "auraient offert
plus de choix et bénéficié davantage aux consommateurs"que celles imposées
par la Commission. Alors que le contentieux pourrait durer plusieurs années,
la société considère qu’il reste toujours possible de se mettre d’accord
avec les Européens, à l’instar de ce qui a été fait aux Etats-Unis voici
quinze mois.

L’entreprise a reçu, mercredi, le soutien du gouvernement américain,
resté jusqu’ici attentif mais discret dans ce contentieux. A Washington, le
ministère de la justice a critiqué les conclusions européennes. Le montant
de l’amende est jugé "malheureux". "L’expérience américaine nous apprend que
les meilleurs remèdes en matière anticoncurrentielle sont ceux qui éliminent
les obstacles au fonctionnement sain d’un marché concurrentiel, sans gêner
les concurrents qui rencontrent le plus de succès ni imposer des fardeaux à
des parties tierces, alors que ce pourrait être le résultat des solutions
retenues par la Commission européenne", a expliqué le responsable de la
division antitrust du ministère, Hewitt Pate. Pour lui, les décisions de la
Commission pourraient "ralentir l’innovation et la concurrence même de la
part d’entreprises dominantes".

Un peu plus tôt, M. Monti avait pourtant cherché à désamorcer les
risques de polémiques avec les autorités américaines : "Cette affaire ne
peut en aucun cas être interprétée comme relevant d’un conflit de politique
commerciale entre l’Union européenne et les Etats-Unis", a-t-il dit pour
défendre une des décisions phares de son mandat, dont il se dit par avance
sûr qu’"elle tiendra la route".

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