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Fabriquer des violents pour réprimer les luttes

Publie le samedi 13 juin 2009 par Open-Publishing

Le groupe « jes futuro » se permet de diffuser ce texte provenant du n° 43 du journal Le RIRe, qui nous paraît d’une actualité « brûlante » même s’il date de janvier 2002 et parce que l’auteur y prône des modes d’action dans lesquels nous nous inscrivons pleinement. J’espère que l’auteur ne nous en voudra pas de prendre cette liberté. Qu’il soit remercié pour cet écrit.
Nous nous sommes permisEs de féminiser le texte.

Fabriquer des violentEs
pour réprimer les luttes

Action directe non-violente, désobéissance civile, non-collaboration, solidarité avec toutes les victimes de la répression... Le mouvement antimilitariste est riche de luttes qui l’ont placé hors-la-loi. Ce n’est donc pas aujourd’hui que Le Rire se placera du côté des Etats qui criminalisent une partie du mouvement social contraire à leurs intérêts.

L’année 2001 a été marquée par l’escalade répressive des Etats dans le but de contrer un mouvement social international ascendant. A Göteborg, puis à Gênes, la police n’a pas hésité à tirer dans la foule, tuant Carlos Giuliani. Même si à Bruxelles la violence d’Etat est revenue à un niveau plus « traditionnel », la logique répressive n’a pas été infléchie. Pour justifier la violence institutionnelle, les Etats ont instrumentalisé les violences sporadiques de certainEs manifestantEs. Le débat provoqué dans le mouvement social par cette stratégie de « maintien de l’ordre » capitaliste n’a pas souvent brillé par sa clarté. La caricature, la mauvaise fois, ou l’invective ont eu la part belle, tandis que les questions de fond posées par cette nouvelle donne ont été traitées superficiellement.
L’ambition du RIRe est d’avancer des pistes de réflexions constructives, plus que de polémiquer avec les unEs et les autres. Non que nous nous sentions investiEs d’une quelconque mission ou porteur/se-s de solutions originales. La vocation du RIRe n’est pas d’apporter la solution à la violence, mais d’en combattre une forme « concentrée » : la militarisation et son corollaire, la guerre. Si nous participons à ce débat, c’est tout simplement parce que nous sommes partie prenante du mouvement social aux niveaux local, national et transnational. A ce titre, nous devons nous positionner et d’indiquer comment nous souhaitons participer à la construction d’un vaste mouvement de transformation sociale, dans lequel la lutte contre le militarisme doit prendre toute sa place. En imposant le débat sur la violence, les Etats cherchent à briser le mouvement de contestation international, en semant la zizanie parmi ses composantes très diverses. Une des forces des mouvements de ces dernières années est d’avoir su, avec plus ou moins de réussite, lutter ensemble sur des objectifs divers mais convergents, et avec des méthodes multiples : la diversité des tactiques. Aujourd’hui, les maîtres du monde somment leurs opposantEs de séparer le bon grain de l’ivraie, en imposant idéologiquement et pratiquement leurs propres catégories : assimiler la non-violence au strict respect de leur légalité et assimiler la violence à toute forme de luttes qu’ils jugent illégale.

Ne pas se laisser piéger.

Leur but est d’obliger une partie du mouvement à se cantonner à des modes d’actions étroitement limités par la loi, limitant ainsi la possibilité de construire un rapport de forces qui soit un tant soit peu favorable aux oppriméEs.Tandis que ceux/celles qui ne voudront pas passer sous leurs fourches caudines seront stigmatiséEs comme violentEs et traitéEs en conséquence. Pour cette stratégie, la violence réelle ne compte pas beaucoup, seule compte la violence symbolique : est considéré comme violent tout ce qui s’oppose efficacement à leur pouvoir. Ainsi, les actions de fauchages de champs transgéniques, parfaitement non-violentes, sont plus réprimées que des actions de destructions diverses des paysanNEs de la FNSEA. Dans un cas, l’action remet en cause des intérêts puissants, dans l’autre l’action fait partie d’un processus de cogestion conflictuelle au profit du système.
Accepter leur définition de la violence serait suicidaire pour nous antimilitaristes, comme pour toutes celles et tous qui, en général ou dans un domaine particulier, ont la prétention de changer le monde. Nous devons continuer à mener conjointement des actions légales et des actions illégales quand cela est nécessaire pour parvenir à nos objectifs. Seulement, il nous faut éviter un second piège : celui de se placer sur leur terrain. En effet, nos ennemiEs aimeraient bien nous attirer sur le terrain « militaire », où sa supériorité est écrasante. Le bilan des violences de Gênes est parlant : dans une confrontation de rue, les forces répressives ont le dessus. D’un côté, des vitrines brisées, des voitures brûlées ; de l’autre, des centaines de blesséEs et de prisonnierEs. Ils n’ont rien à craindre d’une logique de guerre sociale, et pour eux la tentation de nous attirer sur ce terrain est toujours possible. Par une répression féroce, le pouvoir peut parvenir à pousser des franges du mouvement vers des modes d’actions militaristes, qu’il sera facile de criminaliser sous prétexte de « terrorisme ». Quelques bombes opportunes, une bonne propagande médiatique rendront acceptables la violence, la torture et la mort mises en oeuvre par les forces de l’Etat. Cela s’appelle la stratégie de la tension, et n’oublions pas qu’elle fut utilisée avec succès en Italie pour anéantir les mouvements révolutionnaires des années 1970. Un retour aux « années de plomb » est toujours possible ; déjà les Etats préparent un terrain favorable en focalisant sur des violences marginales et symboliques, et préparant les esprits en agitant le spectre du terrorisme.

L’imagination contre le pouvoir

Ne nous laissons pas avoir par l’esthétisme de la violence urbaine, le romantisme de la lutte armée, la mythologie du Grand Soir et les stratégies reposant sur le martyre. Mais ne rejetons pas les individus qui utilisent la violence comme mode d’action, comme réaction à la violence dont ils/elles sont eux/elles-mêmes victimes, étant le plus souvent issuEs des classes les plus pauvres et les plus exclues de la société. Ecarter par principe la violence est nécessaire, mais ce positionnement doit s’accompagner d’une réflexion sur les moyens que se donne le mouvement social pour maintenir et recréer dans ces classes « dangereuses » des modes d’organisations et d’actions alternatifs à la violence. Faute de cette réflexion, nous apparaîtrions comme de doux/ces rêveur/se-s, se contentant de distribuer bons et mauvais points, incapables de peser sur les événements.
Réaffirmons que nos moyens doivent être en accord avec nos objectifs, que c’est faire preuve d’intelligence que de ne pas lutter sur le terrain que l’ennemi a choisi. Imposons la confrontation sur le terrain politique, en faisant preuve d’imagination pour subvertir l’ordre dominant tout en limitant ses capacités à nous réprimer. Le RIRe ne possède évidemment pas de recette magique, il a toutefois acquis quelques acquis à faire valoir, issus des luttes antimilitaristes auxquelles nous avons participé ; action directe non-violente, désobéissance civile, non-collaboration, solidarité avec toutes les victimes de la répression. Tout cela nécessite bien des réflexions, des débats, des expériences pour avancer. Il faudra certainement repenser certaines des tactiques utilisées ces dernières années, constuire des cadres collectifs pour créer d’autres modes d’actions tout en préservant une solidarité entre les diverses composantes du mouvement social qui en font sa richesse et sa force.

Georges Broussaille

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