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L’ÉRUPTION ISLANDAISE : Un nuage collatéral pour le GNL 16

Publie le samedi 24 avril 2010 par Open-Publishing

« J’ai fait un rêve qui n’était en rien un rêve/Le soleil éclatant s’éteignait et les étoiles/Erraient, sombres, dans l’espace éternel/Sans rayon et sans voie, et la terre glacée/Se balançait, aveugle et calcinée, dans les airs sans lune. [...] Les ténèbres n’avaient aucunement besoin d’eux. Elles étaient l’Univers. »

Lord Byron (Darkness)

La catastrophe induite par le volcan islandais a amené les Européens à faire des bilans sans s’interroger sur le fond, à savoir l’addiction à l’avion. « A l’échelle de la planète, écrit Simon Winchester, ce n’est qu’un minuscule trou d’épingle qui s’est formé le mois dernier sous l’Eyjafjallajökull, le glacier situé dans le sud de l’Islande. Pourtant, aussi minime soit-elle, cette égratignure de l’écorce terrestre a affecté des millions de personnes. La dernière fois que le monde a connu un tel bouleversement remonte au 27 août 1883, lorsqu’un phénomène similaire s’était produit sur l’île de Krakatoa, entre Java et Sumatra, sur le territoire de l’actuelle Indonésie. Près de 40.000 personnes avaient alors trouvé la mort, l’éruption ayant été beaucoup plus violente et s’étant produite dans une zone nettement plus peuplée. Les nuages de poussière qui étaient montés jusqu’à la stratosphère avaient eu un impact sur toute la planète pendant le reste de l’année, même si les effets ont été de nature très différente. Et si les cendres de l’Eyjafjöll ont coûté des millions d’euros aux entreprises, celles du Krakatoa ont laissé un remarquable héritage dans l’histoire de l’art et ont débouché sur d’importantes découvertes scientifiques. »(1)

« Cependant, les deux plus fortes éruptions volcaniques, nous dit Brigitta Isworo, jamais enregistrées sur notre planète, se sont produites en Indonésie. La première, celle du volcan Toba (devenu aujourd’hui le lac Toba, sur l’île de Sumatra), aurait eu lieu il y a 74 000 ans avec un indice d’explosivité de 8 (c’est-à-dire le niveau maximum de l’échelle servant à mesurer la puissance des éruptions). Bien plus près de nous dans le temps, en avril 1815, l’éruption du volcan Tambora sur l’île de Sumbawa, bien que moins célèbre que celle du Krakatau en 1883, fut beaucoup plus puissante et plus meurtrière. Elle tua en un instant plus de 70 000 personnes. Beaucoup d’autres moururent de faim et de soif dans les jours et les semaines qui suivirent. Pour témoigner de cette catastrophe, lord Byron écrivit un poème intitulé Darkness (Ténèbres) »(2)
L’éruption du volcan Eyjafjöll, risque de devenir une scène familière au cours des prochaines décennies. « Les volcans islandais suivent une périodicité de cinquante à quatre-vingts ans », explique Thorvaldur Thordason, de l’université d’Edimbourg. « L’augmentation de l’activité volcanique observée ces dix dernières années suggère que nous sommes en train d’entrer dans une phase active, avec des éruptions plus puissantes et plus nombreuses. » Cette phase pourrait durer au moins soixante ans, avec un pic d’activité entre 2030 et 2040. (3)

Alors que le volcan islandais Eyjafjöll continue de cracher des cendres, la question des conséquences pour le climat de cette éruption, survenue le 14 avril, se pose toujours. Si les scientifiques s’accordent à dire que l’impact du volcan devrait être faible, ils peinent encore à s’arrêter sur des chiffres. Le volcan diffuserait actuellement entre 150.000 et 300.000 tonnes de CO2 par jour, selon Colin Macpherson, géologue à l’université de Durham en Angleterre, et Patrick Allard, volcanologue à l’Institut physique du globe de Paris, interrogés par l’AFP. Si les émissions ont augmenté, les experts les considèrent toutefois comme minimes.

Pour Patrick Allard, « la quantité de CO2 émise par les volcans en général, et celui-là en particulier, est négligeable » par rapport aux émissions totales de gaz à effet de serre. Un avis que partage le volcanologue islandais Freysteinn Sigmundsson, qui estime que « le volume de matière émis jusqu’à présent est dix à cent fois plus faible que dans le cas du Pinatubo ». En 1991, le volcan philippin avait relâché 5 km3 de débris magmatiques et 17 millions de tonnes de dioxyde de soufre dans l’atmosphère, rappelle Le Monde. Conséquence : un refroidissement de 0,5 à 0,6°C de l’hémisphère Nord et de 0,4°C de l’ensemble du globe, en 1992 et 1993, selon une étude du Centre de volcanologie d’Hawaï, précise le quotidien. Certains volcanologues s’inquiètent par contre du rôle de détonateur que pourrait jouer l’éruption de l’Eyjafjöll. Ses trois dernières éruptions (en 920, 1612 et 1821-1823) ont été suivies d’un réveil du mont Katla, un volcan beaucoup plus dangereux situé à une vingtaine de kilomètres, ainsi que de spectaculaires inondations, explique Sciences et Vie. Toutefois, le volcan Laki, le plus meurtrier d’Islande, ne donne aucun signe d’inquiétude aux géophysiciens.(4)

Quelles sont les conséquences de ce chaos dans le transport aérien ? « Il y a eu une conséquence positive, écrit Renanito, c’est bien celle de nous faire réaliser notre maigre pouvoir sur les forces de la nature. Nous passons notre temps à modeler notre environnement à notre convenance, pour y trouver confort et sécurité. Et un malheureux volcan nous remet à notre place. (...) L’Histoire nous a souvent appris que c’est devant l’adversité que l’Homme est le meilleur, quand il est au pied du mur. Que serait-il arrivé si ces éruptions se poursuivaient pendant des mois, dans les mêmes conditions de déplacement d’air ? Connaissant la nature humaine, le trafic aérien n’aurait peut-être pas diminué, mais aurait probablement perdu un peu de son attrait par la réorganisation complète des couloirs aériens, donc par l’allongement des temps de trajet et du prix du vol. »(5)

« Rappelons que selon différentes sources, l’avion serait responsable de près de 3% des émissions mondiales de CO2. Ne comptons pas les particules rejetées, le kérosène (ressource fossile donc non renouvelable) brûlé... Peut-on remettre en question nos manières d’appréhender les choses ? La débauche d’énergie que représente le fait d’envoyer 200 tonnes de métal dans les airs est-elle encore justifiée au XXIe siècle ? Si on envisage le nombre d’avions chaque jour dans le ciel, ce sont des millions de tonnes de métal, de plastique, -et de voyageurs- qui sont envoyés chaque jour dans les airs... En calculant très grossièrement avec deux données assez imprécises, notamment le nombre de vols 15.000 multiplié par un moyenne de consommation de 30.000 litres, on arrive déjà à 450.000.000 litres de kérosène économisés par jour ! Combien de voitures et camions rouleraient avec ça ? (5)

Une autre étude faite a montré que le volcan Eyjafjallajökull déverse chaque jour 15.000 tonnes de CO2 qui empêchent les avions de décoller en Europe. Si ces avions décollaient ils pollueraient pour 344.000 tonnes. L’éruption du volcan a fait gagner à la planète en termes de sursis 206.400 tonnes de CO2 par jour. Soit en cinq jours plus d’un million de tonnes.(6)

Le GNL 16, victime collatérale du nuage islandais

C’est peu par rapport aux 30 milliards de tonnes de CO2 envoyées dans l’atmosphère mais l’aviation représente 3,5% du bilan CO2 mondial, soit au bas mot 1 milliard de tonnes !
Malgré les efforts importants et qu’il faut saluer pour que cette manifestation réussisse, les résultats sont décevants au niveau de la participation réduite à cause du nuage qui a bloqué les conférenciers, notamment européens, Ils sont décevants aussi au niveau des conclusions du Forum des pays exportateurs de gaz. Voilà en effet des vendeurs du gaz que tout sépare et qui se disputent un marché du GNL, lui-même remis en cause par la donne américaine. La nouvelle donne américaine a chamboulé toutes les cartes des pays exportateurs de gaz. Tout porte à croire que la nouvelle technique utilisée par les Etats-Unis va avoir un effet boule de neige et s’étendre à d’au-tres régions du monde.

En Europe, la question du gaz non conventionnel a été abordée à l’automne 2008 à Berlin. Cette conférence a donné naissance au programme européen Gash (Gas Shales in Europa), augurant des possibilités de changement de politique gazière si l’Europe découvre des réserves de gaz non conventionnel. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la Chine et l’Inde pourraient aussi receler d’immenses réserves de gaz non conventionnels. Avec toutes ces données, il nous paraît difficile de faire des pronostics sur l’avenir du marché mondial du gaz. En 2009, les gaz non conventionnels ont représenté 12% des volumes produits dans le monde, alors qu’en 2030, cette énergie devrait représenter près de 60% de la production américaine. Interrogé sur les répercussions de la hausse de la production gazière aux Etats-Unis sur le marché international du GNL et sur les investissements gaziers dans le monde, cette surproduction a été la cause d’une forte baisse du prix du gaz dans le pays, affectant même la rentabilité des mégaprojets du golfe Persique et de leurs usines de liquéfaction très coûteuses. L’Iran, englué dans le nucléaire, essaie de créer des contre-feux pour diminuer la pression occidentale. La Russie veut garder le monopole de l’Europe et son avenir est plutôt gazoduc que GNL avec la construction du South Tram et du Northstream. Mieux encore, on apprend que la Russie a accepté le 21 avril de réduire de 30% le prix de ses approvisionnements en gaz à destination de l’Ukraine qui consomme 35 milliards de m3. En echange, elle jouira d’une extension de 25 ans au-delà de 2017 du bail accordé à sa flotte qui est postée sur la péninsule ukrainienne de Crimée en mer Noire. Le prix du gaz passerait de 337$/1000 m3 à 250$/1000 m3.

C’est dire que le prix du gaz n’est pas fondamental de sa stratégie géopolitique. Le Qatar a, quant à lui, déclaré qu’il n’est pas question de réduire la production de GNL préférant la fuite en avant. Cela rappelle la situation de l’Arabie Saoudite en 1985-86, lors du contre-choc, pour garder ses parts de marché, elle inonda le marché alors qu’apparaissaient de nouveaux producteurs tels que la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher. A ce « petit jeu », le prix du pétrole tomba sous les dix dollars, c’est surtout les petits pays de l’Opep qui trinquèrent, l’Algérie aurait perdu, selon une étude du PGA, plus de 18 milliards de dollars et vit arriver 1988 avec les dégâts que l’on sait. Nous ne devrions rien à voir avec cette mentalité de rentiers du Golfe qui font dans l’éphémère, écrasant leurs frères arabes, l’essentiel est d’être bien vu de l’Occident.

Encore une fois, seule une stratégie endogène permettra d’arrêter cette fuite en avant, car il faut le savoir, plus du 1/3 de nos exportations se fait en GNL dont le prix est passé de 12 à 4 dollars depuis juin 2008. A quoi cela sert de brader de l’énergie pour avoir des dollars qui s’effritent dans les banques ? N’eut-il pas mieux valu n’extraire que la quantité nécessaire - une fois que des Etats généraux de l’énergie nous auraient tracer une stratégie pour le futur- pour le développement et ne pas compromettre l’avenir de ce pays ? Il est utopique d’attendre un retournement du marché en faveur des rentiers du gaz. Je suis sûr que des solutions existent et que les scientifiques existent. Cet électrochoc du gaz devrait nous inviter tous à réfléchir.

Les leçons du volcan islandais

Imaginons un monde sans avion. Emmanuel Delannoy s’interroge sur notre vulnérabilité. Ecoutons-le : « Alors que l’éruption du volcan Eyjafjöll provoque une pagaille sans précédent, tout en restant, paradoxe humiliant, considérée par les volcanologues comme une éruption "ordinaire", n’est-il pas temps de nous interroger sur la vulnérabilité de notre modèle de prospérité ? Nous sommes devenus à un tel point dépendants de l’hypermobilité, de la vitesse qu’elle implique, et donc de la consommation énergétique induite, que nous en sommes venus à les considérer comme indispensables, au point qu’aucune alternative ne semble possible. Et voilà que, patatras, une éruption "ordinaire" (aux conséquences certes extraordinaires), vient chambouler toutes ces certitudes...Or, à y regarder de plus près, bien des rouages du monde moderne pourraient un jour être tout aussi vulnérables, qu’il s’agisse d’Internet, de la téléphonie mobile, du GPS, du trafic maritime, ferroviaire ou routier, etc. ».

« Toutes ces technologies sont utiles, il n’est pas question d’en discuter, mais sont-elles "addictives" au point que nous ne puissions plus imaginer vivre sans ? En sommes-nous arrivés à un point de dépendance si critique qu’une défaillance grave d’un de ces systèmes nous plongerait dans le chaos ? Et si oui, avons-nous un plan B, au cas où ? Les spécialistes des cindyniques (les sciences du danger) ont beau chercher à tout prévoir, tout anticiper, cette éruption "ordinaire" nous rappelle que l’humilité reste de mise. Ni l’éruption ni ses conséquences directes et indirectes n’étaient à 100% prévisibles. Après l’infiniment lointain et l’infiniment petit, l’infiniment complexe est sans aucun doute la dernière frontière de l’humanité. Infinie complexité que nous avons nous-mêmes créée, peut-être au-delà de nos capacités d’appréhension. Génétiquement, psychologiquement, nous restons des Cro-Magnons, partageant en héritage une culture et des comportements adaptés à un monde bien plus "simple" et plus "prévisible" que celui que nous avons fait émerger en quelques décennies à peine. (...) » (7)

« Cette infinie complexité nous place dans une situation "d’incertitude durable". Le défi est le suivant : ne pouvant tout prévoir, ni tout anticiper, devons-nous nous résoudre à faire le deuil des certitudes ? Sommes-nous prêts à adopter une attitude plus humble vis-à-vis de la nature, une attitude fondée sur l’accompagnement, et non plus sur une quête éperdue et vaine de maîtrise ? Il faudrait pour cela renoncer aux projections linéaires vers un futur déterminé et penser demain autrement. Accepter l’incertitude, c’est aussi penser en termes de résilience : puisque tout peut arriver, que pouvons-nous faire, dès aujourd’hui, pour donner toutes leurs chances aux écosystèmes et à la société humaine ? Pour que soient préservées, non pas un "état de référence" (déterminé par qui ?), mais des potentialités d’adaptation et d’évolution, pour faire face à l’imprévu ? (..) Le volcan Eyjafjöll pourrait-il nous inspirer un retour à la raison ? En acceptant l’incertitude, serions-nous mieux outillés pour inventer une société où le champ des possibles serait plus ouvert ? Une société où le bonheur ne se concevrait pas seulement à travers la possession toujours plus grande de moyens de maîtrise, et où la solidarité retrouverait tout son sens ? »(7) Amen.

1. Simon Winchester : Déjà, en 1883, un certain volcan de Java. The New York Times 22.04.2010

2. Brigitta Isworo : Les plus fortes éruptions de l’Histoire sont indonésiennes/. Kompas 22.04.2010

3. Préparez-vous à soixante ans d’éruptions volcaniques. New Scientist 21.04.2010

4. Eyjafjöll : ce volcan qui paralyse tout un continent : La Libre Belgique 16.04.2010

5. Renanito/ : S’envoyer en l’air ou pas... Les leçons d’une éruption Agoravox 21 avril 2010

6. http://gizmodo.com/5519809/eyjafjallajokull-daily-co2-output-utterly-dwarfed-by-european-aviation-industry

7. E.Delannoy
http://www.terra-economica.info/Les-lecons-du-volcan-d-Eyjafjoll,9775.htm
19 04 2010

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique enp-edu.dz