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La Constitution européenne renforce-t-elle le poids de la France ?

Publie le jeudi 12 mai 2005 par Open-Publishing
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de Jean-Pierre Maury Maître de conférences à l’université de Perpignan, Docteur en science politique (Paris II), Licencié es lettres (Montpellier), Licencié en droit (Montpellier)

Le président de la République vient d’affirmer dans son intervention télévisée du 4 mai que : "Le nombre de voix dont dispose la France au Conseil européen avec la Constitution augmente de 50%"

Cette affirmation plusieurs fois énoncée, notamment en premier, semble-t-il, par M. Barnier, est pourtant fausse.

Or, le même argument est repris, et cela me paraît d’autant plus grave, dans l’exposé des motifs, en page 10 du document adressé à tous les électeurs : "Le traité nous permettra d’agir plus fortement encore, en particulier grâce au renforcement de notre place au Conseil des ministres qui permettra à la France de peser davantage, avec 12% des voix contre 8% aujourd’hui".

Un professeur de droit constitutionnel et d’institutions européennes qui intervient dans le débat partisan doit s’en tenir aux faits et aux textes. Il convient donc de se reporter au texte de la Constitution et d’examiner la différence par rapport au dispositif en vigueur qui est déterminé par le traité de Nice.

Le dispositif actuellement en vigueur

Ce dispositif est énoncé à l’article 3 du protocole sur l’élargissement annexé au traité de Nice, qui modifie l’article 205 du traité sur la Communauté européenne. Il a été modifié par le traité d’Athènes (adhésion de dix nouveaux pays). Il est entré en vigueur le 1er novembre 2004 et il est donc applicable actuellement.

Pour qu’une décision soit prise, trois critères doivent être remplis. Il faut :

 une majorité d’États membres (critère États) ;

 ces États doivent représenter 62% de la population de l’Union (critère population), la France ayant 13% de la population totale actuelle de l’Union ;

 les voix pondérées de ces États doivent représenter 232 voix sur 321, selon une pondération qui donne par exemple 29 voix à la France ou à l’Allemagne, 27 à l’Espagne, et 4 au Luxembourg (critère pondération des voix). On note que ces 29 voix donnent à la France 9% des droits de vote, ainsi qu’à l’Allemagne (et 8,4% après l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie).

Ce système de pondération des voix (hérité du passé et dont on a compris qu’il est superflu avec la mise en place des deux autres critères) n’est pas repris dans le dispositif prévu par la Constitution.

Le dispositif prévu par le projet de Constitution pour l’Europe

L’article I-25 du traité constitutionnel énonce : "La majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55% des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65% de la population de l’Union."

Pour qu’une décision soit prise, il faut ainsi :

 une majorité de 55% des États membres (au moins 15 sur 25 actuellement, puis 15 sur 27 après l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007) et selon ce critère, le poids de la France est de 1 sur 25 soit 4 % ;

 ces États doivent représenter 65 % de la population de l’Union , et selon ce critère, la France pèse bien 13% comme cela a été indiqué (ou 12,5% après l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie) et l’Allemagne pèse 18%.
Cela signifie donc que si le critère "pondération des voix" disparaît, les deux autres critères (États et population) restent applicables lors d’un vote du Conseil.

Conclusion On peut donc dire que le nouveau dispositif est plus simple, mais en aucun cas qu’il donne à la France plus de poids au sein du Conseil, puisque les deux critères retenus par la projet de Constitution sont donc déjà en vigueur. Ce poids plus important a été obtenu lors de la conclusion du traité de Nice, dont il est de bon ton de dire tant de mal aujourd’hui.

On pourrait aussi conclure que les responsables de l’État sont de mauvaise foi lorsqu’ils expriment ainsi des contre-vérités, et surtout lorsqu’ils le font avec l’argent du contribuable dans le matériel adressé à chaque électeur en vue du référendum du 29 mai prochain, mais il me vient un doute : ont-ils lu le traité qu’ils nous proposent !

http://mjp.univ-perp.fr/europe/mensonge.htm

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