Accueil > LA CONDAMNATION DE LA VIOLENCE PAR LES GOUVERNEMENTS
Un extrait d’un texte du sous-commandant Marcos adressé aux émeutiers grecs et publié ici en janvier dernier.
Revenons cependant à la condamnation de la violence qui est faite en haut
On opère une transformation fallacieuse, une fausse tautologie : en haut, on prétend condamner la violence, mais en fait on condamne l’action.
Pour ceux d’en haut, la contestation est un mal saisonnier du calendrier ou, quand c’est jusqu’au calendrier qui est remis en question, une pathologie cérébrale que l’on soigne, selon certains, à force d’une grande concentration mentale, en se mettant en harmonie avec l’univers, comme ça tout le monde est un être humain... ou un citoyen.
Pour ces violents pacifistes, tout le monde est un être humain. La jeune Grecque qui lève une main brandissant un cocktail Molotov est humaine, comme l’est le policier qui assassine tous les Alexis qui ont existé et existeront dans le monde ; l’enfant palestinien qui pleure à l’enterrement de ses frères tués par les bombes israéliennes est humain, comme l’est le pilote du chasseur bombardier au fuselage arborant l’étoile de David ; monsieur George W. Bush est humain, comme l’est le sans-papiers assassiné par la Border Patrol dans l’Arizona, USA ; le multimillionnaire Carlos Slim est humain, comme l’est la salariée d’un magasin Sanborns qui met trois ou quatre heures pour aller au travail et en repartir et qui est foutue à la porte si elle arrive en retard ; monsieur Calderón, qui se prétend chef de l’exécutif fédéral mexicain, est humain, comme l’est le paysan dépossédé de ses terres ; monsieur López Obrador est humain, comme le sont les indigènes assassinés au Chiapas, qu’il n’a jamais vus ni entendus ; monsieur Peña Nieto, prédateur de l’État de Mexico, est humain, comme l’est le paysan Ignacio del Valle, membre du FPDT (Front communal en défense de la terre), emprisonné pour avoir défendu les pauvres ; bref, les hommes et les femmes qui possèdent richesses et pouvoir sont humains, comme le sont les femmes et les hommes qui n’ont rien d’autre que leur digne rage.
Avec tout ça, en haut, ils n’hésitent pas à demander et à exiger « qu’on dise non à la violence, d’où qu’elle vienne ». « D’où qu’elle vienne », oui, mais en prenant bien soin d’insister lourdement sur la violence qui vient d’en bas.
Selon eux, tous et toutes doivent vivre en harmonie afin de résoudre leurs différences et leurs contradictions et pouvoir crier le slogan « Le peuple armé aussi est exploité », en parlant des soldats et des policiers, s’entend.
Notre position en tant que zapatistes est claire : nous ne soutenons pas le pacifisme brandi comme un étendard pour que ce soit quelqu’un d’autre qui tende la joue, pas plus que nous ne voulons d’une violence encouragée quand ce sont les autres qui fournissent les morts.
Nous sommes ce que nous sommes, avec tout ce qu’il y a de bon et de mauvais en nous et qui constitue notre responsabilité.
Il serait cependant naïf de penser que tout ce que nous avons réussi à faire de bon, y compris le privilège de pouvoir vous écouter et apprendre de vous, aurait été possible sans une décennie entière de préparation pour que voie le jour notre 1er Janvier comme il l’a fait il y a maintenant quinze ans.
Ce n’est ni avec une manifestation ni avec un manifeste des soussignés que nous nous sommes fait connaître. C’est avec une armée en armes, avec des combats contre les forces fédérales mexicaines et avec une résistance armée que nous nous sommes fait connaître au monde.
Nos compañeros et compañeras tués, morts ou disparus, l’ont été dans une guerre violente qui n’a pas commencé il y a quinze ans mais il y a cinq cents ans, deux cents ans, cent ans.
Je ne suis pas en train de faire l’apologie de la violence, je signale un fait vérifiable : en guerre vous nous avez connus, en guerre nous nous sommes maintenus ces quinze dernières années, en guerre nous continuerons jusqu’à ce que cette petit partie du monde appelée le Mexique prenne en main son destin, sans pièges, sans supplantations, sans simulacres.
Le Pouvoir a dans la violence un instrument pour assurer sa domination, mais il en a d’autres dans l’art et la culture, dans la connaissance, dans l’information, dans le système assurant la justice, dans l’éducation, dans la politique institutionnelle et, bien entendu, dans l’économie.
Toute lutte, tout mouvement, dans le cadre de sa propre géographie et de son propre calendrier, doit recourir à diverses manières de lutter. La violence n’est pas la seule et probablement pas la meilleure, mais c’est l’une d’entre elles. Affronter le canon de fusils avec des fleurs est un beau geste, à tel point que des clichés photographiques sont là pour le graver dans la postérité. Mais il est parfois nécessaire de faire que ces fusils changent de direction et soient pointés vers l’en haut.