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Constitution et Europe sociale : un rendez-vous manqué
Publie le mercredi 25 mai 2005 par Open-Publishing1 commentaire

de Antoine Rémond Doctorant en Sciences économiques
La dimension sociale du projet de Traité constitutionnel européen (TCE) est un thème central du débat dans la campagne référendaire. Pour aborder cette question, il ne faut pas s’en tenir à sa seule lecture. Dans la mesure où le TCE reprend le Traité instituant la Communauté européenne (TC) et le Traité sur l’Union européenne, il est nécessaire, pour repérer les éléments nouveaux, d’effectuer une lecture comparative. La première partie du TCE, consacrée aux valeurs de l’Union, en inclut de nouvelles et la deuxième partie instaure, dans son titre IV, des droits de « solidarité ». Elles apportent donc des évolutions positives. Même si leur contenu peut être discuté, elles sont conformes à ce que devrait être une constitution.
Leur reconnaissance est importante d’un point de vue symbolique et comme fondement d’une citoyenneté européenne mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle « change la vie » : c’est un texte général qui fixe des droits, des principes et des objectifs. Ce n’est pas parce que des droits sont reconnus qu’ils sont garantis. Ainsi de nombreux droits sociaux figurant dans la Constitution française de 1958 sont aujourd’hui bafoués : droit au logement, droit à l’emploi, égalité devant l’accès à l’instruction, la formation professionnelle et à la culture, etc.
C’est donc vers la troisième partie que les citoyens doivent se tourner pour savoir ce que le TCE pourrait leur apporter concrètement sur le plan social car elle définit les politiques de l’Union. Il y a essentiellement deux nouveautés.
Tout d’abord, l’article III-136, qui concerne la coordination des régimes nationaux de Sécurité sociale et relève de la procédure de co-décision, apporte deux modifications par rapport au TC (art. 42). D’une part, les décisions du Conseil seront prises à la majorité, alors qu’elles le sont actuellement à l’unanimité. D’autre part, si un membre du Conseil estime qu’un projet de loi ou de loi-cadre européenne porte atteinte à des aspects fondamentaux de son système de Sécurité sociale, il peut demander que le Conseil européen soit saisi. Mais peut-on parler de progrès si le système de Sécurité sociale se trouve menacé par un projet de la Commission ?
Ensuite, un nouvel article (III-117) stipule que, dans les politiques qu’elle met en œuvre, « l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». Symbole de l’avancée sociale du TCE pour les partisans du « oui », car il constituerait une « clause sociale générale », cet article aurait été, selon François Hollande, « arraché » par la gauche (Le Monde du 4 mai). Lionel Jospin y voit « une avancée formidable », Jacques Chirac « un pas considérable ». Néanmoins la formulation ambiguë de l’article et son caractère général laissent sceptique quant aux garanties sociales qu’il serait susceptible d’apporter. La mise en œuvre de politiques libérales visant à supprimer les « rigidités du marché du travail » peut tout à fait être invoquée pour promouvoir l’emploi, tout comme l’« activation » des minima sociaux peut l’être pour lutter contre l’exclusion sociale. Quant à la protection sociale, elle doit être « adéquate »... Qui plus est, si l’on rentre dans le détail des politiques concernant les domaines de l’emploi et de la politique sociale, III-117 se retrouve vidé de son contenu : d’une part, les objectifs sociaux mis en avant existent déjà dans le TC, d’autre part, ils sont soumis à la logique économique. Ainsi, concernant l’exigence d’un niveau élevé de formation, III-203 (art. 125 du TC) précise que l’Union s’attache à « promouvoir une main d’œuvre qualifiée, formée [...mais] susceptible de s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie ». De la même manière, III-209 (art. 136 du TC) indique que l’Union a pour objectif « la promotion de l’emploi [...], une protection sociale adéquate [...], le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable, et la lutte contre les exclusions ». Néanmoins, il précise qu’« à cette fin, l’Union et les États membres agissent en tenant compte [...] de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union ».
Dans le TCE, le Parlement ne peut toujours pas faire aboutir les textes qu’il souhaite car il n’a, au mieux, qu’un rôle de co-décision avec le Conseil. Autrement dit, il n’a que la possibilité d’empêcher. La Commission garde le monopole de l’initiative législative. C’est là un obstacle majeur à la construction d’une Europe sociale car la Commission n’est pas connue pour ses inclinations sociales (à tel point que III-136 envisage, implicitement, d’éventuels projets régressifs). Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre sur le site Internet de son secteur « Analyse de l’opinion publique » qui lui permet d’« effectue[r] un suivi régulier de l’opinion publique dans les États membres. Ce suivi constitue une aide précieuse à la préparation, la décision et l’évaluation de son travail ».
Une enquête sur l’Agenda de Lisbonne publiée en février 2005 révèle, par exemple, que, pour améliorer la performance économique de l’Union, les deux propositions privilégiées par les européens sont l’amélioration de la formation professionnelle et de l’éducation et l’investissement dans la recherche et l’innovation. En dernière position arrive... l’augmentation de la durée du travail. C’est pourtant ce que la Commission recherche dans la proposition de directive 2004/0209/COD visant à modifier certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Cette proposition a été révisée en première lecture, le 11 mai, par le Parlement mais la Commission a aussitôt fait savoir qu’elle n’accepterait pas certains amendements...
De même, parmi les mesures visant à garantir le financement des systèmes de retraites, la préférence des individus pour l’augmentation des cotisations est particulièrement nette. Ce résultat avait déjà été mis en évidence dans une enquête réalisée à l’automne 2001 sur l’avenir des systèmes de retraite en Europe. Or la Commission recommande chaque année aux États membres, dans les grandes orientations de politique économique, de favoriser les dispositifs par capitalisation et de retarder l’âge de la retraite.
Une étude concernant le TCE publiée en mars 2005 confirme les résultats précédents et montre que les domaines prioritaires pour lesquels les citoyens souhaiteraient utiliser le « droit d’initiative citoyenne » (I-47) sont l’emploi, les retraites et l’éducation. Face au dogmatisme de la Commission et dans la mesure où une initiative citoyenne ne pourrait que l’« inviter » à soumettre une proposition législative « aux fins de l’application de la Constitution », peut-on considérer ce droit, dont les modalités restent encore à définir par la Commission, comme un progrès démocratique ?
Messages
1. > Constitution et Europe sociale : un rendez-vous manqué, 25 mai 2005, 22:39
C’est incroyable ça ! Dès dimanche soir assiégeons la Commission !
Paul