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Pour ne pas oublier : UNE LIGNE DE PARTAGE HISTORIQUE (4 videos)

Publie le mardi 27 novembre 2007 par Open-Publishing

de Lucio Garofalo

27 longues années se sont désormais écoulées depuis le terrible séisme qui balaya le 23 novembre 1980 quelques centres de l’Haute Hirpinia et de la Basilicate, effaçant des familles entières, décimant et épuisant les populations locales. Il s’agît d’un immense cataclysme, dont les conséquences catastrophiques ne furent pas seulement causées par des éléments naturels, mais aussi par des facteurs de nature historico-politique et anthropo-culturelle.

Je me souviens que pendant les mois qui suivirent la catastrophe pas mal d’observateurs et d’analystes politiques arrivèrent à formuler l’hypothèse terrifiante d’un véritable "massacre d’Etat". La furie tellurique assaillît de manière traumatique et dévastatrice les communautés de Sant’Angelo dei Lombardi, Lioni et Conza de la Campanie, les centres les plus gravement endommagés par le séisme.

Et bien, une éternité semble nous séparer de ce jour funeste ! Pendant toutes ces années, les problématiques liées au séisme de 1980 et à la reconstruction qui suivit ont été l’objet d’études importantes et complexes, d’enquêtes et d’approfondissements réalisés et publiés aussi dans des blog et dans des sites Internet (évidemment on a aussi écrit des sottises). C’est pourquoi il semblerait qu’il n’y ait pas grand chose à ajouter.

Je crois, au contraire, que cela vaut la peine de prononcer quelques phrases à l’occasion des commémorations habituelles et rituelles, célébrées lors du 27ème anniversaire de ce triste évènement. Pour les habitants de la Haute Hirpinia, en particulier pour les citoyens de Lioni, de Sant’Angelo dei Lombardi et de Conza de la Campanie (les trois communes les plus sinistrées de l’aire du cratère) le séisme a été sans doute un évènement douloureux et c’est pourquoi ce jour ne représente pas une date quelconque du calendrier, mais il marque une véritable ligne de partage historico chronologique et anthropologico-culturelle. Qui équivaut au 11 septembre 2001 pour les Américains ou à l’an zéro, à savoir à l’avènement de Jésus, pour les Chrétiens.

L’expression « ligne de partage » indique avant tout qu’à partir de ce moment historique notre vie quotidienne a radicalement changé sous tous les profils. La réalité de nos régions s’est viscéralement transformée sur les versants économique et social, même aux niveaux psychologique et existentiel, nous faisant littéralement régresser aux niveaux anthropologique et culturel. Le séisme a déchiré nos vies, troublé nos émotions et nos perceptions, marquant profondément nos esprits, nos états d’âme, la sphère intérieure des affects et des sentiments les plus intimes, même nos instincts les plus élémentaires. Le changement, entendu comme retour à la barbarie, s’est faufilé à l’intérieur de nous, dans nos attitudes et dans nos relations les plus communes, pénétrant jusqu’au fond des viscères de la terre. Une terre de plus en plus infecte et corrompue par la pollution chimico-industrielle, empoisonnée par les déchets et les scories de toute sorte. Tout comme l’air et l’eau, qui étaient jadis absolument purs et sans tache.

Ce qui, au contraire, semble rester toujours intact, inchangé et presque pas dérangé, c’est l’organisation du pouvoir politique fondé sur le favoritisme, qui continue à exercer son chantage sur les sujets les plus faibles et sans défense, à conditionner la liberté de choix des consciences individuelles, en influençant les orientations électorales des individus, c’est-à-dire de larges couches de la population. C’est pourquoi, pour ne pas oublier l’immense tragédie collective qui, il y a 27 ans, fit précipiter dans le deuil le plus douloureux et irréparable les communautés de la Haute Hirpinia et de la Basilicate, je vous propose un témoignage suggestif du célèbre écrivain local Franco Arminio. Bonne lecture.

« Dans ma région nous sommes tous experts en séismes, au moins ceux qui étaient adultes quand arriva la secousse : le vingt-trois novembre 1980, à sept heures et demi du soir, la terre fait trembler tout l’Apennin méridional, l’épicentre est entre les provinces d’Avellino, Salerne et Potenza, un dizaine de villages complètement détruits (Conza, Laviano, San Mango, Sant’Angelo dei Lombardi, Lioni, pour n’en citer que quelques-uns) des centaines d’autres endommagés plus ou moins gravement, trois mille personnes mortes, écrasées par le poids des maisons cassées, maintenant je pense au fait que toutes ne sont pas mortes tout de suite, il y en a qui ont agonisé pendant des heures, qui auront entendu les secouristes qui étaient en passe de les atteindre et qui ne sont pas parvenues à attraper leurs mains, le séisme du point de vue des morts est une chose faite de poutres sur le ventre, d’obscurité, de jambes cassées, un séjour soudain dans l’arête de la vie, ta bouche est devant la poignée de ta chambre, tu regardes une télé éteinte, tu étais en train de regarder le match, ta femme était à la cuisine et préparait le repas du soir, la Juventus et l’Inter jouaient mais tu ne sais pas comment cela s’est terminé, tu sais que ta vie est en train de finir et tu es embêté parce que celle des autres continue, des ombres qui seront là pour se partager ce curieux butin qui est le temps qui passe, tu viens d’être ramené parmi eux, tu ne peux pas savoir qu’ils sont en train de polémiquer à propos des secours qui ne sont pas arrivés, le président de la République est arrivé et il a fait une scène à la classe politique, celle qui ignorait que le béton de ta maison était désarmé, celle qui ne s’est pas inquiétée que la maison où ta mère est morte soit délabrée bien que tu vives dans le monde qui se dit évolué, le monde qui, dans ton pays aussi, avait tourné le dos à la civilisation paysanne pour s’installer dans la modernité barbare, c’est au nom de cette modernité qu’ils commencèrent à reconstruire ta maison et celle des autres, ils pensèrent même que les maisons ne suffisaient pas, il fallait aussi les usines, maintenant nombre de ces maisons sont fermées comme ton cercueil et la même chose est arrivée à ces usines, tu ne sais pas que ce fait a été utilisé à un certain moment pour combattre ceux qui dominaient dans ces région, tu ne sais pas que les personnes du Nord de l’Italie qui vinrent ici pour aider furent déçues en découvrant tant de gaspillages (on parle d’une dépense de soixante mille milliards de lires [environ trente milliards d’euros, NdT] mais les calculs changent selon ceux qui les font) et firent confiance à un parti qui naissait pour dire assez avec cette histoire du Sud, le problème c’est nous, personne ne doit nous priver de l’argent que nous gagnons avec notre travail et en fait personne ne l’a fait, comme aucun scandale ne nous a privé de ceux qui dominaient et qui dominent encore et qui font maintenant avec les fonds européens ce qu’ils firent avec le séisme, cela aussi est scandaleux, mais on n’en parle pas, il manque le détonateur de la tragédie, en attendant même l’ingénieur qui a bâti ta maison écroulée n’est pas allé en prison et ceux qui l’ont reconstruite d’une façon plutôt affreuse non plus, pour toi le séisme s’est terminé avec la fin de la secousse mais pour les autres il a continué pendant nombre d’années et cela a été une course à faire de l’argent, dans cette course il n’y avait pas le temps pour penser à la beauté des villages, le problème n’étant que celui de les élargir, de les prolonger et l’ouvrage a été accompli avec du génie et un peu tout le monde y a participé, du député qui a fait la loi grâce à laquelle on pouvait réparer aussi des maisons qui ne s’étaient pas cassées, à l’architecte qui a dessiné avec le crayon de la vénalité, au citoyen qui a fait la queue pour attendre ce qui lui revenait et si possible quelque chose de plus, maintenant tout le monde se plaint, tout le monde dit qu’on était mieux avant le séisme, tous regrettent une époque où on était plus unis et plus bons, il me semble n’avoir vu cette bonté et cette union que tant qu’a duré la peur, tant que les gens ont dormi dans les voitures, tant que nous avons essayé de te sauver, ensuite cela s’est passé un peu comme je t’ai dit. » (Franco Arminio)

UN PEUPLE SANS MEMOIRE EST UN PEUPLE SANS ESPOIR ET SANS FUTUR

samedi 24 Novembre 2007
Traduit de l’italien par Karl&Rosa

http://bellaciao.org/it/article.php...


23 NOVEMBRE 1980 - première partie


23 NOVEMBRE 1980 - deuxieme partie


23 NOVEMBRE 1980 - troisieme partie


23 NOVEMBRE 1980 - quatrieme partie