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Les clefs de la maison : Amelio, la vie revient par la tendresse d’un fils

Publie le dimanche 3 octobre 2004 par Open-Publishing


de ROBERTO NEPOTI

Qu’il gagne ou non le Lion d’or, un grand film trouve les clefs du cœur de ceux qui le regardent. Tandis que le public italien remplit les salles où Les clefs de la maison est projeté, une critique enthousiaste de Le Monde évoque « la simplicité de Giotto », « l’humilité et le sens rossellinien de la connaissance de l’autre ». Amelio l’a tiré (librement) des pages de Giuseppe Pontiggia ; mais le sujet est intimement le sien : comme « Les enfants volés » ou « Droit au cœur », le film est focalisé sur le rapport adulte enfant dans une situation de particulière difficulté.

Déjà la présentation de Paolo, un grand enfant handicapé abandonné à sa naissance, a lieu à travers les yeux du père, Gianni (l’homonymie avec le metteur en scène n’est pas due au hasard), dans une séquence initiale magistrale, la caméra montre le lit vide de l’enfant, que le spectateur n’a pas encore vu, en s’identifiant avec l’angoisse du père. Irréprochable le choix de situer une grande partie de l’histoire à Berlin, où Gianni accompagne son fils dans un centre de réhabilitation que justement l’adulte trouvera insupportable : c’est un cadre du dépaysement total d’un homme en équilibre entre peur et dévouement, espoir et amour naissant pour l’ « étrange » créature qu’il a généré. S’il existe une (petite) concession à la production d’effets émotifs, nous pourrions la trouver dans la scène où Paolo s’égare dans la métropole : la distraction d’un père anxieux comme Gianni est inattendue.

Mais dans la seconde partie, le film « grandit » d’une façon admirable. Alors que l’homme libère l’enfant des tortures de l’hôpital, qui ne soigne que son corps, et part avec lui en Norvège, à la recherche d’une fantomatique Kristine que Paolo a connu via Internet. Le rapport fleurit et monte jusqu’à un geste symbolique (l’adulte jette à la mer la béquille avec laquelle l’enfant est obligé à marcher), en nous faisant entendre que Gianni est en train d’apprendre à être père. Entre temps le metteur en scène se sert de la sympathie irrésistible d’Andrea Rossi pour parsemer le chemin de petites perles d’humour affectueux. Le mieux intentionné des films hollywoodiens se contenterait de cela, renvoyant chez lui le spectateur édifié par une fin consolatrice. Amelio, non.

Comme le personnage de la « mater dolorosa » joué par Charlotte Rampling l’avait pronostiqué à Gianni, pour le père repenti la vie aux côtés de Gianni sera hérissée de difficultés. Amelio le dit avec la scène où l’enfant saisit le volant de la voiture qui roule : pleine de mesure et pudique comme tout le reste mais, pendant un instant, cela fait peur.

LE CHIAVI DI CASA - Mise en scène de Gianni Amelio
Avec CHARLOTTE RAMPLING, KIM ROSSI STUART, ANDREA ROSSI
17 septembre 2004, La Repubblica
Traduit de l’italien par Karl et Rosa


Gianni Amelio à la Librairie Feltrinelli de Florence

Accueilli avec chaleur et participation, le metteur en scène de « Les clefs de la maison » s’est entretenu avec son public entre nostalgie florentine et films à emmener sur une île déserte. Notre récit !

Le début de la rencontre est fixé à 18 h mais les gens commencent à arriver déjà à 17 h .

Quand Gianni Amelio arrive enfin, la librairie est pleine.
Le metteur en scène est accueilli par des applaudissements.

Il répond tout de suite aux questions de Stefano Stefani du Groupe Atelier.
« Si j’ai été absent de l’écran pendant quelques années, cela a été à cause d’un producteur que vous, les Florentins, connaissez bien. Il a un nom double et a ruiné votre équipe de foot. En somme, je suis très fâché avec lui (comme je pense que vous l’êtes aussi) parce que pour faire mon travail j’ai dû partir . »
Mais un agréable souvenir lie aussi Gianni Amelio à Florence.

« En 1979 j’ai tourné dans cette ville Il piccolo Archimede. Deux gamins florentins ont travaillé avec moi, j’aurais plaisir à les revoir. Ils s’appellent Marc Morganti et Aldo Salvi et devraient avoir à l’heure qu’il est environ trente-cinq ans.

En parlant de son nouveau film :
« Les clefs de la maison est un film qui affronte avec le détachement du réalisme mais avec la participation d’un père un thème grand comme le monde : le sens de culpabilité d’un père. Un thème qui non amène à nous poser une question tout aussi prévisible que hors du commun. Qu’est ce que c’est pour nous un fils ? »
Le film raconte la honte, la douleur, le regret.

« Malgré cela - dit Amelio - sur une heure et demi de film il y a au moins quarante minutes de bonheur » et, surtout, « c’est un film qui aide à reconnaître et à vouloir la diversité. Parce que si je reconnais ta diversité et toi la mienne, alors nous sommes prêts à comprendre notre égalité. »

En ce qui concerne le titre :
« Je n’aurais pas pu faire Nés deux fois - explique le metteur en scène - j’aurais eu la sensation d’être un intrus dans la vie de Pontiggia ; j’ai choisi Les clefs de la Maison parce qu’elles représentent le moment de l’autonomie, le moment du détachement du père et de la mère mais pour Paolo (Andrea Rossi) représentent aussi la certitude de pouvoir être accueilli dans une nouvelle famille. »

Amelio raconte le rapport avec le jeune acteur Andrea Rossi et comment ils sont arrivés ensemble à accomplir ce voyage de contact émotif avec le spectateur :
« Andrea a offert au film bonheur, liberté, diversité sans complexes mais avec orgueil, il y a amené son enthousiasme et, surtout, sa joie de vivre. »
Amelio, ensuite, conduit le public à travers un voyage dans les plis du cinéma :

« Si on me demandait de choisir trois films à emmener avec moi dans une île déserte, je n’aurais aucun doute : j’amènerais Pour qui sonne le glas, La vie est belle et E.T..

Pour qui sonne le glas de Sam Wood est un film que j’ai vu la première fois quand j’étais un gamin et à chaque vision suivante il est arrivé à recréer en moi les mêmes sensations que j’ai éprouvées à l’époque.

C’est un film pratiquement parfait en tant que spectacle. Il y a les deux piliers forts du roman populaire : l’amour et la guerre. Après, diversement orchestrés, l’amitié, le courage et la lâcheté.

Et sur tout la hache du destin.

La vie est belle de Frank Capra parce que j’aime les films qui font rire ou qui font pleurer.
La larme, surtout, est pour moi un mètre esthétique fondamental, voilà pourquoi j’aime beaucoup le cinéma de Frank Capra. La vie est belle est un film qui, outre à nous émouvoir, nous alarme et nous fait peur parce qu’il nous met face au choix de croire à une réalité où nous vivons sans que personne s’aperçoive de nous ou à une réalité gouvernée par les anges et qui nous sauverait (si seulement c’était vrai !).

E.T. de Steven Spielberg est un grand film qui contient les deux âmes du cinéma : l’âme populaire et celle cultivée. Il est l’histoire de notre incapacité d’aimer quand nous avons peur de la diversité.

J’aime ces films très généreux qui communiquent avec le cœur du spectateur et qui remplissent les salles. Si un cinéma est vide, même s’il a au programme un très beau film, à quoi sert ce dernier ?

Avant de partir je demanderais à Dieu de me faire une grâce : de pouvoir faire un film pour tout l’univers. Parce que les metteurs en scène veulent être aimés. »
Il est presque 20 h, la librairie est en train de fermer mais le public entoure encore Gianni Amelio comme pour le prendre dans ses bras et ne veut pas le laisser aller. Tous le monde avec une copie de Nés deux fois, du scénario du film ou de Il vizio del cinema (Le vice du cinéma, NdT).


Kim Rossi Stuart et Charlotte Rampling engagés dans un film difficile et délicat sur le thème du handicap. Rencontre avec le metteur en scène calabrais qui va à l’assaut du Lion d’or.

Amelio revient à Venise après le Lion d’or gagné pour « Mon frère » il y a six ans de cela avec un film qui creuse encore une fois son thème d’élection : le rapport entre les pères (naturels ou non) et leurs enfants, entre les adultes et les enfants. Mais le fils de « Les clefs de la maison » n’est pas « normal », il est un handicapé qui voit son père naturel pour la première fois à quinze ans. Face à un enfant « raté », le père s’était enfui et ce n’est que maintenant qu’il a créé une autre famille et qu’il a un enfant « normal » qu’il se sent prêt à connaître Paolo. Une des révélations de ce film, à la mise en scène tout autre que simple et d’un équilibre très délicat est le garçon Andrea Rossi, un vrai handicapé, moteur et cérébral qu’Amelio a su diriger en se laissant aussi d’une certaine façon diriger avec une admirable mesure.

L’autre révélation est Kim Rossi Stuart dans son rôle certainement le plus important. Les clefs de la maison (en concours avec Lavorare con lentezza de Guido Chiesa et Ovunque sei de Michele Placido) est le titre de pointe dans la série des nombreux films italiens à Venise et Amelio en explique la genèse et les résultats, les processus et les surprises.

La condition des handicapés s’est décidément améliorée après 68 grâce à leurs luttes et à ceux qui ont lutté pour eux et a produit une sensibilisation collective dont plusieurs films ont été l’expression. Qu’y a-t-il de différent dans celui-ci par rapport à ceux là ?

Je pense qu’il est juste de tourner des films sur des arguments qui font peur, que l’on ne connait pas. Je me méfie des choses qui me sont claires, cela veut dire qu’à ce point là je n’ai pas envie de découvrir autre chose e ce qui en sortirait serait un déjà vu, quelque chose de conventionnel, fait pour complaire. Si, au contraire, tu te mets en jeu et te poses en face du thème comme quelqu’un qui n’en sait pas grand chose, et se méfie même de ce qu’il a entendu dire, tu emboîtes le pas au spectateur : tu es spectateur autant que le sera celui qui est assis en salle pour voir ton film.

Il y avait un livre très important derrière le film, le très beau « Nés deux fois » de Giuseppe Pontiggia (Mondadori). Quelle aide vous a-t-il donné ?

Ce n’était pas possible de refaire sur ma peau le parcours que Pontiggia a suivi sur la sienne, heureusement je n’ai pas un fils dans les conditions de son Andrea. Ainsi j’ai essayé de rendre l’ensemble de peur, de méfiance, de rancune pour le monde, d’impréparation qui saisissent l’homme qui se voir naître un fils non normal. Ecrire le film a été découvrir cet état d’âme en le vivant au contact d’ un protagoniste handicapé. Le film a vraiment commencé quand j’ai rencontré Andrea Rossi, ses problèmes, les drames, les bonheurs, son être sur terre. Une année passée ensemble m’a convaincu de raconter mon rapport avec lui et de ne pas faire un film édifiant, qui mettrait tout le monde en paix. Je pourrais dire que c’est aussi un film autobiographique : au fond il raconte un an de ma vie en relation avec Rossi.

C’est une histoire de formation, une Bildung renversée qui raconte l’apprentissage du père et non celui du fils.

Je crois d’avoir saisi en filigrane ce que narre Pontiggia, qui n’aurait pas pu raconter son fils sans se mettre en jeu. Qui devait se raconter lui-même en relation avec son fils. Il ne pouvait pas en faire de la littérature. Et j’ai essayé de traduire dans le langage cinématographique la non littérature de Pontiggia, en faisant, qui sait, peut-être du non cinéma.

A cause de sa finesse et de sa mesure certains pourraient considérer que c’est une expérience mineure par rapport aux grands thèmes de vos films précédents.

Ce n’est pas du tout un film mineur, il est intime, dans le sillon de Les enfants volés, qui s’éloigne de tout ce qui fait d’une pellicule un spectacle complaisant. A l’ origine je l’ai même tourne en super 16, mais imprimé pour l’écran en 35 mm, parce que je voulais qu’il n’y ait aucun diaphragme entre moi et l’histoire que je racontais. Le film est mon rapport avec Andrea, c’est la découverte d’Andrea et de ce qu’ Andrea et Kim devenaient jour après jour. Dans le film Kim est aussi, à sa façon, un handicapé : Rossi Stuart en tant qu’acteur qui a toujours fait un très grand travail sur lui-même est habitué à étudier, à se préparer, mais ici cela lui était impossible, parce que l’objet de son étude lui échappait des mains à tout moment.

Ici aussi il s’agit d’un adulte et d’un jeune ou d’un enfant...

C’est une variation sur le thème de toujours. Ici il fallait qu’il y ait un père et un fils vrais parce que le thème était notre héritage. Quand nous avons un enfant, nous voulons qu’il nous ressemble, et dans ce que nous avons de meilleur, qu’il soit un peu plus beau, plus chanceux, plus riche, plus intelligent que nous. Si un enfant n’est pas celui qui te venge et t’affirme, mais la représentation matérielle de tes traumatismes, de tes obsessions, de ton côté halluciné, à ce moment là tu régresses, le rapport n’est plus possible. Toi, père, dans ce film, ne peux combattre avec un fils né différent de toi, la seule chose que tu peux faire est d’abandonner le camp en refoulant tout ton problème, qui n’est pas le sien. C’est probable que ce soit le dernier de mes films sur un père et un fils, je ne crois pas pouvoir aller au-delà. Ce n’est pas par hasard si le film s’achève par une phrase qui met pour la première fois vraiment la parole fin, comme si Andrea me disait précisément à moi : « Gianni Amelio, tu ne dois plus chercher toi-même. Grandis, enfin ! Tu dois grandir. »

Il n’y a pas dans le film le dit social...

Dans mes films je ne l’ai jamais abordé de front, dans aucun de mes films, jamais. C’était une nécessité qui me tombait dessus naturellement : n’oublie jamais où tu te trouves. Dans le choix de tourner le film à Berlin il y avait inconsciemment l’idée de n’avoir plus ce rocher sur moi : je voulais placer les deux au même niveau et surtout le père dans les mêmes conditions que le fils, le dos au mur, sans les soutiens qu’il aurait trouvés dans son milieu.

Votre cinéma est un cinéma cruel, qui parle de rapports humains en creusant dans les plaies, non en consolant.

Il y a une progression dans le rapport entre père et fils où tu t’attendrais que le changement arrive dans le père. Si le film finissait quand sur le balcon de l’hôtel en Norvège le père dit à son fils : « Je t’emmène chez moi, je viens de téléphoner qu’ils te préparent ta chambre », alors, oui, ce serait un film consolateur et tout le monde serait content. Au contraire, même dans cette scène j’ai fait réfuter par le fils chaque affirmation du père, évidemment à sa façon. A la fin il lui dit la chose apparemment la plus innocente mais aussi la plus inquiétante : « Mais chez toi puis-je vraiment, ouvrir avec mes clefs ? »

Goffredo Fofi
Panorama, 27/08/2004
Tradotto dall’italiano da Karl e Rosa


Un handicap d’affection

Un thème difficile à montrer à l’écran que celui choisi par Gianni Amelio. Le handicap touche toujours les cordes du cœur, mais pour marcher sur le fil et ne pas tomber dans le prévisible sinon dans le pathétique il faut des qualités de grand équilibriste. Surtout si l’histoire concerne un père qui, après n’avoir même pas voulu voir son enfant nouveau-né (la mère est morte dans les couches), ne le connaît que quand il a 15 ans, quand il doit l’accompagner à Berlin pour une visite médicale.

Le film (outre du metteur en scène le scénario est de Sandro Petraglia et Stefano Rulli, ceux de « Nos meilleures années ») s’inspire du roman « Nés deux fois » de Giuseppe Pontiggia (rappelé aussi dans le film) mais il n’est pas, comme Amelio tient à le souligner, une transposition du livre : à la gare de Munich Gianni (Kim Rossi Stuart) prend en consigne Paolo (Andrea Rossi), son fils de 15 ans qu’il n’a jamais connu. Gianni a une nouvelle femme et un autre fils, et son embarras vis-à-vis de Paolo est total. Il ne sait pas quoi dire, comment se comporter, comment agir. Au contraire, c’est justement Paolo qui, même avec son handicap, vient à sa rencontre et lui explique la façon de l’aider. Les moments difficiles ne manquent pas, Paolo a parfois des comportements incompréhensibles, mais le rapport arrive à se développer et à grandir, même si Gianni doit tenir compte de sa propre ignorance sur tout ce qui concerne le garçon. A la fin Gianni décidera de prendre Paolo avec lui, entre eux sera atteint le but de la confiance qui permet à un papa de donner les clefs de la maison (ici évidemment seulement symboliques) au fils adolescent, même si la conclusion du film laisse encore pas mal de doutes déchirants.

Nous parlions des risques inhérents au thème, mais Amelio a été habile en regardant l’évolution du rapport intime entre père et fils de l’extérieur, presque sur la pointe des pieds. Il n’a pas d’hésitations à montrer le handicap même dans les moments les plus durs, comme quand Paolo doit aller aux toilettes, et arrive à renverser bien les rôles avec le garçon qui est la partie forte dans le rapport tandis que Gianni se trouve, lui, à avoir besoin d’aide, dans une situation de handicap émotif et affectif. Pour arriver à boucler la boucle Amelio a été aide d’une manière déterminante par la prestation des acteurs. Cela n’a dû être simple pour le metteur en scène de diriger Andrea Rossi (qui est handicapé non seulement sur scène), mais le garçon montre une spontanéité exceptionnelle, outre une charge de sympathie entraînante grâce aussi à son accent romain. Kim Rossi Stuart est très bon en se mettant dans la peau du père riche de sens de culpabilité et transmet un égarement intérieur sans excès extérieurs. Le trio est complété par Charlotte Rampling, dans le rôle de la mère d’une fille avec un handicap plus grave que celui de Paolo et hospitalisée dans le même hôpital, qui sera en quelque sorte un guide des sentiments pour Gianni, confus et dépaysé.

Certes, l’ombre d’un film qui, même en traitant un thème délicat reste d’une certaine manière « facile », en pouvant jouer sur des émotions prévisibles et quelque part obligées, demeure. Pour des raisons de narration, le rapport entre père et fils évolue entre autres trop vite, en accentuant cette sensation. Mais, comme nous le disions, c’est l’argument même qui englobe ces risques. L’important est d’en avoir fait un film que, sans doute, on n’est pas près d’oublier.

Antonello Rodio, 10/09/2004 sur le web
Traduit de l’italien par Karl et Rosa


« Les clefs de la maison », des cœurs à grande vitesse

de Alberto Crespi

Les clefs de la maison n’est pas un film : c’est une expérience de vie que Gianni Amelio a eu la générosité de partager avec nous. Ensuite, oui, c’est aussi un très beau film, mais il n’existerait pas si Amelio, après être tombé amoureux du livre de Giuseppe Pontiggia Nés deux fois, n’avait rencontré dans une piscine romaine spécialisée dans la réhabilitation physique le petit Andrea Rossi. Andrea est un garçon frappé par un grave handicap physique, semblable à celui qui afflige le vrai fils de Pontiggia, qui par une plaisanterie poétique du destin s’appelle Andrea lui aussi. Amelio a compris qu’Andrea Rossi n’était pas seulement l’ interprète possible du film, mais qu’il en était l’architrave, sa raison d’être inaliénable. Il l’a fréquenté ainsi que sa famille une année durant et après, quand il a compris qu’il était prêt, il a recruté une personne - Kim Rossi Stuart - qui, en passant, est aussi un acteur extraordinaire, mais qui avait surtout le dos et le cœur suffisamment costauds pour se charger (métaphoriquement et concrètement) d’Andrea et du film. Et il est parti pour l’Allemagne.

Les clefs de la maison de déroule presque complètement à Berlin, hormis un vol final dans les espaces de la Norvège : et pourtant il parle de nous, les Italiens, de notre sens de la famille, de combien nous sommes souvent lâches et de combien, parfois, nous arrivons à trouver en nous-mêmes un courage que nous ne savions pas avoir.

Le film commence dans l’anonymat d’une gare européenne où deux hommes, Gianni et Alberto (Kim Rossi Stuart et Pierfrancesco Favino), parlent d’une troisième personne : un garçonnet, Paolo, que Gianni doit « recevoir » d’Alberto, son beau-frère et accompagner à l’hôpital à Berlin. Gianni est le père de Paolo, mais il ne l’a jamais vu : 15 ans auparavant sa fiancée est morte en lui donnant la vie, l’enfants a été éduqué par son oncle et sa tante. La rencontre entre les deux a lieu le matin suivant, dans la voiture restaurant du train qui traverse l’Allemagne. Gianni est gêné, Paolo le met à son aise en lui demandant : « ça va ? » et le submerge avec son humour retentissant. Ici, après moins d’un quart d’heure, on comprend qu’Amelio a gagne un double pari : non seulement il est arrivé à faire un film avec un vrai garçon handicapé dans le rôle du protagoniste, mais il est arrivé, grâce à ce garçon, à nous faire rire de bon cœur. Parce qu’Andrea/Paolo est un authentique numéro : il est drôle, intelligent, malin ; il déconcerte Gianni avec les armes de l’ironie, il lui apprend à être son père.

Le film devient un voyage à deux, l’adulte et le garçon, comme Les enfants volés, mais cette fois c’est le petit qui conduit le grand : aussi bien dans les scènes à l’hôpital berlinois, où Paolo est chez lui tandis que Gianni est dépaysé, que, ensuite, dans leur fuite en Norvège, quand Gianni trouve le courage d’ « entrer » dans la vie du fils retrouvé et de jouer, voyager, grandir avec lui. Andrea Rossi et Kim Rossi Stuart (eh oui, deux Rossi, une autre coïncidence : et dans la colonne sonore il y a une chanson d’un troisième Rossi, Vasco...) forment un couple comique où l’acteur professionnel s’adapte aux rythmes du non professionnel, l’épaule, comme Peppino avec Toto’ : ce n’est certainement pas par hasard si à un certain moment Andrea dicte à Gianni une lettre paradoxale qui rappelle la scène mémorable de « Toto’, Peppino et la malafemmina ». Le film est tellement imbibé par la chimie miraculeuse entre les deux interprètes qu’une Coupe Volpi partagée serait une très belle idée.

En réalité, il y a un troisième personnage : c’est une femme, Nicole, interprétée par Charlotte Rampling, qui joue (très bien) en italien. Elle est la mère d’une fille hospitalisée dans le même hôpital que Paolo. C’est à elle que reviennent les moments dramatiques, parce que Les clefs de la maison, même dans son message d’espoir et dans ses délicieuses touches d’humour, n’oublie pas la douleur quotidienne que le handicap impose. C’est elle qui, dans deux scènes déchirantes, synthétise le vécu terrible que Pontiggia a mis dans son livre et qu’Amelio a su restituer dans le film. A l’hôpital d’abord, quand elle voit Gianni pour la première fois « C’est étrange de voir ici un homme. En général, ces sales boulots reviennent aux femmes ».

Ensuite, à moitié film, quand Paolo s’enfuit et se perd quelques heures dans le métro berlinois, en laissant Gianni égaré et désespéré : « Quand des personnes comme Paolo s’enfuient dans leur obscurité, nous pouvons seulement attendre qu’elles reviennent ». Heureusement Paolo revient et tout le film est l’histoire d’un retour à la vie : pour Gianni, parce que Paolo n’a jamais perdu le goût de la vie.

Traduit de l’italien par Karl et Rosa


Sous la direction de Sentieri del cinema

Un jeune père retrouve après des années son fils handicapé. Il l’accompagnera à Berlin dans une clinique pour la réhabilitation. Le dernier film de Gianni Amelio, un des auteurs les plus cultivés et originaux de notre cinéma, est un film difficile et douloureux dès la scène initiale, la rencontre dans le train entre le père (bien incarné par un Kim Rossi Stuart très mesuré) et le fils handicapé (l’extraordinaire Andrea Rossi). Amelio repart d’un des lieux symboles de son cinéma (le train de Les Enfants volés), pour raconter à nouveau une histoire de père et de fils qui se rencontrent par hasard et petit à petit se connaissent dans une dure réalité faite d’injustices, de difficultés et de douleurs infinies. Et, comme les protagonistes des films les pus réussis du metteur en scène calabrais, (« Les enfants volés », « Lamerica », « Mon frère ») Gianni et Paolo se retrouvent en voyage vers une réalité étrangère et souvent incompréhensible (et en ce sens, le Berlin de « Les clefs de la maison » est indéchiffrable, en commençant par la langue autant que le Turin de « Mon frère »). Le résultat est un road movie sec selon le style sans fioritures du metteur en scène, délicat et discret dans le traitement de thèmes comme la maladie et la paternité et profonds dans l’esquisse d’une peinture psychologique des (peu nombreux) protagonistes. Un film intense et sérieux, qui demande certainement un engagement de la part du spectateur mais qui est aussi le énième ouvrage d’un homme qui n’a pas peur de filmer la réalité la plus dure sur laquelle il essaye d’esquisser un jugement. En concours à la Mostra du cinéma de Venise à peine achevée où malheureusement il n’a gagné aucun des prix les plus importants.

Traduit de l’italien par Karl et Rosa