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Questions à la CFDT

Publie le samedi 17 avril 2004 par Open-Publishing
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EN 2004, la CFDT a 40 ans. Fruit d’une évolution engagée après-guerre, sa
création, en 1964, a marqué une étape dans la construction d’une force à
laquelle plusieurs générations de militants ont contribué. Cet anniversaire
est une occasion de réflexion et de débat. Un débat qui s’impose d’autant
plus que plusieurs orientations de la CFDT soulèvent nombre de questions.

La CFDT est un patrimoine partagé. C’est faire ¦uvre de mémoire et de
responsabilité que de débattre publiquement de questions soulevées par des
évolutions qui nous paraissent remettre en cause ses fondements et ceux du
syndicalisme démocratique dont nous nous sommes tous réclamés et pour lequel
nous nous sommes engagés. Nous posons ces questions tant il nous paraît que
la première carence de la CFDT aujourd’hui est l’absence de pensée sociale
autonome, faute de débat démocratique depuis de trop longues années.

Quel rapport au politique ? Ce qui s’est passé en 2003 au sujet des
retraites est révélateur. Un mouvement et une mobilisation sous-tendus par
un effort de coordination intersyndicale, et notamment par un travail commun
entre CFDT et CGT..., sont rendus sans objet par un "accord" conclu en
urgence absolue avec la CFDT dans le bureau du premier ministre.

En août 1953, un tête-à-tête entre la CFTC, notamment, et le gouvernement
Laniel, qui voulait remettre en cause plusieurs acquis, dont l’âge de la
retraite dans les services publics, rendait sans objet, grâce à des
tractations directes, un mouvement de grèves important. Fait troublant, la
position confédérale s’était traduite par une hémorragie de la Fédération
des cheminots, qui perdait plus de 25 % de ses adhérents. Ne retrouve-t-on
pas, cinquante ans après, une conduite qui, prétendant s’inspirer d’une
approche syndicale autonome, s’éloigne du mouvement syndical pour être
l’interlocuteur exclusif du gouvernement ?

Ce rôle est celui d’une "agence sociale", voire d’un syndicat officiel, avec
des formes de relations d’une autre nature que la négociation, qui suppose
la confrontation d’intérêts ou de points de vue autonomes. L’"accord" sur
les retraites en 2003 relève plus de la co-élaboration entre gens qui
pensent être dépositaires de l’intérêt commun que du contractuel au sens
propre. La CFDT n’en revient-elle pas à une forme de syndicalisme que
pratiquait la CFTC avec les gouvernements ? La CFDT n’évolue-t-elle pas vers
un "apolitisme" s’apparentant à ce qui a toujours couvert une façon, ô
combien ambiguë, de faire de la politique ? Résultat : une confusion
dangereuse, et d’ailleurs récemment sanctionnée, entre le gouvernement, les
pouvoirs économiques et la CFDT.

Dans son histoire, la CFDT a évolué vers une affirmation exigeante de son
autonomie et de son identité nourrie par le débat d’idées à l’origine duquel
elle a souvent été : organisation du travail, conditions de vie,
environnement, place des femmes dans la société...

Force de critique sociale, d’impulsion et de transformation, en phase avec
de nombreux mouvements dans la société, la CFDT a été un acteur à la fois de
la contestation, de la proposition, de l’action et de la négociation. En
retrait désormais de la plupart des mouvements sociaux, son attitude à
l’égard de l’extérieur, vis-à-vis du mouvement altermondialiste par exemple,
marque une prise de distance porteuse d’enfermement.

Quelle approche des problèmes sociaux ? Unedic, retraites, voire
assurance-maladie : on est frappé par les choix de la Confédération. Sur ces
questions, il y a lieu de prendre en compte le réel, les contraintes, les
équilibres financiers, les nécessités d’arbitrage. C’est le rôle d’un
syndicalisme responsable que de s’engager, quand il le faut, en articulant
ses exigences et le possible. Mais, dans la plupart des cas, le point
d’arrivée des négociations ou des pseudo-négociations ne laisse guère de
doute sur le sens du compromis. Les revendications de la CFDT se dissolvent,
ne laissant qu’une approche gestionnaire et technocratique, marquée par une
logique comptable ou financière, corrigeant les droits, stigmatisant des
populations, en échange de quelques contreparties réelles, mais à l’impact
limité, et faisant l’objet d’une survalorisation.

La position de la CFDT en devient chaque fois moins lisible en termes de
transformation sociale. Est-ce cela le "courage", le "modernisme" ? Jusqu’où
faudra-t-il aller pour donner sans cesse plus de gages ? Le rôle du
syndicalisme consiste-t-il à s’inscrire dans les contraintes sans même
envisager de les desserrer ?

La "refondation sociale" prônée par le Medef en 2000 a fait monter les
exigences, réussissant à faire admettre le travail comme un coût qu’il faut
réduire, les partenaires sociaux ayant à gérer à la baisse une enveloppe
sociale non extensible. Pas besoin de mouvement social dans cette approche
du contractuel. La négociation n’est qu’une rencontre de "techniciens"
partageant sur le fond un même diagnostic des problèmes avec des variantes à
la marge selon les acteurs.

Paul Vignaux, un des leaders historiques de la CFDT, lui assignait
l’ambition d’être un syndicat "techniquement révolutionnaire", sachant
relier réalisme et visée transformatrice à partir de sa propre expertise
sociale et économique. En rupture avec le modèle CFTC, cette conception a
donné force et crédit à la CFDT, tant par rapport à un syndicalisme
catégoriel que par rapport à un syndicalisme marqué par une lecture
déterministe de l’histoire. La CFDT ne perd-elle pas aujourd’hui son
ambition de transformation pour une approche technocratique surdéterminée
par la lecture économique dominante ?

Ses orientations ne relèvent-elles pas plus d’une acceptation de la doctrine
libérale que de choix au nom de l’intérêt général, voire tout simplement de
l’intérêt des salariés ? L’intérêt général, loin d’aller de soi, résulte
aussi, ne l’oublions pas, de conflits, de rapports de force dans la société
et de la qualité de la négociation. On aura peine à considérer les
arbitrages récents au sein de l’Unedic comme relevant de l’intérêt général.
Des arbitrages qui mettent en difficulté des centaines de milliers de
chômeurs en l’absence d’une politique dynamique de l’emploi. On attend autre
chose des syndicats et de la CFDT en matière d’emploi et de lutte contre le
chômage. A moins de considérer que les chômeurs stigmatisés défendent une
logique "catégorielle" peu compatible avec le train de la modernisation
sociale. De même, comment comprendre l’inertie de la Confédération devant la
montée des travailleurs pauvres ?

Quel sens pour le "réformisme" ? Le terme est omniprésent. De quel
réformisme s’agit-il pour la CFDT ? Son engouement s’inscrit-il dans un
combat de transformation et de progrès ou n’est-ce qu’un maigre amortisseur
social du démantèlement des droits des salariés ? Le réformisme de la CFDT
est à la croisée des chemins. Il penche pour l’heure du côté d’un social qui
se contracte et dont les contreparties sont mal comprises ou jugées
insuffisantes. Sans doute pourrait-il en être autrement avec un poids accru
des acteurs syndicaux et une autre conception du progrès et de la justice
sociale.

Pour certains, être "moderne" dans le champ social, c’est passer au "gant de
crin" droits et acquis. Plus question de mieux-disant ou de gagnant-gagnant.
La "refondation sociale" avait donné le ton. Hormis quelques novations
positives, il n’était question que de limer et d’éliminer. Le cap était
clair : flexibilité, réduction des charges, précarité, exclusion... Rien qui
puisse déminer le terrain où poussent les populismes.

Dans le mouvement ouvrier, le réformisme représente une transformation
graduée s’opposant au mythe du "grand soir" révolutionnaire. Ce choix a été
tranché par l’histoire. La réforme est une ambition s’inscrivant dans la
voie démocratique dont le contractuel constitue l’un des pivots. Les fins
rejoignent les moyens, mais les fins restent indexées sur une véritable
ambition.

Une conception syndicale de la réforme ne prend sens que dans des principes,
des perspectives, des objectifs. Faute de cela, la CFDT se trouve rabattue
sur les idées du moment. Quelle différence entre le "réformisme" du Medef,
celui de la droite, celui du social-libéralisme et celui de la CFDT ? C’est
pour n’avoir pas dit de quoi le réformisme syndical était fait que la CFDT
se trouve en butte à de fâcheuses confusions.

Quelles relations intersyndicales ? Les dégâts liés aux suites de l’"accord"
sur les retraites donnent à réfléchir. Chacun se trouve ramené dans son pré
carré sans autre perspective que d’¦uvrer quasiment seul alors que de
grandes transformations se mènent ou se préparent.

En s’engageant comme elle l’a fait sur les retraites, la CFDT a aussi fait
un choix en matière de relations intersyndicales. Son solo en mai 2003 a
fait resurgir une option : celle d’une organisation qui dans les années 1990
a caressé l’espoir d’occuper la place centrale et dominante dans le
syndicalisme français. Cette perspective s’est révélée être une impasse.
L’isolement de la CFDT est un vrai handicap. Et ce n’est pas le
compagnonnage occasionnel de la CFTC ou de la CGC qui offre un débouché à
l’unité syndicale ou à l’avenir des relations sociales.

Pourra-t-on longtemps faire fi d’un niveau significatif d’unité sur les
questions les plus lourdes ? La CFDT devra choisir. Soit elle inscrit son
action dans la durée au sein d’un axe "réformiste" Medef-CFDT, ce qui induit
une conception résiduelle des rapports intersyndicaux. Soit elle poursuit
des liens intersyndicaux, en particulier avec la CGT, pour construire un axe
syndical de nature à infléchir et à orienter des transformations en cours
par le rapport de force et la négociation.

Nombre d’observateurs reconnaissent qu’il n’y a pas d’avenir pour le
syndicalisme en France en dehors, à terme, d’un processus de réunification
passant d’abord par un rapprochement réel et durable entre CFDT et CGT.
Question décisive qui apparaît comme la seule voie de rééquilibrage des
négociations en faveur des salariés. C’est la rencontre potentiellement
dynamique entre la culture du rapport de force et la culture de la
négociation.

En 1964, la CFDT a su se transformer. En 2004, nous voulons croire qu’elle
saura faire mouvement pour se porter à la hauteur des questions qui se
posent à elle et à l’ensemble du mouvement syndical.

Parmi les premiers signataires, anciens responsables confédéraux, fédéraux
et régionaux de la CFDT : Marc Béchet ; Alexandre Bilous ; Roger Bonnevialle
 ; Jean-Michel Boullier ; Yvette Chamussy ; Albert Detraz ; Nicole Ducos ;
Robert Duvivier ; Gérard Fonteneau ; Jean-Louis Foucaud ; Guy Gouyet ;
Anne-Marie Grozelier ; François Guntz ; Pierre Héritier ; Pierre Hureau ;
Jeannette Laot ; Bruno Lechevin ; Jean Louvel ; André Marivin ; Louis
Moulinet ; Christian Marquette ; Catherine Michaux ; Geneviève Petiot ;
Marie-Noëlle Thibault ; Jacques Tignon ; Albert Treluyere.

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