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Que le 28 mars devienne la journée du migrant : une proposition à Bologne en souvenir de la Kater

Publie le mercredi 18 février 2004 par Open-Publishing

Traduction

Une lettre ouverte à Silvio Berlusconi, à Romano Prodi et à Fatos Nano, la proposition
de faire du 28 mars une "Journée du migrant et du réfugié" mais surtout la dénonciation
pleine de tristesse que le procès pour le naufrage de la Kater i Rades risque
d’être enterré pour toujours. Voilà les points traités par Shoqeria Skenderbeu à savoir
par l’association Skanderbeg (qui rassemble nombre d’Albanais résidant dans la
zone de Bologne) dans la conférence de presse du 17 février à Bologne.

Après avoir rappelé ce qui arriva à la vedette côtière albanaise Kater le soir
du 28 mars 1997, Giuseppe Chimisso a fait savoir qu’un comité promoteur de la
Journée du migrant et du réfugié était en train de naître (adhésions au fax 051
263720 ou à l’e.mail giornatamigrante@hortusmusicus.com) : "Nous demandons que
le 28 mars de chaque année soit dédié à tous les immigrés. A ceux qui sont morts
tragiquement en mer ou étouffés dans les containeurs mais aussi à ceux qui sont
victimes en Italie d’une discrimination juridique. Ces frères sont les nouveaux
parias de la société".

Le "vendredi saint" de 1997 au large d’Otrante moururent des centaines d’Albanais,
en grande partie des femmes et des enfants, noyés après l’éperonnement par la
Sibilla - c’est-à-dire par un bateau de la marine militaire italienne - de la
Kater (Qater en albanais) qui les conduisait en Italie. On ne sait toujours pas
aujourd’hui combien il y eut de morts : la plupart disent 106, peut-être 108 ou
plus. La seule certitude est que les cadavres récupérés furent au nombre de 86 ;
tous les autres furent considérés "disparus". Le président du Conseil de l’époque,
Romano Prodi, - comme se souvient Chimisso - déclara que tout le possible avait été fait
pour éviter la tragédie d’abord et pour secourir les survivants ensuite mais
par la suite, de nombreux témoignages l’ont démenti. Parmi ceux-ci, il y avait
même un radio anonyme, interviewé pour le journal télévisé de la 5 qui déclara :"l’ordre
d’éperonner vint de terre". Il faut rappeler le climat de ces journées, par exemple
avec l’affirmation d’Irène Pivetti, à l’époque présidente de la Chambre des Députés
qui déclara, juste quelques jours avant le 28 mars, au Quotidien Il Tempo qu’il
fallait "jeter à la mer les Albanais". Et d’autres personnalités politiques de
premier plan souhaitèrent l’usage de "cartouches intelligentes".

A côté de Chimisso, il y a Krenar Xhavara, un des survivants de cette tragédie.
Il était en Italie depuis 91 mais à l’époque il n’arriva pas à se mettre en règle ; "J’avais
demandé l’asile politique sans avoir de réponse, ensuite j’écrivis aussi à Mary
Robinson des Nations Unies pour demander de l’aide" raconte-t-il. Ainsi Xhavara
revient-il en 97 en Albanie pour tenter d’amener sa famille loin d’une guerre
civile ouverte. Ce tragique "vendredi saint" de 97, il est sur la Kater : il est
sauvé par miracle mais sept membres de sa famille sont noyés. "Les secours sont
arrivés très en retard. Et je continue à soupçonner qu’on préférait éliminer
des témoins gênants. Parmi les autres survivants, il y en a qui, quand ils ont
réussi à atteindre la Sibilla, ont été repoussés à coups de pied. Ensuite, nous
avons été transférés sur une embarcation de la garde côtière, mais elle a tourné pendant
des heures avant de nous emmener à terre : certains pensèrent qu’ils voulaient
se débarrasser de nous, d’autres qu’ils voulaient seulement nous empêcher de
rencontrer les journalistes et de raconter ce qui était arrivé."

"On veut clore le procès de Brindisi" expliquent Chimisso et Xhavara. C’est pourquoi
le président de l’association Skanderbeg a écrit une lettre à Silvio Berlusconi, à Romano
Prodi (en tant que président de l’UE) et à Fatos Nano, président du Conseil albanais.

Voilà une synthèse du texte. "Je m’adresse à vous, les puissants qui tenez dans
vos mains le destin de millions d’hommes, pour vous décrire le drame de quelques
centaines de familles. Il s’agit des proches et des survivants de la tragédie
du vendredi saint de 97 (...). Des personnes qui fuyaient une patrie ébranlée
par des luttes intestines, dévastée par une longue dictature et par un isolement
international propre à l’époque qui les avait conduits à la misère et exposés à de
gravissimes dangers. Ils cherchaient de l’aide et de la solidarité : ils ont trouvé la
mort. Depuis sept ans désormais les survivants et les familles des victimes se
battent pour obtenir vérité et justice : inutilement. Désormais le procès languit
dans une indifférence générale (...). Beaucoup de proches, épuisés et submergés
de désespoir par des allers et retours extrêmement fatigants entre leur maison
en Albanie et le tribunal de Brindisi ont fini par souscrire aux propositions
de transaction du gouvernement italien : 35 000 euros pour la perte du conjoint
ou d’un enfant et 4500 euros pour la perte d’un petit-enfant. Nombre d’entre
eux ont signé en croyant obtenir un remboursement partiel et provisoire dans
l’attente que le tribunal se prononce ; ils ne se sont même pas rendu compte que
la somme qui leur a été reconnue impliquait une solution complète et définitive
du contentieux (...).

Je m’adresse à vous au nom des humbles qui sont restés : nous ne devons et nous
ne pouvons pas accepter que l’on achète par une aumône le silence sur un méfait
aussi grave. Le temps est venu de tirer au clair les responsabilités (...) Nous
rendrons ainsi honneur à tant d’Italiens qui se sont engagés au nom d’une solidarité authentique :
aux populations côtières qui ont toujours secouru les faibles à la dérive, aux
hommes tels que l’avocat Giuseppe Baffa qui se sont dépensés pour la défense
des victimes et des survivants (...) Vous pouvez dire une parole de vérité (...)
Vous pouvez proposer une solution qui redonne dignité à ceux qui sont appelés à retrouver
leur confiance dans les institutions (...)".

Avec amertume, Chimisso et Xhavara expliquent que cette lettre est presque une
ultime occasion. "Nous faisons partie de ces rares personnes qui suivent cette
tragédie. Nous ne voulons pas que la dignité du peuple italien sombre en même
temps que la Kater. Même les media ne s’occupent plus de cette tragédie et nous
nous demandons pourquoi".

Chimisso tient à rappeler que " Tout le monde en Italie ne nous a pas laissés
seuls. L’association Skanderbeg a demandé au gouvernement albanais d’attribuer
une reconnaissance à l’avocat Giuseppe Baffa, décédé dans des circonstances que
nous considérons mystérieuses le 13 janvier 2000 ; et nous sommes heureux de pouvoir
dire qu’ à la date du 18 janvier de l’année dernière le gouvernement albanais
a octroyé une médaille d’or à la mémoire de Baffa".

Offrir "quatre sous" à la condition que l’on quitte le procès est un "tour douloureux" insistent
Chimisso et Xhavara, "d’autant plus que cette signature a été extorquée à plusieurs
par la ruse et n’a donc aucune valeur légale".

Le procès est suspendu depuis octobre dernier et ne reprendra qu’en octobre 2004 "parce
qu’un juge est en congé maternité" et Chimisso commente "Toutes les occasions
sont bonnes pour que le procès ne suive pas son cours". Ainsi même "la dernière
lueur d’espoir est en train de s’éteindre". On parle beaucoup de mémoire historique,
conclut Giuseppe Chimisso, "mais il nous est encore plus utile de sauver la mémoire
du présent" et il rappelle que depuis 97 l’association Skanderbeg avait écrit "un
peuple qui n’a pas de mémoire n’a pas de futur".

"Ce fut une honte à l’époque mais maintenant aussi il y a de quoi avoir honte",
ajoute Xhavara : "Notre bateau fut touché dans des eaux internationales et il
s’agit d’un crime international mais le tribunal de Strasbourg ne peut pas s’en
occuper tant que le procès italien qui traîne en longueur n’est pas conclu".

Qui est en train d’entraver la recherche de la vérité ? "En tant que citoyen italien" répond
Chimisso (qui a de lointaines origines albanaises) "je ne peux que rappeler qu’une
longue traînée de sang et de mystère a traversé l’histoire récente de ce pays.
Mais sur le massacre du 28 mars 97, il y a encore plus de silence. Peut-être
parce que les victimes n’étaient que des Albanais ?".

Daniele Barbieri
www.migranews.net

traduit de l’italien par Karl et Rosa

18.02.2004
Collectif Bellaciao