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" J’ai vu Ramallah " de Mourid Barghouti

Publie le jeudi 7 octobre 2004 par Open-Publishing


Après trente années d’exil, un poète revient sur la terre de son enfance.
Sans amertume mais avec une infinie tristesse, Mourid Barghouti raconte la douleur
d’être palestinien.


de Mourid Barghouti

"Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours - de poésie
jamais." Dites cette phrase de Baudelaire à un homme assis sur les ruines de
sa maison, ses oliviers détruits et son écuelle vide ; il y a des chances certaines
qu’il vous jette un œil noir ou un sourire ironique selon son degré d’humour...
Pourtant, les poètes peuvent apporter à leur peuple non seulement le réconfort
de la beauté des mots mais aussi et surtout la reconnaissance écrite de leur
douleur et si le nom de Palestine n’évoque pas seulement une ville américaine
mais surtout un pays, c’est aussi parce que des hommes de lettres tels que Mahmoud
Darwich, Ghassan Kanafani ou Hussein al-Barghouti [1] ont raconté avec lyrisme
cette terre et son peuple. Le poète palestinien Mourid Barghouti s’inscrit dans
la même lignée de grands auteurs. Une raison supplémentaire pour ne pas manquer
son récit J’ai vu Ramallah, traduit dernièrement en français aux éditions de
l’Aube.

Cet ouvrage a été originellement publié en 1997, soit trente ans après la guerre des Six-Jours et quatre ans après la signature des accords d’Oslo qui permirent à un certain nombre de Palestiniens de pouvoir revenir chez eux. Mourid Barghouti a ainsi pu retrouver son pays qu’il n’avait pas vu depuis plus de trente ans et fait le récit de ce retour ponctué tour à tour par l’émotion, la colère, la douleur et la tristesse. Un exil ne prend en effet jamais fin et même si on retrouve la maison de ses aïeux et les ruelles de son enfance, la poussière de ses souvenirs et le goût des olives, les morts eux ne reviennent pas et les blessures d’une vie passée à être séparé de ses proches éparpillés aux quatre coins du monde ne cicatrisent jamais.

Au fur et à mesure qu’il arpente Deir Ghassaneh, le village de son enfance, Barghouti appelle à ses côtés les fantômes d’êtres chers disparus, à commencer par son frère Mounif. Il se remémore les grands et petits événements de sa vie privée, intrinsèquement liés à la tourmente de l’Histoire à l’instar de tous les Palestiniens. Des expressions comme "territoires occupés" et des noms comme "Ramallah" ou "Jérusalem" prennent soudainement corps. "Le monde ne connaît de Jérusalem que la force du symbole (...). Mais le monde ne s’intéresse pas à notre Jérusalem, la Jérusalem des gens. La Jérusalem des maisons et des rues pavées et des marchés populaires avec les épices et les légumes en saumure, la Jérusalem de l’université arabe, la Jérusalem des cordes à linge. Cette Jérusalem, c’est la Jérusalem de nos sens, de nos corps, de notre enfance."

Les grandes dates affleurent au fil des souvenirs, de l’exode de 1948 aux accords d’Oslo qui devaient amorcer enfin un processus de paix au Proche-Orient mais qui selon Barghouti, suscitaient surtout "un espoir souillé de peurs diffuses". Sept ans après la rédaction de ce livre, l’enlisement de la situation au Proche-Orient confère malheureusement un accent prophétique à ce texte. Mais si Barghouti doutait déjà en 1997 de l’avenir du processus de paix dans les faits mort-né, on ne notera nulle amertume et nulle violence dans les paroles du poète mais seulement une tristesse infinie.

Mourid Barghouti, J’ai vu Ramallah, (Ra’aytu Ramallah, traduit de l’arabe (Palestine) par Maha Billacois et Zeinab Zaza), Editions de l’Aube, 2004, 265 pages, 20 euros

[1] Lumière bleue, dernier ouvrage de Hussein al-Barghouti paru en France (Actes Sud, juin 2004)

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=1600