Accueil > Dire non pour sauver l’Europe

de Pervenche Berès présidente de la commission économique et monétaire du Parlement européen.
Européenne convaincue, membre des conventions ayant rédigé le projet de traité constitutionnel et la Charte des droits fondamentaux, je n’aurais pas osé dire "non" au projet de traité constitutionnel. Le choix politique de Laurent Fabius me permet de le faire. Pour la gauche, pour la France, pour l’Europe.
– Parce que Jacques Chirac n’a rien fait pour défendre nos priorités et que les chefs d’Etat et de gouvernement ont abîmé le texte que la Convention avait préparé. Ils ont dégradé, compliqué et ils ont reporté l’amélioration du processus de décision. Ils ont supprimé l’exigence de transparence que la Convention voulait imposer aux travaux du Conseil.Ils n’ont pas supprimé la référence à l’héritage religieux et ils ont affaibli la portée de la Charte des droits fondamentaux. Ils ont introduit la stabilité des prix parmi les objectifs de l’Union. Ils n’ont pas autorisé le fonctionnement des services publics en dehors des règles de la concurrence.
Ils n’ont pas permis la définition d’un salaire minimum, ils n’ont pas fait progresser l’harmonisation fiscale et ont supprimé les maigres avancées arrachées par la Convention sur la lutte contre les paradis fiscaux. Ils ont supprimé les pouvoirs du Parlement européen dans la négociation du budget. La Convention a eu la trop grande sagesse de ne pas toucher à ce qui relevait de leur pouvoir direct, le mode de révision de la future Constitution. Sans surprise, leur seul point facile d’accord aura été de n’y rien changer.
– Parce que l’Europe est devenue un bateau ivre auquel ce texte ne redonnera ni boussole ni cap. On ne peut pas regretter que cela ne marche pas et ne pas saisir l’occasion qui nous est ainsi donnée d’agir.
– Parce qu’il y a urgence et que je pense que c’est ainsi que l’on perdra le moins de temps. Je rappelle d’ailleurs que l’essentiel du texte ne s’appliquerait au plus tôt qu’au 1er novembre 2009.
– Parce que, lorsque nous aurons aménagé notre maison commune à 25 sur la base de ce texte, ce n’est pas une dynamique allante qui aura été installée. Ceux qui ne veulent pas voir l’Europe progresser nous auront embarqués. Ils auront gagné.
Les Français ont le droit de dire : "Cette fois-ci, c’est "non", parce que nous voulons une autre Europe." Saisissons cette chance et que chacun respecte les éléments nationaux du débat qui s’engage. Les socialistes français ont gagné les élections européennes sur le projet de l’Europe sociale, pas sur ce texte.
– Parce que ni la France ni les autres Etats-providence d’Europe ne se sentiront à l’aise avec cette Constitution. Ces pays sont à la fois responsables et victimes de l’état de la construction européenne, mais ce n’est pas en enfermant leurs peuples dans une maison qui leur est étrangère que l’on recréera de la dynamique européenne. La France et l’Allemagne ne sont plus que 2 parmi 25, mais croire que l’Europe peut avancer sans que leurs citoyens s’y reconnaissent, sans que les avancées de l’Europe recoupent leurs intérêts est une illusion.
– Parce qu’on ne peut pas emporter l’adhésion des Français avec un texte que Tony Blair vendra aux Anglais en leur expliquant qu’il ne change rien.
Ce texte n’est pas porteur de dépassement comme l’était le traité de Maastricht fondateur de l’euro. Il n’a pas la valeur symbolique d’une Constitution. Il apporte de légers correctifs à Nice, mais pas de projet pour faire avancer l’Europe.
– Parce que la négociation se termine comme toujours sur la base de ce que souhaitent les moins-disants. Mais comment dire aux Français ou à leurs représentants, comme on le fait depuis le traité de Maastricht : "Votez "oui", on progressera dans le domaine social la prochaine fois", alors que, cette fois-ci, pour la première fois, ceux qui souhaitent aller plus loin sont minoritaires en Europe ?
– Parce que, comme le dit Wolfgang Munchau, économiste allemand, " le problème de la Constitution, c’est qu’elle laisse intact le système actuel de politique économique qui est défaillant. Elle ne pourra tout simplement pas constituer un cadre pour une union politique capable de supporter une union monétaire à long terme. Valéry Giscard d’Estaing, l’ancien président français qui a présidé la Convention, a prédit que cette Constitution durerait cinquante ans. Espérons qu’il se trompe. S’il a raison, la Constitution pourrait bien survivre à l’euro".
– Parce que la gauche, forte de cinquante années d’expérience européenne, perd l’espoir de voir l’Europe sociale exister. En acceptant cette Constitution, on prépare le peuple de gauche à un divorce inéluctable avec l’ambition européenne. Je ne voudrais pas en être complice.
J’entends les objections : "Vous serez isolés, c’est une erreur historique." Nous serons isolés tant que les conditions d’une réouverture du débat n’auront pas été installées. Au lendemain d’un "non" français, les européens convaincus, ceux avec lesquels nous voulons avancer, devront retrousser leurs manches. Ils pourront alors le faire sur la base de la dynamique qui aura été créée par le "non" français pour faire rebondir le projet européen autour de sa force, c’est-à-dire son modèle social, tout en permettant à la grande Europe de fonctionner sur une autre base que le mauvais traité de Nice.
L’erreur historique, c’est Jacques Chirac qui l’a commise par trois fois, en ignorant les préoccupations budgétaires de notre allié allemand à Berlin en mars 1999, en refusant que les décisions soient dorénavant prises à la majorité des Etats et des populations à Nice en décembre 2000 et, pendant la guerre en Irak, en traitant ceux qui venaient enfin de nous rejoindre de mal élevés qui devaient se taire.
Je suis européenne mais je suis aussi socialiste, et, comme beaucoup de mes concitoyens, je m’inquiète du devenir de notre modèle social. Sociale-démocrate, je suis d’ordinaire peu adepte de la mystique des stratégies de crise, comme je l’écrivais dans ces colonnes il y a un an en dénonçant " ce gauchisme aigre-doux qui dit "non" à la Constitution européenne".
Lucide sur la qualité des travaux de la Convention et des régressions imposées par les chefs d’Etat et de gouvernement, j’ai aussi conscience que l’Europe ne peut avancer sans l’appui des citoyens. Cela suppose que ce qu’on leur propose soit à la hauteur des défis à venir. Ce n’est pas le cas avec ce texte.
Nous ne trouverons ni l’énergie pour rebondir ni l’unanimité pour le changer. A l’heure des délocalisations, des menaces sur les services publics et sur l’avenir de la protection sociale, nous ne pouvons pas accepter de renvoyer, une fois encore, les préoccupations sociales des citoyens aux calendes. C’est pour cette raison que cette fois-ci, dire "non", c’est redonner une chance à l’Europe.
Le Monde
Messages
1. > Dire non : dernière chance pour la gauche française de gagner les présidentielles de 2007, 14 mai 2005, 14:54
On le sait, en France, la seule élection déterminante est l’élection du président de la république. C’est regrettable, mais c’est ainsi depuis 1962, où la constitution de la Vème République, que d’aucun avait qualifié de "coup d’Etat permanent" (Mitterand en 1962, avant de la renforcer une fois arrivé au pouvoir), a été parachevée par l’élection au suffrage universel du président. La récente réforme dite du "quinquénat", faisant coincider élection présidentielle, puis élections législatives, a définitivement rangé le parlement au rang de godillots du président de la république, véritable César pouvant légiférer sans consultation du parlemenent (les "ordonnances"), dissoudre le parlement, décréter les pouvoirs spéciaux sine die (article 16) etc.
Malgré de sévères défaites aux élections "intermédiaires" (régionales, cantonales, européennes), la victoire du OUI sera celle de la droite, et de la droite seule. Par le contenu même de la "constitution Giscard", mais aussi par le fait que l’immense majorité de l’électorat de gauche est opposée à ce projet, parce que composé en grande partie des classes populaires, cet électorat a parfaitement compris que cette constitution est une machine de guerre contre ses acquis et ses droits sociaux. Que les directions du PS et des Verts, entièrement soumis aux logiques libérales du patronat et de la haute administration française et bruxelloise (patrons et hauts fonctionnaires étant interchangeables dans un "jeu des chaises musicales", ou encore une "alternance" qui se voudrait le paradigme de l’alternance gouvernementale. Quand je suis dans l’opposition je suis patron dans le privé ; quand l’alternance intervient je laisse ma place à un ancien gouvernant, et je prend la sienne dans la haute administration !), se soient à ce point coupés de leur base sociale et électorale, ne peut à court terme que produire de nouveaux désastres électoraux, dans tous les scrutins uninominaux à deux tours, et particulièrement pour la présidentielle. Le risque d’un 21 avril (2002) bis n’est plus à exclure, mais pratiquement certain, si la victoire du oui marquait radicalement l’abîme qui sépare ces grands bourgeois et néo-bourgeois ( dont un Christophe Girard, maire-adjoint à la culture de la Ville de Paris, et soi-disant "vert", directeur de la stratégie du grand groupe capitaliste français "LVMH" de Bernard Arnault, durant les années 80/90 est emblématique) de la masse de l’électorat populaire.
Les partisans socialistes du non, exclus ou humiliés/placardisés, ne pourraient qu’être conduit à la scission. On se retrouvait alors en 2007 avec 6 ou 7 candidats de gauche au premier tour, en désaccord sur tout avec le PS. C’est un duel Chirac / Sarkozy ou Sarkosy / Villepin assuré pour le deuxième tour, et une chambre "bleu horizon" à l’assemblée nationale, avec 5 années supplémentaires pour réellement démanteler la protection sociale en France (Retraite, sécurité sociale, assurances chomages, subventions au logement social etc.). Et un retour à la situation politique qui a prévalu en France entre 1958 et 1974, mais avec, non un gouvernement autoritaire-paternaliste mais "social", mais un gouvernement paternaliste-autoritaire (négation des valeurs de 1968 affichée aujourd’hui même par les plus "libéraux"(au sens "sociétal") comme Luc ferry ou Finkelkraut) mais "libéral" (au sens économique).
Beaucoup des apparatchiks du PS, aujourd’hui s’en moquent un peu. Bien installés dans les 21 régions gagnées en 2003, ils se partagent postes, prébendes, honneurs... et se croient à l’abri des vicissitudes de la vie politique nationale. C’est une grossière erreur : sous le poids des impératifs budgétaires nationaux et européens, ils ont été contraints d’augmenter drastiquement les impôts (de 30 à 60% !), sans qu’ils ne soient assurés de pouvoir répondre aux transferts de charge de plus en plus lourds imposés par l’Etat ; entre 2007 et 2009, le nouveau gouvernement pourra modifier le régime électoral et acculer les régions à des difficultés financières (d’autant que la droite ne dirigeant qu’une seule région - la plus riche de surcroît - la manoeuvre sera aisée et ne rencontrera aucune opposition en son sein. Et c’est à une autre déroute électorale de la gauche qu’on pouurait bien assister aux régionales et cantonales de 2009. Pour ne pas parler des Municipales, qui alors qu’elles devaient se dérouler en 2007, interviendront, au mépris de toute règle constitutionnelle, après les présidentielles, dans l’effet "tsunami" du raz de marée électoral de droite qui se prépare.
Les électeurs socialistes et verts seraient bien inspirés de réfléchir à toutes les conséquences de leur vote OUI, qui verrait les probabilités d’un retour de la gauche au pouvoir en France différé pour au moins dix ans !