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« Ma grève des soins contre les franchises »

Publie le jeudi 10 janvier 2008 par Open-Publishing

Ce travailleur social dénonce la taxe gouvernementale sur les maladies. Il a écrit à Nicolas Sarkozy

« Pas coupables d’être malades ! »

Santé . Pour dénoncer l’instauration depuis le 1er janvier des franchises médicales, un malade du sida a décidé d’entamer une grève des soins en arrêtant tous ses traitements. Un acte de désespoir.
« Puisque ni les pétitions, ni les manifestations n’ont pu empêcher la mise en place des franchises médicales, j’ai décidé d’entamer une grève des soins pour protester contre ces mesures. » Déterminé, le regard fixe, Bruno-Pascal Chevalier n’y va pas par quatre chemins. Atteint d’une maladie de longue durée, en l’occurrence le sida, ce travailleur social de quarante-cinq ans, responsable du CCAS (centre communal d’action sociale) de Morsang-sur-Orge dans l’Essonne, vient d’adresser une lettre au chef de l’État, expliquant son geste « en soutien à toutes les victimes de la mise en place de la franchise médicale ». Pour lui, « il faut un acte fort et novateur pour que cette loi disparaisse ».

le droit fondamental de la santé

« La mise en place de la franchise médicale m’oblige à payer 50 euros par an d’impôt supplémentaire par le seul fait que je sois malade », écrit-il. Et d’étayer sont argumentaire : De nombreuses personnes - personnes âgées, invalides, atteintes d’affections de longue durée - « ne peuvent déjà plus faire face à leurs dépenses de santé en ne se soignant plus ou en repoussant à plus tard, voir trop tard, les démarches de soins. Pour la première fois dans l’histoire de la Sécurité sociale, le principe de solidarité est posé : avec la franchise médicale, chacun de nous se sent responsable, voire coupable d’être malade, et par cette faute, nous allons devoir payer pour l’accès à ce droit fondamental qu’est celui de la santé. » S’il a interrompu tous ses traitements en septembre dernier, Bruno-Pascal a attendu le 1er janvier 2008, date de mise en route des franchises, pour officialiser sa grève. « J’avais un petit espoir que les franchises ne verraient pas le jour… » En vain.

Cette grève des soins, Bruno-Pascal Chevalier l’a mûrement réfléchie. « Je ne voulais pas engager d’autres personnes que moi. Puis j’ai réalisé que des malades repoussaient ou même arrêtaient leurs traitements, faute de pouvoir les payer. C’est une façon officieuse de faire grève. Moi, je l’officialise. Mais ce n’est pas un appel. C’est un risque que je prends seul. »

Un risque qui lui fait peur, il le reconnaît. Car l’arrêt de ses traitements signifie une issue fatale à plus ou moins long terme. Comme il le rappelle dans son courrier, il a « pleinement conscience des risques » qu’il prend pour sa santé, « particulièrement précaire après vingt années de lutte contre la maladie ». « Oui, j’ai peur de ne pas être capable de mesurer les conséquences. Oui, ça joue sur mon organisme, admet le gréviste. Mais pour l’instant, j’ai la chance de ne pas avoir de problème. » Jusqu’à quand, il n’en sait rien. « Qui sait ce qui arrivera dans un mois, six mois ou un an ? » La « chance » qu’il a, c’est d’être largement soutenu par son entourage : collègues, amis, famille, médecin. « On est très inquiets, mais on est solidaires », témoigne ainsi son compagnon. « Si je pouvais, je ferais comme lui, car on ne sait plus comment se faire entendre, mais je sais que je ne tiendrais pas. »

Acte de désespoir, cri d’alarme, électrochoc. Cette grève est tout cela à la fois. « D’une certaine manière, on oblige les gens à ne plus se soigner. Je veux mettre les élus devant leurs responsabilités », insiste ce militant de la première heure. Oui, il admet que c’est une forme de chantage. « Mais Sarkozy use lui aussi de la même méthode. Il nous dit vous êtes malades, alors payez. Je ne supporte pas l’idée qu’on nous culpabilise parce que nous sommes malades. Ce n’est pas un choix », s’emporte Bruno-Pascal Chevallier.

« Aujourd’hui, c’est 50 euros, et demain ? »

« C’est d’autant plus injuste que ce sont les plus pauvres qui vont trinquer », poursuit le gréviste. Certes, la loi dit que ceux qui bénéficient de la CMU (couverture maladie universelle) ne paieront pas les franchises. Quid des séropositifs, des invalides et des retraités qui n’y ont pas accès car ils gagnent « trop » ? De plus, la prise en charge à 100 % des malades en affection longue durée ne les protège pas des « restes à charge ». Beaucoup de produits sont en effet considérés comme étant de confort et ne sont pas remboursés, ce qui grève fortement le budget des malades.

Le cas de Bruno-Pascal est édifiant : il porte un appareil auditif à chaque oreille et n’a plus aucune dent à lui, ce qui l’oblige à avoir un appareil dentaire. C’est sans compter les allergies et autres « petits bobos ». « Ce sont les conséquences de la maladie, mais elles ne sont pas prises en charge car elles sont indirectes », déplore Bruno-Pascal, qui n’hésite pas à dévoiler l’état de ses finances : « Je gagne 1 500 euros par mois. J’ai un peu plus de 1 300 euros de charges (loyer, chauffage, impôts, mutuelle, assurance, aide à domicile, etc.). S’il n’y avait pas le salaire de mon compagnon, je pourrais à peine manger et serais obligé de renoncer à certains soins, comme font de nombreux malades qui ne perçoivent que l’AAH (allocation adulte handicapé, soit un peu plus de 600 euros) et n’ont pas les moyens de se payer une mutuelle. » Avec le forfait à un euro et cette franchise, c’est 100 euros que ces personnes devront d’emblée débourser. « C’est humainement intolérable, d’autant que vivre une maladie est un combat quotidien. Oui, je suis vivant, mais à quel prix ? », lâche Bruno-Pascal Chevallier.

Le combat inédit de ce malade incitera-t-il le gouvernement à faire marche arrière sur les franchises ? Rien n’est moins sûr. Mais Bruno-Pascal espère bien que sa grève des soins alertera l’opinion sur ce qui risque d’arriver dans la foulée. « Vous croyez que les franchises vont permettre de combler le trou de la Sécu ? On sait pertinemment que le gouvernement ne va pas s’arrêter là. Aujourd’hui, c’est 50 euros, et demain ? » En effet, rien dans la loi ne garantit que les franchises ne pourront pas être appliquées dans d’autres domaines sanitaires ni que leur montant ne pourra pas être augmenté.

Avec l’instauration de ces franchises, le pacte de solidarité entre bien portants et malades, qui était au coeur de la création de la Sécurité sociale, est rompu. C’est ce que tente de dénoncer à sa façon Bruno-Pascal Chevalier. De façon extrême, il l’admet. Mais lui-même se définit comme un « militant sans concession » et optimiste. « Si ça peut faire avancer la cause et initier un mouvement fort… »

Alexandra Chaignon

voir le site http://grevedesoins.fr/index.php