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Lettre anonyme à mon très cher ami 99%

par Via pilh

Publie le vendredi 2 décembre 2011 par Via pilh - Open-Publishing

Par Danjou

Et si tu prenais soudain conscience que les invitations insistantes et répétées aux banquets des couillons dissimulent sûrement une manipulation... Souviens-toi de Solon !

Banana City,

Mon très cher ami,

Depuis 2008, comme tu le constates, une terrible crise frappe à nouveau notre chère planète et à présent notre fière République Bananière. Comme en 1929, tu n’étais pas encore impliqué, elle est partie du temple sacré, Wall Street, New York, USA. J’ai lu bien des fois que tu t’étonnais de cette imprévisible et brusque correction. Tu retiendras que j’utilise à dessein le mot correction. Tu reconnais bien entendu le vocabulaire scientifique que les experts qualifiés es-marché, les pointures agréées "canal officiel" exerçant leur talent sur France Télévisions, emploient pour te sensibiliser au fait que tu vas morfler sévère. C’est aussi une façon élégante de te faire comprendre que l’attendrisseur de barbaque homologué ISO 9001 est programmé en mode brutal.

Ainsi donc, toi qui t’étonnes de l’inéxorabilité planifiée, t’es-tu seulement demandé si ta conduite passée fut tant que çà vertueuse ? Je redoute bien au contraire que nos errements, nos fautes sont bien entendu collectives, n’aient provoqué une violente éruption cutanée à notre Grand Patron. Par conséquent je te recommande d’éviter de feindre la surprise si le terrible châtiment réservé aux "same players one more time outside" frappe à ta porte. Notre indiscipline et notre résistance à la pratique rigoureuse des Dix Commandements (1) - à toutes fins utiles je vais dans quelques lignes refraîchir ta mémoire de moineau - a entrainé comme il fallait s’y attendre l’intervention tant redoutée mais ô combien légitime de la Main Invisible, la main qui veille au grain (2) :

- A toutes tes méprisables croyances tu renonceras et seul le marché libre et non faussé tu vénéreras ;

- Le boulet du patrimoine national chaque jour tu maudiras et pour sa privatisation bradée tu militeras ;

- L’Etat providence tu honniras et à tous ses immondes avantages tu renonceras ;

- A l’endettement tu te griseras car la croissance du PIB sans relâche tu alimenteras ;

- La modération salariale tu imploreras car contre l’inflation garant tu te porteras ;

- Ton syndicat tu quitteras car toute activité blasphématoire tu rejetteras ;

- Le bouclier fiscal tu exigeras car la fuite des capitaux plus que tout tu redouteras ;

- De respecter la loi "l’Elite" tu exempteras et son enrichissement sans limite tu glorifieras ;

- Jusqu’à 67 ans et au-delà tu trimeras car contre le diktat de la retraite prématurée tu te rebelleras ;

- A la socialisation des pertes tu souscriras et sans barguigner l’oligarchie financière, autant de fois que nécessaire, tu renfloueras.

Combien de fois faudra-t-il te répéter, cher Quatrevingtdixneufpourcent, que les Dix Commandements constituent le socle indiscutable, moral et social de notre civilisation ? Combien de fois faudra-t-il te répéter que la stricte obéissance aux dix règles de base n’est pas une option ? Si le rédacteur a choisi une écriture simple - ampoulée diront les littéraires - compréhensible par tous, c’est bien pour te permettre de retenir, suivre à la lettre et enfin transmettre les préceptes suprêmes. Et ne me dis pas que tu as omis d’en parler à ta marmaille ! Crois-tu que c’est par pur plaisir que le Divin a fait turbiner à prix d’or, prime de bienvenue, super bonus, parachute doré et bagnole de fonction, un expert en écriture sacrée ? Les Dix Commandements ne sont donc pas faits pour les chiens.

Devant l’insoutenable constat de tes insuffisances et de leurs inévitables conséquences, maintenant, naturellement, tu pleurniches. Mais tu avoueras que cette prise de conscience arrive bien tardivement. Comme te l’ont dit ton DRH et ton banquier il fallait y penser avant ! Ainsi tu t’inquiètes, ainsi tu questionnes : "combien de temps va durer la grande pénitence du XXI° siècle ?" Mon pauvre ami, Dieu seul le sait. Mais n’oublie jamais que lorsque le Dieu très redouté du marché, contraint et forcé je te le certifie, nous rappelle à nos obligations, l’addition est généralement salée.

L’inventaire et la gravité de nos manquements m’inclinent donc à penser que la grande pénitence intitulée "Jours de dèche, le châtiment dernier" ne fait, cher ami, que commencer. Dieu soit loué, nous sommes invités à la grande dégustation ! Je me suis laissé dire que le banquet, gratuit et ouvert à tous, sera riche et varié. Cettre offre généreuse mérite toutefois toute ton attention. "Gratuit" n’est, faut-il te le préciser, qu’un doux euphémisme tout comme "riche" ne constitue qu’une façon d’exprimer le standing de la correction. Quant à l’évocation d’une invitation ouverte à tous, tranquillise-toi, ne fonce pas, contrôle ton impulsivité. Tu bénéficies en effet de la garantie perpétuelle que la Main Invisible, une paluche prompte à la taloche, fait preuve d’un infléxible discernement. C’est l’assurance que les pêtés de blé ne te piqueront pas ta gamelle. Ta ration ne sera pas attribuée à un autre que toi !

Je t’imagine volontiers t’interrogeant sur l’authenticité de mon affection. Ta fraternelle espérance m’encourage par conséquent à te dévoiler d’excitantes perspectives, prévisions aléatoires et palliatifs de circonstance. L’Apôtre zélé que Dieu nous avait expédié, le petit teigneux bonimenteur de première, l’illusionniste narcissique, devrait dans six mois rendre son tablier. Et d’une ! C’est un dénommé Flanby qui reprendrait les manettes. Et de deux ! Un gazier normal mais un peu mou du genou selon sa garde rapprochée. Je te rappellererai cependant, au risque d’échauder ton optimisme momentanément requinqué, que derrière la normalité se dissimule la perfide soumission. L’Aspirant Flanby - pour obtenir la bénédiction du Dieu très redouté du marché tu imagines bien que quelques menues concessions s’avèrent incontournables - lui aussi a approuvé et signé les Dix Commandements. Puisque nous en sommes aux révélations, pour les "Apôtres bienfaiteurs" c’est encore plus exigeant. Ce ne sont pas dix mais seize commandements !!... Je devine ta stupeur, souffle coupé, frissons d’effroi te parcourant l’échine. Un additif au texte sacré ??... Ta sagacité naturelle en déduira que l’additif masqué est depuis toujours classifié "confidentiel défense", l’ultime rempart contre le populisme. Déviance abjecte, comme tu t’en doutes, bannie par l’Amicale des Dieux en Activité.

Ne courant aucun risque d’excommunication puisqu’anonyme tout autant que mes sources, je vais donc, par amitié et solidarité, te dévoiler l’additif masqué. Il n’y a en effet aucune raison objective à ce que toi aussi tu n’accèdes pas au secret des Dieux :

- Les agences de notation jamais tu ne contrarieras car au triple A tu te cramponneras ;

- Quitte à ruiner ton pays, sur le décret de Janvier 73 (3) jamais tu ne reviendras et à l’Euro "protecteur" tu ne renonceras ;

- Le "confidentiel défense" tu généraliseras et la justice tu étoufferas, car l’impunité des "Elites" tu préserveras ;

- La duplicité avec habileté tu pratiqueras car tes promesses jamais tu ne tiendras ;

- Jusqu’à l’adoption tes administrés tu feras revoter car la contrariété tu ne supporteras ;

- Le Dieu très redouté du marché jamais tu ne trahiras.

Mon très cher Quatrevingtdixneufpourcent, tu commences sûrement à réaliser qu’il n’existe pas d’autre alternative -souviens-toi de la prophétie de Sainte Tina ! (4) - que celle de lutter de toutes tes forces contre le pêcher. Révise les Dix Commandements, accepte avec bon coeur de nouvelles privations, exige une baisse de ta rémunération, améliore ta productivité, raccourci tes congés, rejette l’Etat providence et toutes ses indemnités, accepte avec enthousiasme la dime et la gabelle, glorifie le principe de l’immoralité réservé en exclusivité aux "Apôtres bienfaiteurs" et à leurs serviteurs, pratique assidument le culte du marché libre et non faussé. Sois constant dans l’effort et tu découvriras, étonné, qu’il existe en toi un potentiel encore inexploité.

Alors, alors seulement, le Dieu très redouté du marché et sa Main Invisible, son séculaire et fidèle bras armé, feront peut-être preuve de magnanimité.

Tu risques cependant de trouver le temps bien long... A moins que tu ne te décides, toi aussi, à ruer dans les brancards, prenant soudain conscience que les invitations aux banquets des couillons ne sont en vérité que des pièges à cons. Le message des fils de Solon (5), en ce jour de Toussaint, doit te rappeler à tes obligations : "Choisis ton destin ! Ne te laisse plus conditionner et influencer par tous ceux qui, depuis bientôt quarante ans, nous ont conduit au désastre par intérêt et servilité." La fatalité annoncée n’est qu’une autre forme de manipulation.

(1) - Il s’agit bien entendu du Consensus de Washington, credo ultra libéral, à peine remanié. Auteur : John Williamson de la Banque Mondiale (1989).

(2) - La Main Invisible du marché imaginée par Adam Smith (1723 - 1790) dans la Richesse des Nations. Selon les exégètes, évocation d’une force providentielle qui harmoniserait les intérêts personnels afin de créer la plus grande prospérité pour tous !!

(3) - Décret Giscard Pompidou du 3 Janvier 1973 interdisant à l’Etat français d’emprunter directement à la Banque de France sans intérêt. Conséquence : depuis 1980 la France a remboursé 1400 milliars d’intérêt aux marchés financiers. La dette de la France s’établissant en 2011 à 1800 milliards on peut considérer que sans cette forfaiture la France n’aurait pour ainsi dire pas de dette !!

(4) - Il s’agit, comme tu l’avais compris, de Margaret Thatcher auteur de l’indépassable "There is no alternative". Sous-entendu : à une politique économique ultra libérale mondialisée. Nécessaire et bénéfique qu’elle disait !!

(5) - Solon (640 avant JC) : Le père de la démocratie athénienne. Avait notamment aboli l’esclavage pour dette !!

publié sur Agoravox

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