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Les paradoxes du vrai-faux "retour" du nucléaire
Publie le mercredi 20 février 2008 par Open-Publishing5 commentaires

de Stéphane Lhomme
Alors que se succèdent des annonces tonitruantes de "grand retour" du nucléaire en Grande-Bretagne ou aux USA, et de projets de nucléarisation de pays méditerranéens, c’est paradoxalement le déclin qui est à l’ordre du jour pour industrie atomique mondiale. Par contre, autre paradoxe, ce déclin s’accompagne d’une démultiplication des risques.
Le 10 janvier 2008, le pouvoir britannique a fait connaître avec tambours et trompettes sa volonté de faire construire de nouveaux réacteurs. Pour autant, il ne faut pas croire au "grand retour" du nucléaire si souvent annoncé. Là est le premier paradoxe de la situation : la construction de nouveaux réacteurs n’est pas le signe d’un déploiement du nucléaire mais, au contraire, la conséquence des efforts de cette industrie pour essayer de remplacer une partie des centrales arrivées en fin de vie.
Ainsi, en Grande-Bretagne, 18 des 19 réacteurs en service actuellement auront définitivement fermé vers 2020. De fait, même avec d’éventuels nouveaux réacteurs, la part du nucléaire va encore décroître : après la fermeture de 4 réacteurs le 1er janvier 2007, l’atome ne couvre plus que 18% de l’électricité britannique, soit environ 3% de la consommation d’énergie du pays. Cette part sera de… 1% en 2020.
La situation aux USA est très ressemblante : il est vrai, hélas, que la construction de quelques nouvelles centrales est annoncée, à grand renfort d’argent public débloqué par Bush. Mais les 103 réacteurs en service actuellement sont en majorité très anciens et vont fermer dans les 15 à 20 ans. L’atome, qui couvre à peine 3% de la consommation d’énergie des USA, va donc voir cette faible part encore décroître.
Certes, c’est indéniable, le développement du nucléaire est à l’ordre du jour dans les deux pays les plus peuplés du monde, la Chine et l’Inde. Pour autant, même s’ils construisent les 40 réacteurs annoncés, les Chinois ne couvriront avec le nucléaire que 4% de leur électricité, c’est à dire… 0,8% de leur consommation d’énergie. Quant à l’Inde, elle n’espère pas faire beaucoup plus : entre 1 et 2%.
Globalement, le nucléaire ne couvre que 2,5% de la consommation mondiale d’énergie, une part infime qui, comme le reconnaît l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pourtant favorable à l’atome, va encore se réduire. De fait, contrairement à ce qui est prétendu à longueur de temps par ses promoteurs, le nucléaire, bien qu’émettant peu de gaz à effet de serre, est et va rester incapable de contribuer de façon quantifiable à la lutte contre le réchauffement climatique. Pour les mêmes raisons, l’atome ne peut constituer une alternative crédible face à la montée du prix du pétrole, d’autant que les réserves d’uranium – le combustible du nucléaire – s’amenuisent aussi vite que celles des hydrocarbures.
Il est d’ailleurs probable que l’on se dirige, comme pour le pétrole, vers des "guerres de l’uranium" : des guérillas ont déjà lieu, en particulier au Niger d’où la France nucléaire tire plus de 30% de son approvisionnement. On peut d’ailleurs parler de véritable "pillage" tant, depuis 40 ans, la France s’est attribuée à un prix dérisoire l’uranium nigérien. Cette époque touche à sa fin : début 2008, les Nigériens ont enfin réussi à imposer des tarifs plus élevés de 50%. D’autres augmentations, sûrement plus brutales encore, auront lieu en 2010, à la fin de l’accord actuel signé pour deux ans.
Le prix de l’uranium, qui a déjà été multiplié par 10 ces dernières années, va continuer à s’envoler mais, là aussi, ce n’est pas du fait d’un quelconque "grand retour" du nucléaire, vu que le nombre de réacteurs en service n’augmente pas. L’explication est connue : depuis des années, un tiers du combustible nucléaire mondial provient du déclassement des armes atomiques russes et américaines. Or, ces stocks approchent de leur fin et, de fait, l’uranium va finir par manquer pour les réacteurs.
La France, qui importe 100% de son uranium, va voir le prix de son électricité nucléaire monter en flèche. Et cela sans même compter le coût réel du démantèlement des installations, de la gestion des déchets, des assurances, laissé à la charge des contribuables actuels et futurs. Les citoyens vont découvrir que l’indépendance énergétique, prétendument assurée par le nucléaire, n’est qu’un subterfuge.
Mais revenons à la situation mondiale, marquée par un autre paradoxe : si le nucléaire est globalement en déclin, le risque qu’il impose s’aggrave par contre continuellement :
– les réacteurs sont en majorité vieillissant et, de fait, sont encore plus dangereux.
– les nouveaux réacteurs, même peu nombreux, vont perpétuer pour des décennies l’existence de l’industrie nucléaire et de ses dangers.
– le nombre de pays nucléarisés risque hélas d’augmenter : il est question de réacteurs en Algérie, Maroc, Libye, Jordanie, Egypte, Emirats arabes unis, Yémen, etc.
Certes, la plupart de ces réacteurs risquent de rester virtuels tant il existe un monde entre les effets d’annonce actuels et la mise en place réelle des structures - Autorité de sûreté, cadre légal, réseau de lignes électriques, etc - sans lesquelles une industrie atomique ne peut exister. Ces réacteurs seront finalement peu nombreux, souvent un seul par pays qui arrivera au bout du processus.
Pourtant, cette dissémination possible du nucléaire est porteuse de graves dangers : sachant que des catastrophes ont été frôlées ces dernières années dans des pays qui ont une industrie atomique expérimentée (France, Suède, Japon, etc.), l’irréparable pourra vite survenir dans un des pays nouvellement nucléarisés. Ces derniers seront aussi confrontés au problème insoluble des déchets radioactifs : seront-ils enfouis dans le désert ?
Enfin, les risques de prolifération et de terrorisme vont être démultipliés : sous couvert de développer le nucléaire "civil", des pays comme l’Egypte veulent accéder à l’arme atomique pour contrer les projets de l’Iran et la nucléarisation déjà ancienne d’Israël. Enrichissement de l’uranium, production de plutonium : l’industrie nucléaire "civile" mène tout droit à la bombe atomique. N’oublions pas aussi les liens de certains pays comme la Libye avec des groupes terroristes qui pourraient être servis en matières radioactives.
En résumé, le nucléaire ne "revient" pas mais, paradoxalement, les dangers qu’il impose s’aggravent. Du fait de l’activisme pronucléaire du président français Sarkozy, qui n’a de cesse de vouloir livrer des réacteurs à des dictateurs comme Kadhafi, les citoyens français ont une responsabilité particulière : ils doivent donner l’exemple de l’opposition au nucléaire, cette énergie qui nuit autant à la démocratie qu’à la santé et à l’environnement.
La mise en oeuvre massive de plans d’économie d’énergie (isolation des bâtiments en particulier) et de développement des énergies renouvelables est la seule parade face à la montée inéluctable du prix du pétrole et de l’électricité nucléaire, et la raréfaction puis l’épuisement des matières premières. Cela permettra à la fois de sortir du nucléaire, d’émettre beaucoup moins de gaz à effet de serre, et finalement de laisser une chance d’avenir à notre planète.
Stéphane Lhomme
Porte-parole du Réseau "Sortir du nucléaire"
Messages
1. Les paradoxes du vrai-faux "retour" du nucléaire, 21 février 2008, 13:33, par Colargolette
"Déclin" et "mulitiplication des risques" ?
Pas uniquement en ce qui concerne le nucléaire !
2. Les paradoxes du vrai-faux "retour" du nucléaire, 21 février 2008, 20:47, par Skapad
Voir également le très article de Jean Luc Porquet du Canard Enchainé sur l’édition de cette semaine passée. Il est édifiant ce constat de tabou que représente le nuc de nos jours ! La faute a qui ?
3. Les paradoxes du vrai-faux "retour" du nucléaire, 23 février 2008, 10:17, par Non2
Bonjour,
Dire que "l’industrie nucléaire "civile" mène tout droit à la bombe atomique" semble être exagéré. Les moyens techniques (et financiers) nécessaires à l’enrichissement du combustible pour fabriquer l’arme nucléaire sont énormes, et probablement hors de portée des pays les plus pauvres.
Le vrai danger serait plutôt l’apauvrissement de ce combustible qui serait intégré à des armes plus "conventionnelles", l’exemple ayant été donné par les USA (encore eux, oui).
Et bien sûr aussi des déchets, puisqu’il semble peu probable que l’on puisse faire confiance à l’humain pour veiller à ces déchets pendant 4000 ans (mais je ne sais pas si cette durée correspond à la demi-vie du matériau ou à sa dégradation jusqu’à "non-dangerosité").
4. Les paradoxes du vrai-faux "retour" du nucléaire, 23 février 2008, 14:58, par JM Berniolles
Le discours de monsieur Lhomme, lui ne se renouvelle pas beaucoup.
Et il est de plus en plus à côté des réalités, parce que le monde bouge.
S’il est bien une chose évidente à l’heure actuelle, c’est le retour au nucléaire dans les pays industrialisés : USA, JAPON (qui a toujours maintenu ce cap, malgré le traumatisme d’Hiroshima - Nagasaki )..., et la FRANCE, bien entendu qui va être obligée de sortir de son moratoire larvé sur la construction des centrales nucléaires, et dans beaucoup d’autres pays émergeants AFRIQUE du SUD, CHINE, INDE, COREE..... ainsi que beaucoup de pays méditérannéens.
Si l’on ne veut pas voir, on ne voit pas. Ainsi, la fin du pétrole (passage du "peak oil" mondial), le gaz naturel qui pose des problèmes politiques et va aussi, prochainement, atteindre le stade de la raréfaction économique (demande>offre effet amplifié par la spéculation), combiné avec le problème majeur du CO2, imposent maintenant un nouveau paysage énergétique, où le charbon reste comme pilier traditionnel (séquestration CO2) et où le nucléaire se révèle incontournable.
Oui, il y a assez d’Uranium, de Thorium pour des centaines d’années, surtout si l’on passe aux réacteurs "rapides" (type Super Phénix d’abord). L’énergie nucléaire est une énergie jeune, au très fort potentiel : réacteurs "Hautes températures pour applications industrielles, combinaison fusion/fission, .. les pistes pour le futur ne manquent pas.
Ce n’est pas le nucléaire civil qui amène à la dissémination, mais l’ultracentrifugation (qui par sa souplesse et sa simplicité d’accès (par des irresponsables tout de même) permet tout type d’enrichissement. C’est ainsi que l’IRAN s’équipe et réalise son combustible hautement enrichi (les 3-4 % du combustible civil sont insuffisants pour faire une bombe A).
Le nucléaire est tellement incontournable que lorsque les réacteurs nucléaires arrivent en fin de vie (on estime 40 ou 50 ans mais ceci est loin d’être une certitude), il faut les remplacer par des réacteurs nucléaires.
Dans le discours convenu on parle d’énergies renouvelables, mais à vrai dire, en France par exemple et pour la production d’électricité, puisque l’hydraulique est quasi saturée, il s’agit de l’éolien uniquement. Maintenant tout le monde sait que l’Eolien ne peut remplacer le nucléaire (l’Allemagne en a fait la preuve)
Donc monsieur Lhomme a un bel avenir dans l’anti nucléaire !
Jean-Marie Berniolles
1. Les paradoxes du vrai-faux "retour" du nucléaire, 23 février 2008, 16:02, par Skapad
".../...Le discours de monsieur Lhomme, lui ne se renouvelle pas beaucoup.../..."
Celui de M. Berniolles , on ne peut pas vraiment dire qu’il change aussi !
D’ailleurs il y dit des contradiction, et en résumé ".../... ce n’est pas le nuc civil qui fait les armes atomiques .../..." dit il en substance
Et affirme plus loin que " .../... ce sont les centrifugeuses qui en font des matériaux explosifs ... des centrifugeuses tellement faciles a obtenir ou ce procurer .../..." précise t il en substance.
– Donc faut interdire les centrifugeuses en fonctionnement, c’est aussi simple que ça ?
– A choisir de discours ! Pour le reste les 2.5 % du potentiel nuc actuel, ne dépassera jamais ce pourcentage des besoins énergétiques totaux et ce sera pire encore avec 9 milliards d’humains. Le nuc disparaitra, car trop couteux en production (dans 15 ans Berniolles je t’attends).
– Le débat énergétique doit sortir des optiques actuels . La pénurie de ces produits est inéluctable, au mème titre que les fossiles matériaux que nous avons gaspillés depuis 1 siècle.
– La philosophie "du durable" utilisée a tord ou à raison par n’importe qui, ne suffit pas et nul n’échappera a cette réduction des ressources : pétrole, gaz, et uranium ! Le charbon lui a encore un avenir d’exploitation pour de longues années encore, l’AIEA le dit et les organismes liés de près ou de loin aux problématiques énergétiques le disent aussi, j’y peux rien, M. Berniolles vous surestimez les capacités de ces technologies a résoudre les chalenges de l’humanité.
– Les rythmes frénétiques imposés par le capitalisme libéral planétaire doivent etre remis en cause, la capacité de produire des mégapuissances sont elles vouées au bien etre de l’humain ? Non j’en doute, mème si des améliorations sont perceptibles, à quel prix !
– Cette hyper consommation d’énergie n’a d’intérèt pour le capitalisme ultralibéral à faire fructifier des mises de fonds en des temps reccords ! Puissance, unité de consommation d’énergie liée au temps ! Puissance et pouvoir, nous n’en sommes jamais loin.
– Toi qui me semble etre de connivence de cette gauche, comment valider les stratègies de ces technocrates nucléaires, à la solde de groupes capitalistiques, qui ont perdus depuis longtemps cette idée d’intérèt général. L’ont ils eus un jour ? ......
– Notre relation avec le temps devra changer, sinon point d’issue matériellement envisageable. Nuc ou pas NUC !