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Claude Mesplède : les altermondialistes investissent le roman noir

Publie le dimanche 25 avril 2004 par Open-Publishing


de Claude Mesplède

Bio succincte de Claude Mesplède : Lecteur boulimique depuis l’enfance, il
découvre le roman noir américain avec La Moisson rouge de Dashiell Hammett. Pour
faire partager cette passion, il publie chez Futuropolis en 1982 " Voyage au
bout de la noire ", un dictionnaire de tous les auteurs publiés dans la Série
Noire devenu ouvrage de référence, qu’il remet à jour en 1996 sous le titre " Les
Auteurs de la série noire " (éditions
Joseph K.). (NdlR)


Chronique de Claude Mesplède parue précédemment dans Options, la revue
pour cadre de la CGT


En juillet 2001, le rassemblement pacifique des altermondialistes dans la ville
de Gênes, en Italie, fut endeuillé par la mort de Carlo Giuliani, étudiant de
23 ans, abattu par le carabinier Mario Placanica, à l’abri dans une jeep blindée.

Dans Comme le scorpion, mon frère (Le Temps des cerises, 2003), le romancier
toulousain Maxime Vivas était certainement le premier à évoquer cette manifestation
de Gênes. À leur tour, deux auteurs italiens témoignent dans leurs romans publiés
par les éditions Métailié, la référence en matière de polars italiens et sud-américains.

Trop peu connu en France, Sandrone Dazieri a animé Leonkavallo, un squatt célèbre
de Milan, avant de travailler pour le journal Il Manifesto et de diriger « Giallo
Mondadori », la plus ancienne collection policière d’Italie. Son œuvre compte
trois romans consacrés à un détective milanais, ancien militant d’extrême gauche,
surnommé Le Gorille et qui porte le même nom et prénom que son créateur. Pendant
son sommeil, ce privé possède un double qui se charge alors des travaux les moins
gratifiants pour le Dazieri original. Dans sa troisième enquête (Le Blues de
Sandrone) délaissé par son amie partie aux îles Fidji, il accepte avec un évident
manque d’enthousiasme de rejoindre un parc d’attraction en bordure du lac Majeur
afin de protéger un forain. Après quelques péripéties, il se retrouve à la poursuite
d’un jeune néo-nazi, fils d’un milliardaire, évanoui dans la nature après avoir
commis une tentative de viol sur sa sœur. Mais les activités de Sandrone Dazieri
sont bien plus nombreuses que pour n’importe lequel de ses confrères dans la
mesure où, pendant son sommeil, ne l’oublions pas, son double va avantageusement
le remplacer. De la sorte, sa route croisera une secte d’extrême-droite, un squat
d’immigrés et les fameux altermondialistes de Gênes. Tout au long d’un récit
qui ne manque pas de rythme, l’auteur porte un regard critique et peu complaisant
sur le monde qui l’entoure sans se départir d’un humour souvent jubilatoire.

Metteur en scène et dramaturge, Massimo Carlotto a créé le détective privé italien
Marco Buratti, dit L’Alligator, déjà protagoniste de son premier roman (La Vérité sur
l’Alligator). À ce stade, il convient de résumer l’insupportable situation vécue
par le romancier durant ces années de plomb que la presse française mentionne
beaucoup depuis qu’un certain nombre d’écrivains (dont je fais partie) se sont
mobilisés pour empêcher l’extradition de Cesare Battisti. J’ai consacré ma rubrique
du mois dernier à évoquer cette affaire. Depuis, Battisti est sorti de prison
et ; le jugement sur son extradition sera le 7 avril prochain. Revenons à Carlotto,
un ancien militant de « Lotta continua ». Il découvre le 20 juillet 1976 une étudiante
agonisante. On l’a frappée dans sa chambre de 59 coups de couteau. Carlotto alors âgé de
vingt ans, alerte la police qui l’arrête. Condamné à dix-huit ans de prison,
il s’enfuit au Mexique avant de se rendre aux autorités en 1985. Il obtiendra
la grâce du président en 1993 et sera libéré.

Dans Le Maître des nœuds, son quatrième roman, le privé Marco Buratti est associé à deux
vieux renards qui ont roulé leur bosse et connu eux aussi la prison. Max la mémoire
est un vieux militant qui retrouve son énergie grâce au combat des altermondialistes.
Benjamino Rossini, un truand de la vieille école, genre « touchez pas au grisbi »,
a un rôle d’une grande utilité au sein de ce trio coloré que l’on trouve d’emblée
sympathique. Un pratiquant du sado masochisme rencontre Marco et lui demande
en pleurnichant, de retrouver sa jeune femme disparue depuis trois semaines.
Elle avait répondu à la demande de rendez-vous d’un amateur par l’intermédiaire
d’Internet. L’enquête de Marco le mènera au cœur d’un monde trouble et secret
où l’on fabrique pour les vendre des cassettes de snuff movies, ces morts provoquées
et filmées en direct. Mais on appréciera également toute une série de réflexions
incisives portées sur l’Italie d’aujourd’hui. Je vous livre la plus prémonitoire écrite
en 2001 : « Ces nouvelles Brigades rouges puent les barbouzes à plein nez. Ils
s’en serviront contre vous pour régler leurs comptes avec le passé. Tu vas voir
combien de temps ils vont mettre pour foutre en taule les réfugiés de Paris ».

Faisons à présent un saut dans l’espace pour atteindre l’Australie, plus exactement
la bourgade de Cooinda, aux confins du désert, qui fut en 1952 le lieu d’une
atroce tuerie : une famille d’Aborigènes fut anéantie à la machette parce que
l’un d’eux (qui réchappa au massacre) avait couché avec une jeune Blanche. Depuis,
Cooinda a été surnommée "Carrefour sanglant". En 1999, India Kane, journaliste à Melbourne,
arrive dans cette ville. À la recherche de ses ancêtres, elle a hâte de voir
ce grand-père que son amie d’enfance Lauren, affirme avoir retrouvé. Mais rien
ne se déroule comme prévu. Tombée en panne, elle est aidée par Tiger, un jeune
flic qui la dépose au lieu du rendez-vous. Pourtant, le lendemain, Lauren ne
s’est toujours pas manifestée. Déçue et inquiète, India se promène dans la ville
lorsqu’elle est interpellée par un policier qui l’accuse du double meurtre de
Tiger et de Lauren. Pour la faire avouer, il l’enferme dans une cellule en compagnie
du dangereux Mickey le surineur. Après plusieurs interrogatoires, India est libérée.
Sa caution a été payée par un inconnu. En quête de vérité, elle va vivre d’autres
mésaventures et être confrontée à d’autres meurtres. Mais si ses ennemis sont
féroces, elle dispose d’alliés efficaces. Anglaise, Caroline Carver a vécu une
dizaine d’année en Australie. Elle y a beaucoup voyagé comme le prouvent tous
ces détails qui crédibilisent ce premier roman qu’on dévore d’une traite. Dynamique
et nourri de rebondissements, le récit, soutenu de bout en bout par une écriture
efficace, se double d’une critique sociale à propos des Aborigènes de la "génération
volée" qui furent enlevés à leurs parents pour être placés en orphelinat ou adoptés
par des familles blanches.

Bibliographie

Sandrone Dazieri, Le Blues de Sandrone, Métailié, 284 pages, 10 euros.
Massimo Carlotto, Le Maître des nœuds, Métailié, 192 pages, 9 euros.
Caroline Carver, Carrefour sanglant, Albin Michel, 356 pages,19,50 euros.

25.04.2004
Collectif Bellaciao