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ETRE PSYCHIATRE ET COMMUNISTE

Publie le lundi 23 juin 2008 par Open-Publishing
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ETRE PSYCHIATRE ET COMMUNISTE

par Nicole Remmery

Etre un psychiatre communiste implique-t-il une position particulière, originale dans la pratique de ce métier ?

Pour ma part je le pense et, à la lumière de mon expérience, je repère deux éléments fondamentaux autour desquels s’articulent ma différence et ma singularité. Il s’agit de la question du pouvoir et de la question de la loi.

Il faut noter tout de suite ici que les considérations qui vont suivre et que je tire de ma pratique de psychiatre sont, je pense, tout à fait applicables à d’autres pratiques et non pas propres au milieu de la psychiatrie ou de la médecine.

1) PROBLEMATIQUE DU POUVOIR ET DE LA LOI

a) Concernant la problématique du pouvoir :

Je distingue deux groupes de psychiatres :

 l’un, qui réunit le plus grand nombre se caractérise par une position de pseudo neutralité évitant tout questionnement vis à vis du pouvoir en place et évitant même de le repérer comme tel, la notion de pouvoir étant littéralement taboue, en parler étant quasiment déjà un pêché. Ce tabou va de pair avec celui du politique, politique qui, comme chacun sait, laisse "les mains sales", ce qui est insupportable pour n’importe quel obsessionnel qui se respecte. Le summum de cette position me paraît être très bien représenté par les adeptes des "analyses systémiques" où tout s’explique bien sûr par le système (ce qui, en soi, n’est pas systématiquement faux) mais où à aucun moment on ne se pose la question de l’origine du système, du "décideur" du système. Ces analyses sont remarquables par leurs aspects désaffectisés, dépassionnés, totalement aseptisés et inodores. Bref, "le pied" pour un obsessionnel mais qui à mon avis ne rend compte que très partiellement du monde de l’humain qui est justement affects, passions, odeurs, bonnes ou mauvaises !

 l’autre groupe, plus restreint concerne des psychiatres, eux, très "avides" de pouvoir (en service de médecine ou chirurgie cela s’appelle des "mandarins").

Avide de pouvoir, cela se traduit comment pratiquement ? Tout simplement par le fait de "tirer la couverture à soi", c’est à dire que le pouvoir se joue autour d’attributs, de possessions - autour de l’"Avoir" : avoir plus de lits, plus de personnels que les autres ; pour en faire quoi ? Cà, ça n’a aucune importance, c’est simplement pour l’avoir. On retrouve chez ces psychiatres généralement des personnalités de type narcissique ou paranoïaque.

b) Concernant la problématique de la loi :

Il répugne à bien de mes confrères d’être porteurs, garants de la loi. Par "loi" j’entends les règles élémentaires qui régissent toute relation à autrui, qui s’imposent dans n’importe quelle institution afin que la vie y soit supportable pour l’ensemble. De plus, dans une institution psychiatrique, si celle-ci se veut "thérapeutique" et non pas simplement "asilaire", il convient de mettre en place des règles, des limites souvent adaptées au cas par cas et d’ailleurs mouvantes dans le temps pour chaque cas qui posent un cadre thérapeutique dans lequel le patient va évoluer. Pour moi, aucune psychothérapie individuelle ou institutionnelle ne peut se faire si un cadre clair n’est pas mis en place. C’est le premier acte d’un thérapeute que de mettre en place ce cadre et de le garantir quoi qu’il arrive (et croyez-moi, "il arrive"...). Loin d’être anodin, ce cadre est l’essentiel du travail du thérapeute, et bien sûr, qui dit travail dit difficulté, résistance.

La loi non énoncée clairement non seulement ne permet pas au patient de changer son mode de fonctionnement pathologique, le contraignant à une répétition voire une surenchère symptomatique (pulsion de mort) mais peut en plus représenter un danger réel pour le patient qui n’ayant pas intériorisé la loi et ne la rencontrant pas telle une "prothèse" à l’extérieur, va se confronter "pour de vrai" au Réel (bagarres, fugues, T.S., etc...), Réel de la castration, Réel de la mort.

c) Ces deux éléments : relation au pouvoir, relation à la loi sont liés :

 en effet, pour le psychiatre avide de pouvoir, une seule loi est variable : celle qui le valorise, qui lui apporte un plus (une plus-value) : elle est très variable selon le moment, les circonstances, et ne peut donc être énoncée clairement, simplement, elle se devine : attitudes de séduction des Courtisans du Roi ! Aucune position de principe.

 quant aux psychiatres qui préfèrent ignorer toute position de pouvoir, ils ne sont en fait que la "face cachée" des précédents, le "négatif" du chef ! A l’évidence, ils sont complètement fascinés, sidérés par le pouvoir des précédents, écartelés entre le désir de tuer le chef pour prendre sa place et la peur qu’un tel acte, ou plutôt que la pensée d’un tel acte engendre chez eux. Ceci illustre typiquement la problématique obsessionnelle.

Ces psychiatres obsessionnels adoptent généralement des positions figées, s’imposant une réelle paralysie, tout mouvement risquant de les mettre en péril en consommant une énergie qui est entièrement accaparée par leur conflit interne qui risquerait alors de devenir apparent, d’éclater au grand jour.

Pour ces psychiatres, la loi c’est : "Ne pas bouger" ! Et même plus encore : "Rien ne doit bouger". Il est évident que pour eux, le malade ne pourra jamais "changer", quitter un mode de fonctionnement pour en adopter un autre. Dans le service, cela se traduit chez ces psychiatres par une attitude de passivité insensée, où l’on "Regarde" simplement évoluer le patient, où le personnel subit les agissements pathologiques du patient (injures, menaces de coups, coups, couteaux qui volent, etc...) sans que cela ne soit repris, mis en mots. Pour ces psychiatres, le malade est malade (par définition !), donc tout cela est inévitable : il faut subir et attendre que la crise se passe. La seule défense possible est le médicament. Ces psychiatres sont très friands de nouveaux médicaments mis sur le marché, généralement très chers et dont on attend le "miracle" : ce qui évite bien de penser. Et d’ailleurs, pour eux, la recherche de la cause de la crise, cause du délire, reste tout à fait accessoire. A quoi bon chercher, à quoi bon comprendre puisque de toute façon il faudra subir ! On peut dire qu’à côté du besoin de puissance des psychiatres précédents correspond une impuissance dramatique de ces collègues obsessionnels !

d) Qu’en est-il pour un psychiatre communiste ?

Ou qu’en est-il, tout simplement pour un communiste ?

 un communiste, c’est quelqu’un qui se situe d’emblée dans la désaliénation, fusse-t-elle sociale ou individuelle. En ce sens, il est forcément tourné vers le mouvement, le changement ; il veut faire bouger, pas dans n’importe quel sens bien sûr, mais bouger vers plus de conscience, plus de liberté afin de permettre à chacun de construire activement sa vie et non plus de la subir tandis que quelques-uns se chargent de l’orienter à leur guise.

En somme, le but à atteindre pour un communiste, c’est que chacun soit maître de sa propre vie dans le respect de celle des autres ; "A chacun selon ses besoins", ce qui implique le respect des besoins d’autrui.

Qu’est-ce que le pouvoir pour un communiste ?

Le pouvoir, ce n’est jamais la possession, ce n’est pas le phallus. Le pouvoir ne s’apparente pas à "l’avoir" mais se situe dans "l’agir". Il n’est pas état, il est mouvement. Cela veut dire qu’il n’est jamais un acquis. Il est constamment à construire, en toute circonstance, il est à inventer, à créer.

En système capitaliste, le pouvoir est avant tout état et l’action qui en découle est toujours liée à cet état, son objectif étant la stabilisation de l’état, son autodéfense, sa consolidation, son renforcement. En système capitaliste, le pouvoir est conservateur.

En système communiste, le pouvoir est avant tout action, il est anticipation, délibérément tourné vers l’avenir. Son objectif est la transformation du réel pour la satisfaction des besoins humains (ce qui, pour moi, est également la définition du travail). En système communiste, il n’y a plus d’état.

Bien sûr, on le conçoit facilement, on ne peut passer d’un système dans l’autre en "douceur", et tout le problème est donc dans la TRANSITION, dans la stratégie de passage.

Au niveau individuel, il en va de même. Un individu ne quitte jamais son système défensif la joie au cœur. Au contraire, il s’y accroche comme à l’ultime rempart qui le protège tantôt de la mort et du morcellement psychique, tantôt de la perte d’une partie de son désir. Mais ce rempart ne fait pas que le protéger d’un extérieur effrayant, ce rempart lui garantit aussi un niveau de jouissance qui est celui du stade où il a "décidé" de s’arrêter, les circonstances de sa vie d’alors lui ayant fait pressentir un danger tel que le risque de perte était trop grand et le gain à conquérir trop incertain, obscur, nébuleux. Je reviendrai sur ce point.

Qu’est-ce que la loi pour un communiste ?

La loi, c’est l’outil qui va permettre de tracer la route qui mène de l’état d’enfance, de préhistoire dans lequel stagne notre société au véritable commencement de l’histoire qui n’est plus un état mais un devenir par lequel l’humanité, maîtresse d’elle-même dans sa globalité, décide enfin de son sort.

A côté de la loi : "Ne pas bouger pour rester entier" et de la loi : "Me valoriser pour croire que je suis entier" c’est donc de la dure loi de la castration dont il est question ici.

Au niveau social, cette loi qui s’intègre dans "la stratégie de passage", c’est bien sûr celle que MARX nomme : "Dictature du prolétariat".

Au niveau individuel, c’est au thérapeute de mettre en place la loi à travers le cadre thérapeutique qu’il va délimiter pour permettre au patient de quitter le monde de l’enfance auquel il s’accroche afin d’advenir enfin à son statut d’adulte. Et comme le dit MARX à propos de la dictature du prolétariat, impossible d’y échapper ; ces étapes ingrates sont incontournables. Voilà ce qu’un psychiatre communiste a à porter ! Mais, on comprendra facilement que c’est là le fardeau ("le charbon") de tout thérapeute se situant dans la désaliénation.

2) QUELQUES REMARQUES S’IMPOSENT :

a) Tout d’abord, de ce qui vient d’être dit de la loi en tant qu’outil de passage, de transition, on peut déduire que la loi n’est pas une fin en soi. Elle est elle-même transitoire ce qui nous conduit vers une conception anarchiste de la société "en âge" d’assumer son histoire. Cependant, quoi qu’il en soit, rappelons qu’on ne peut faire l’économie du passage par la loi.

b) A propos du pouvoir en système capitaliste et communiste :

Il est consolidation de l’Etat dans l’un, transformation du réel dans le sens des besoins humains dans l’autre. Mais, à l’évidence, les stratégies de consolidation défense de l’état en système capitaliste engendrent aussi des transformations du réel dans un sens progressiste. Il suffit d’entendre les défenseurs de l’industrie d’armement expliquer comment, par hasard, les recherches dans cette industrie peuvent amener des découvertes utiles pour le commun des mortels ! (Progrès scientifique : idem pour la loi du profit).

Par ailleurs, dans les systèmes de passage de cette société vers une société communiste, il est évident qu’il y aura à défendre des acquis et donc un Etat. On le voit, les contradictions ne manquent pas, mais, à nous de les repérer pour les inscrire dans le sens d’une dialectique progressiste.

c) A propos de la loi encore : j’évoque deux notions :

 la dictature du prolétariat,

 la loi de la castration.

Ce qui "sonne" tout de suite à nos oreilles, c’est le côté rébarbatif, peu engageant, voire repoussant d’un tel programme ! On est loin, là, du "capitalisme de la séduction". On est même à l’opposé dans l’anti-beau, l’anti-esthétique. Mais de plus en plus, mon expérience de communiste et de psychiatre me démontre qu’assumer une position "adulte", c’est assumer le "laid", et je dis bien le laid et non pas le "sale" ou le "honteux" par exemple, non vraiment le laid par rapport au beau, c’est à dire ce qui ne flatte pas les sens, ce qui ne tombe pas sous les sens, ce qui, au contraire, accroche les sens telle la craie qui grince sur le tableau ! Assumer le laid, c’est pouvoir se dégager de la fascination de la belle image ; c’est être capable de voir, dans notre propre reflet, du laid qui vient ternir notre image, condition indispensable pour échapper à la fascination et donc à la mort (celle de Narcisse). Ce point est loin d’être anodin. Au contraire, il est à mon avis central. En effet, toute l’idéologie actuelle nous contraint à une véritable tyrannie du beau. Il s’agit, pour chacun, de se débarrasser pas seulement de ses kilos en trop, pas seulement de ses imperfections corporelles, mais aussi de tout ce qui, dans son discours détone, dérape, grince vis à vis du discours officiel (pensée unique axée sur de beaux slogans : les droits de l’homme, la démocratie, la liberté, etc.…).

Regardez Gorbatchev : n’a-t-il pas préféré la belle formule des "valeurs universelles" à l’affreuse et ringarde "lutte des classes" ?

Plus près de nous, le P.C.F. : n’est-ce pas pour crime de laideur qu’il s’est débarrassé dès 1976 de ce repoussoir qu’est "la dictature du prolétariat" ? Cela ne faisait pas très beau dans le décor du programme commun d’alors !

Ces deux exemples donnent également d’emblée la mesure du coût d’un tel "ravalement de façade".

Gorbatchev ? De premier responsable de la deuxième plus grande puissance mondiale, il survit maintenant dans un deux pièces cuisine à Moscou et la deuxième puissance mondiale est une ruine !

Quant au P.C.F., ayant cédé à la tyrannie du beau, il n’en finit plus de parfaire son toilettage en jetant : et "le centralisme démocratique" par ci, et "l’appropriation des moyens de production" par là, et bientôt,"la cellule" (quel horrible mot juste bon pour la prison !) et bien sûr pour terminer en beauté : le plus affreux des mots (maux) : communiste ! Seulement ça, ce sera vraiment la fin.

Je reviendrai ultérieurement sur cette notion.

d) Un autre point peut se déduire des considérations précédentes concernant la loi.

Je fais un parallèle entre "dictature du prolétariat" au niveau social et mise en place d’un cadre thérapeutique restrictif dans toute psychothérapie individuelle ou institutionnelle.

Si on prolonge l’analogie, on peut dire que l’équipe soignante, le psychiatre, le psychanalyste, seraient donc en position de prolétaires vis à vis de son patient. A l’inverse, le prolétaire serait lui en position de thérapeute de la société.

Je n’ai pas le temps de développer ici ce point que je voulais simplement signaler.

e) A propos du gain :

Je voudrais revenir sur ce que je mentionne très rapidement au chapitre : "Le pouvoir pour un communiste" sous les termes de "gain à conquérir". Pour cela, il me faut reprendre ici de façon très schématique, quelques notions sur le développement psychologique de l’enfant.

Ce qu’il faut bien comprendre avant tout, c’est que le voyage qu’entreprend "le petit d’homme" depuis sa naissance ne s’apparente pas vraiment à une croisière de rêves, bien au contraire ! Ce voyage est même semé d’embûches et le petit d’homme sera amené à y perdre plus d’une plume à son chapeau !

Parti du nirvana originel qu’il va perdre à sa naissance, il sera rapidement confronté au sevrage du sein maternel, puis reconnaissant enfin le visage du personnage nourricier, il s’apercevra avec horreur que celui-ci, parfois disparaît, l’abandonnant à son invalidité structurelle. Il devra alors apprendre à articuler disparition et réapparition, comprenant que l’absence n’est pas la mort ; mais, très vite, dans son espace psychique ainsi élargi, il rencontrera un rival capable lui aussi d’attirer l’attention de sa mère qu’il devra alors apprendre à partager. Bref, voilà grossièrement résumées les pertes auxquelles il sera confronté et qui vont le mener jusqu’à l’Oedipe et la phase de latence.

Mais alors, me direz-vous, puisqu’il a tant à perdre, pourquoi se lance-t-il dans un tel voyage ?

Tout d’abord, l’expérience montre que tous ne se lanceront pas dans ce voyage, ou s’arrêteront très rapidement, ce qui se traduira soit par la mort, soit par des pathologies psychiques très précoces de l’enfance. Mais pour le gros du troupeau dont nous sommes, l’aventure est tentée. Elle n’aurait aucun sens s’il n’y avait quelque chose à y gagner.

Un gain évident apparaît d’emblée : c’est bien sûr celui de l’autonomie, de l’indépendance. Parti d’une dépendance totale, d’un état d’immaturité exceptionnelle dans le monde animal comme le souligne LACAN (notamment au niveau de son névraxe), immaturité qui en fait la proie idéale du premier prédateur venu fut-il des plus maladroits, il va réussir à se transformer en Prédateur Absolu de la planète, celui qui peut détruire toutes les espèces, même la sienne. Mais, ce gain en défenses vis à vis du monde et donc en puissance, en pouvoir sur le monde, n’est pas le seul. Il s’accompagne, à chaque étape de l’aventure, de la découverte d’une nouvelle sensation de jouissance inconnue jusqu’alors. C’est ainsi que du plaisir fusionnel aux plaisirs de l’oralité, il accédera aux plaisirs de l’analité puis de la génitalité. L’évolution de son plaisir et son enrichissement progressif est parallèle, va de pair avec une autre évolution, un autre enrichissement : c’est celui de sa relation d’objet. De la relation fusionnelle, magma mère enfant, il parviendra à identifier l’objet comme différent de lui, comme Autre ; cependant, encore très dépendant de cet objet différencié (relation anaclitique), il va petit à petit réussir à s’en détacher, l’utilisant d’abord comme objet partiel (sexualité de l’enfant) puis enfin comme objet total dans la relation génitale.

Ce rappel très succinct n’a pour intérêt que de pointer l’extrême complexité des enjeux de maturation chez l’homme autour des pertes et des gains. Car aucun gain n’est possible s’il n’y a pas perte. C’est par tout un travail psychique de symbolisation de la perte que le petit d’homme gagnera en plus de puissance, plus de jouissance. C’est encore à travers la symbolisation de la perte, du manque, qu’il trouvera l’Autre en tant que sujet à la fois différent et identique à lui-même : c’est à dire un véritable alter ego suffisamment identique à lui pour qu’ils puissent se comprendre, se parler, s’aimer ("aimer l’autre comme soi-même") et suffisamment différent pour qu’ils puissent s’interpeller, s’intriguer, se compléter, s’enrichir de leurs capacités, de leur pouvoir ; bref, un alter ego qui n’est ni une moitié, ni un double.

On le voit donc, le développement du psychisme humain n’a rien d’une progression mécanique, linéaire, mais s’inscrit dans une dialectique complexe qui peut se résumer sous la forme de ce dilemme : "Si tu veux gagner, commence par perdre !".

Et tout l’enjeu est là ; car comme le dit le bon sens populaire : "on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on trouve !". C’est à dire qu’il y a, à l’évidence, un risque, celui de la vie et pas de vie sans deuil lié à la perte, et pas de vie sans angoisse liée au risque.

Si nous revenons donc au voyage que notre petit d’homme doit entreprendre, on comprendra facilement l’importance déterminante de son entourage et de sa propre problématique vis à vis de la perte, du risque et de son propre niveau de jouissance.

Mais au-delà de la cellule familiale, la société et son idéologie dominante me paraissent totalement impliquées dans le processus de maturation des individus qui la composent. Qu’on y regarde de plus près : que nous dit l’idéologie capitaliste ?

 le pouvoir et la jouissance passent par la propriété ; plus tu possèdes, plus tu es puissant, plus tu jouis.

 ce plus, cette plus-value, tu les prendras nécessairement à l’Autre qui est donc forcément ton ennemi.

Quand tout, dans une société, rappelle sans cesse ce type de commandements, il n’est franchement pas simple pour la masse de ses individus de dépasser le plaisir anal de possession et de considérer son voisin comme un alter ego !

La société capitaliste ne peut se payer le luxe de former massivement des adultes c’est à dire des êtres conscients et libres, mais se doit de mettre en place des stratégies de"blocage", d’aliénation qui laisseront, au mieux, la possibilité aux individus, d’évoluer jusqu’au stade anal et à son plaisir. Parmi ces stratégies, celle de la société de consommation prend une place déterminante (elle est à la foi stratégie et objectif du capitalisme), mais également tout ce qui se rapporte à la séduction (très bien décrite dans "le capitalisme de la séduction" de CLOUSCARD) c’est à dire à l’image, à la forme, à l’apparence. Un double enjeu me semble visé à travers cette stratégie de l’apparence :

 celui déjà évoqué de la "tyrannie du beau",

 et, cette autre finalité ô combien nécessaire au capitalisme que j’appellerai :"la confiscation du réel".

3) POUR UNE APPROCHE DU REEL A TRAVERS LE POUVOIR ET LA JOUISSANCE :

a) Pouvoir de la jouissance- Jouissance du pouvoir : Quand tout est fait dans une société pour transformer l’individu en consommateur quasi exclusif, son aspect "producteur" étant réduit au minimum à travers le chômage et la dévalorisation du travail, comment ce même individu peut-il échapper à l’idée que la possession, la propriété, est le comble de la jouissance ? Pourtant, cette conception est totalement infantile et réussir à la dépasser me paraît tout à fait salutaire.

Il me semble important de nous attarder un peu sur cette jouissance anale de propriété et pour cela je prendrai deux exemples dont la banalité parlera à tous.

J’ai encore bien présentes à l’esprit les paroles de mon fils lorsqu’il avait 5, 6 ans et qu’il m’accompagnait aux courses dans une grande surface. Avec une stratégie infaillible, il parvenait toujours à me mener au rayon des jouets, et là, tombant en extase devant un magnifique revolver en plastique, il m’implorait :"Maman, c’est ce revolver là que je veux. Je te jure que si tu me l’achètes, je ne te demanderai plus jamais rien car c’est exactement un revolver comme çà que je veux depuis toujours !".

Et le plus pathétique de l’histoire, c’est qu’il y croyait, alors qu’il s’agissait probablement de son 150ème revolver en plastique !!! (J’exagère bien sûr, vous l’aurez compris, mère d’accord mais néanmoins psychiatre !).

De façon répétitive, l’enfant fait donc peu à peu l’expérience que ce qu’il pensait être un plaisir absolu n’est en fait qu’un plaisir partiel parmi d’autres et que l’objet possédé n’est jamais comblant.. Bien sûr, cette expérience ne peut être structurante que si les adultes qui accompagnent cet enfant dénoncent son erreur quitte parfois à se fâcher devant son insistance capricieuse.

Mais encore faut-il que les adultes en question ne soient pas eux-mêmes prisonniers des désirs de propriété fantasmés comme le comble de la jouissance.

L’autre exemple m’est rapporté par un ami généraliste ; l’un de ses clients âgé d’environ 48 ans, riche commerçant devait mourir d’un cancer du rectum ; malade, dépressif, il faisait à son médecin, ami d’enfance, le constat suivant : "Je ne sais plus quoi désirer ; j’ai eu tout ce que je voulais dans ma vie, maisons, voitures, bateaux...". Manifestement à 48 ans, cet homme réalisait que la propriété ne pouvait combler sa vie, mais, hélas, il ne parvenait pas à anticiper d’autres plaisirs. On peut rattacher cet exemple à celui des gagnants du loto qui après avoir de façon quasi-magique pu réaliser tous leurs désirs matériels, se retrouvent totalement démunis et souvent même confrontés à la mort.

La fixation au plaisir anal non dépassé, comme tout autre fixation plus précoce, contient inévitablement sa part de morbidité avec laquelle l’individu devra composer tout au long de sa vie. Cependant, elle a incontestablement aussi sa part de jouissance que la société de consommation va s’ingénier à stimuler en inventant des gadgets divers à posséder. Et là où il y a de la jouissance, il y a de la vie !

Il me semble cependant percevoir une nuance importante dans la façon d’appréhender la jouissance par la masse des individus dont nous sommes et la poignée de capitalistes qui nous dicte notre niveau de plaisir.

Si nous revenons à notre premier exemple : l’enfant qui veut le revolver, le veut parce qu’il le voit ; il le veut parce qu’il faut qu’il le touche ; il doit le manipuler, le sentir, jouir du bruit qu’il produit. Bref, le plaisir de l’objet possédé est complètement lié à ses sens, s’inscrit totalement dans le cadre de sa sensualité. D’ailleurs, existe-t-il de jouissance en dehors de la sensualité ? Pour ma part je ne le pense pas ; le corps est le lieu de la jouissance.

Or, chez les capitalistes, on est généralement stupéfait de découvrir l’énormité des sommes qu’ils brassent quotidiennement (P.D.G. d’Auchan : son seul salaire : 12 millions de francs par mois ; Mme Béthencourt : plusieurs milliards par jour, etc...). De telles sommes ne représentent plus rien en termes de désirs matériels. Ces sommes n’ont rien de jouissif pour le commun des mortels ; pourtant, des hommes, les capitalistes, sont capables d’imposer les pires sévices à l’humanité pour non seulement garder leurs avantages financiers mais en plus les augmenter ! Quel peut être leur moteur ? De quelle jouissance tirent-t-ils leur motivation ?

La jouissance est dans le corps et a à voir avec nos sens. Or, qu’est-ce qui caractérise toute jouissance corporelle ? C’est qu’après son acné, elle s’évanouit. On peut même dire que son paroxysme signe sa fin. A peine est-il rassasié que le sujet ré éprouve le manque et devra partir à la recherche d’un nouveau plaisir. Toute jouissance contient donc le manque et fait revivre la perte. Pouvoir jouir, c’est pouvoir accepter de perdre. L’orgasme n’est-il pas appelé parfois "petite mort" ? En cela, la jouissance est entièrement de l’ordre de la vie. Or de cela le capitaliste ne veut rien savoir ; le capitaliste ne veut rien perdre ; en cela, il s’inscrit dans l’ordre de la mort et sa stratégie sera de se protéger de la jouissance en tant qu’elle a un début et surtout une fin. Il lui faudra alors trouver une jouissance sans fin, une jouissance sans perte, c’est à dire hors sensualité, hors sens. C’est à travers la logique du nombre qu’il mettra au point sa pseudo jouissance abstraite et il lui suffira d’ajouter un nombre au nombre pour posséder un nouvel objet jouissif. Le nombre matérialisé par l’argent représente donc la possession idéale, infinie, qui se suffit à elle-même.

Cette pseudo jouissance s’inscrit totalement dans la logique de l’augmentation infinie du taux de profit.

b) Pour une approche du réel :

La symbolisation de la perte va donc obliger notre petit d’homme devenu adulte à se lancer à la recherche de ses "paradis perdus", décentrant son intérêt pour lui-même et le projetant à l’extérieur de sa réalité psychique vers ce qu’on peut appeler la réalité tout court, ou le réel qu’il tentera de modifier, de transformer pour y inscrire son désir, y assouvir ses besoins.

Je pose ici le postulat que la finalité de la maturation humaine réside dans l’acquisition progressive de capacités à affronter le réel pour le maîtriser, le modifier, "l’humaniser".

Tout chez l’enfant tend vers ce projet comme en témoigne l’admiration qu’il porte à ses parents capables de "travailler ce réel" pour satisfaire ses besoins tandis que lui imite les gestes des adultes à travers son activité primordiale : le jeu, véritable répétition imaginaire et symbolique de son futur travail.

Or, c’est bien ce projet là qui dérange les capitalistes pour qui, je le rappelle, le réel ne peut être transformé que dans un seul sens : celui de la consolidation de leur pouvoir et de l’augmentation de leur taux de profit. Par ses stratégies de valorisation du plaisir anal, présenté comme la finalité de l’existence, l’idéologie capitaliste va réduire l’intérêt de ses individus pour le monde essentiellement à ce qu’il peut en posséder et à la recherche de moyens pour en posséder davantage. Pendant ce temps, les capitalistes s’occupent du reste, s’appropriant littéralement le réel qu’ils façonnent à leur idée, dans leur intérêt exclusif ; c’est ce que j’appelle :"Forcer le réel".

Ce schéma entre capitalistes et reste de l’humanité s’apparente bien sûr totalement à celui du maître et de l’esclave, le clivage s’opérant ici autour de la problématique de la jouissance, dédaignée par le maître, sans cesse recherchée par l’esclave.

Accaparé par cette quête du plaisir, l’esclave accepte de se laisser déposséder du réel et donc du pouvoir qu’il abandonne au maître. Ce tour de force du capitaliste illusionniste n’est possible que parce que l’esclave, bon public, "marche" totalement dans l’illusion pour "se la jouer", "se jouer le réel" : "Je sais bien que ni Chirac, ni Jospin n’apporteront de solutions aux problèmes de la société, mais quand même je leur confie mon destin, tant qu’ils me laissent me procurer du plaisir".

C’est là typiquement le raisonnement ou plutôt l’absence de raisonnement des couches moyennes nées de la société de consommation.

On pourrait cependant objecter que ce schéma d’un clivage entre "masses jouisseuses" et capitalistes sages parmi les sages s’élevant au-delà de leur triviale sensualité et se chargeant de planifier la jouissance d’autrui tels de bons pères assumant pour leurs enfants les contraintes du réel et organisant leur espace de plaisir, est finalement un schéma très séduisant car, au troupeau dont nous sommes, la jouissance, fusse-t-elle infantile, plaisir partiel, et à quelques sages le réel et ses difficultés !

Mais, qu’on ne s’y trompe pas. L’exploitation de la jouissance anale ne fait que répondre à l’un des objectifs stratégies passagers du capitalisme qu’est la société de consommation. Celle-ci n’a pas toujours existé dans le capitalisme (stratégie d’après la 2ème guerre mondiale) et n’a aucune obligation à perdurer dans le système capitaliste. Certes, elle lui est très utile pour tout ce qui vient d’être dit précédemment et le capitalisme ne l’abandonnera pas de gaîté de cœur .

Mais déjà, en cette fin de siècle, cette stratégie se lézarde, excluant de plus en plus de monde même en pays riches, exclusion qui gagne peu à peu les couches moyennes, véritables clés de voûte actuelles du système capitaliste.

A travers ces lézardes, la belle vitrine du capitalisme laisse apparaître l’arrière-plan et tout ce qui a été soigneusement remisé au placard ; c’est à dire sa laideur : quelques exemples :

 pas très belle l’Amérique quand elle renifle les tâches de sperme de son président sur les robes de ses stagiaires,

 pas très beau le président quand il balance des bombes sur des innocents simplement pour faire oublier ses galipettes,

 pas très beaux les pays des droits de l’homme quand ils se font complices de l’arrestation honteuse d’Ocalan tandis que, prétendant défendre les droits des peuples comme au Kosovo, ils se fichent totalement de ceux des Kurdes.

Et j’en passe et des meilleures.

Certes, ces faits ou plutôt ces méfaits ne sont pas encore perceptibles par un très grand nombre mais ils sont, à mon avis, les précurseurs de ce qui composera notre paysage politique de demain.

On le voit bien : l’épuisement de la stratégie de la société de consommation va petit à petit laisser le terrain à une autre stratégie, celle-là bien connue car déjà utilisée par le capitalisme : c’est bien sûr celle du fascisme et avec elle, toute la laideur du système jusqu’alors refoulée aux quatre coins du tiers-monde et dans les ghettos de nos sociétés avancées envahira l’espace de nos vies quotidiennes.

L’idéologie capitaliste a donc induit artificiellement un clivage dans le réel en prétendant séparer le laid du beau, c’est à dire en prétendant éliminer du réel la contradiction. Ce n’est pas un hasard si cette stratégie s’est épanouie en même temps que se développait le camp socialiste. En effet, tout l’effort des pays socialistes consistait au contraire à se réapproprier le réel et donc forcément avec lui la contradiction (qui peut se nommer aussi castration). La comparaison ne pouvait que jouer en défaveur des seconds, les obligeant à dresser et à assumer des murs. Tenir "la castration" n’est pas chose facile. La tentation était très forte pour certains dirigeants des pays socialistes de se laisser séduire par l’idéologie du beau, véritable chant des sirènes. Ce fut le cas de GORBATCHEV. C’est aujourd’hui le cas du P.C.F.. Ce que l’un et l’autre n’ont cependant pas compris, c’est que la castration non assumée est porteuse de mort. Le capitalisme a réussi jusqu’à ce jour à la tenir à distance de ses bastions en la dissimulant dans ses poubelles (Tiers-monde, ghettos). Mais, attention, le camp socialiste n’existe plus et le bloc capitaliste n’a plus besoin d’avancer masqué. Il n’aura alors aucun scrupule à semer la mort comme il l’a toujours fait jusqu’ici, et cela même dans nos pays relativement protégés depuis la Seconde guerre mondiale.

La problématique de la castration est donc bien au cœur de toute histoire individuelle ou collective. Elle rappelle à tous que la complétude, la perfection, ne sont pas de ce monde ou, plutôt, pas du monde du vivant.

Ce manque repéré par le sujet va être le moteur qui va le propulser hors de sa réalité psychique vers le réel qu’il va devoir "travailler" pour y extraire l’objet vécu dans un premier temps comme idéal. Devenu adulte, le sujet aura fait l’expérience que l’objet n’est jamais comblant, abandonnant donc toute perspective d’une jouissance infinie liée à l’objet. Il comprendra alors que c’est bien moins l’objet que sa propre action, son intervention elle-même sur le réel qui est source de jouissance et que c’est de cette action qu’il tire son pouvoir. Cette jouissance là, ce pouvoir là, ne peuvent lui être dérobés puisque non matérialisés par un objet quelconque ; l’expérience jouissive du pouvoir pourra alors être répétée par le sujet sur la scène du réel tant que son énergie vitale le lui permettra. Elle suppose cependant une condition incontournable : que le sujet ne se laisse pas confisquer le réel, mais qu’il se le réapproprie dans toute sa complexité et avec toutes ses contradictions.

Le réel, ce serait donc le lieu de l’infini, de l’illi- mité, de l’immortel en opposition au sujet qui est lui fini, limité, mortel et c’est dans la rencontre entre ce sujet là et ce réel là qu’il y a jouissance et pouvoir.

Nicole REMMERY

http://pholitiques.fr/numero1/etre_psychiatre_et_communiste.html

Messages

  • 10 ans et toujours intact, La psychiatrie serait-elle une bonne thérapie pour le communisme ?

    CN46400

  • Dis Camarade psy tu peux dire à tous tes collègues militants de gauche et d’extrême gauche qu’ils s’organisent pour créer une cellule psychologique nationale pour commencer... pour aider les militants en état de choc, soudain, latent... ?

    Nous avons besoin dans la lutte d’être aider de temps en temps ou régulièrement par un psy... , nous militant, interlocuteur de structures militantes... tant l’adversaire est puissant et déterminé...

    Il y a tant à faire dans votre profession pour la psychiatrie du 21ième siècle à commencer par vous rapprocher des interlocuteurs de la ldh qui recueillent depuis quelques années des témoignages disons lourds...

    Ugence absolue !

    Signé

    Une pseudo-schizo plutôt informatable :-)