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Refondation : ce premier virage appelé rupture

Publie le samedi 26 mars 2005 par Open-Publishing

De COSIMO ROSSI traduit de l’italien par Karl&Rosa

La refondation de Bertinotti premier acte : de l’alliance avec Cossutta au nom de l’identité au déchirement avec Prodi au nom de l’autonomie

"Où serions-nous aujourd’hui sans ce que vous avez appelé des virages ?", se chauffait Fausto Bertinotti en concluant le congrès vénitien de Refondation communiste : le sixième depuis la naissance du parti en 1991, le cinquième de la principauté bertinottienne. Parce qu’en effet, un "virage" après l’autre, avec les dernières assises un cycle de refondation du parti bertinottien s’achève. Il s’agit donc d’un véritable "virage", comme le définissent deux qui s’y connaissent bien tels que Achille Occhetto et Massimo D’Alema ; quoique le leader de Refondation préfère l’appeler "recherche". Quoi qu’il en soit, c’est un parcours qui reconduit à un nouveau démarrage : qui est un nouveau gouvernement Prodi.

Mais cela arrive au terme d’une décennie au long de laquelle le communisme dans les placards de Refondation s’est soumis à un changement complet de saison. C’était un parti du "non" (à la dissolution du Pci) identifié par le claquement des drapeaux rouges ; non seulement il est passé à travers la théorie mais aussi à travers l’exercice des "deux gauches" et une rupture froide avec le premier gouvernement Prodi ; il a rencontré de nouveaux mouvements et différents compagnons de route en libre sortie de la crise verticale de la gouvernance progressiste (l’Olivier mondial) ; jusqu’à remettre enfin au monde ses certitudes idéologiques. Le long de ce tour de manège décennal, de virage en virage le Prc a perdu en route des pans entiers de sa propre classe politique ; en cherchant à se régénérer par la double construction d’une nouvelle génération interne et de nouvelles relations tout autour.

"Le plus beau couple du monde"

Quand, en octobre 1993, Bertinotti adhéra au Prc pour en devenir quelques mois après le leader, son ascension directe au sommet représentait le point neutre à l’intérieur d’un parti divisé à cause de cultures politiques quasiment inconciliables : du Pdup, à Dp, au cossuttisme, au trotskisme, au berlinguerisme en hibernation et ainsi de suite. Et ses qualités télévisuelles ne se reflétaient pas encore dans tant de personnalisme interne, quoique l’homme y était prédisposé depuis l’époque du syndicat. Mais un parti, et un parti avec une propension orthodoxe du genre vieux Pci assortie d’un fractionnisme du genre groupuscule gauchiste, est tout autre chose. "Pourrions nous introduire Giacinto (Botti, ndr) dans le comité politique ?", un dirigeant encore en charge se souvient que Bertinotti s’excusait presque avec l’état-major. Pour s’entendre répondre : "Mais le secrétaire c’est toi".

Bertinotti hérite de Sergio Garavini, démissionnaire, un parti qui aux dernières législatives avec le vieux système proportionnel (en 1992) a recueilli à la Chambre des députés 2.202.574 voix (5,6%) et 35 sièges. Son secrétariat anti-orthodoxe, calibré par l’axe Cossutta-Magri pour faciliter aussi la participation à la coalition des Progressistes, fera progresser de peu le Prc aux élections de 1994, les premières avec le collège uninominal majoritaire : 2.334.029 voix (6%) et 39 sièges.

Fort de la célébration foudroyante du "couple le plus beau du monde" avec le président Armando Cossutta, le secrétaire guide tout de suite Refondation communiste au delà du congrès (le deuxième) qui l’a élu : où les jugements méprisants sur le Pds de Occhetto étaient nombreux, tout en confirmant l’intention d’un accord "programmatique" avec le reste de la gauche à l’intérieur duquel approfondir l’élaboration de l’alternative. Le postulat des "deux gauches" - pendant de la réflexion de Marco Revelli sur les "deux droites", où la gauche libérale s’ajoute à la gauche traditionnelle - et de leur nature inconciliable fait des progrès.

Ceux qui embrassèrent le crapaud

Après la chute du premier gouvernement Berlusconi, les deux leaders disent non au gouvernement Dini, le "crapaud" embrassé par une bonne partie de la gauche en tant que bouée de sauvetage contre un probable nouveau triomphe électoral du Cavaliere : ils rejettent aussi l’hypothèse d’une abstention à la fonction anti-droite. Mais une partie importante des groupes parlementaires vote en faveur du gouvernement. Un choix partagé par quelques représentants éminents de l’actuelle majorité bertinottienne (de Nichi Vendola à Franco Giordano), tellement fort qu’il freine une sanction normalisatrice de la dissension. Un choix qui mènera aussi au premier schisme, surtout de la part des amis de Magri ainsi que de l’aire proche de Garavini.

Refondation "est une steppe aride, et Bertinotti y a mis le feu", observeront les transfuges à propos de ce qui pendant toute la première saison du Prc se confirmera comme une allergie à toute contamination : une allergie cultivée par le secrétaire autant que par le président, presque comme sevrage d’une créature trop fragile face aux intempéries externes.

En même temps, cette rupture avec le sens de responsabilité nationale - qui a été celui du Pci - est un premier, confus passage de la refondation bertinottienne. Inachevé, parce que Bertinotti lui-même déposera les armes au moment où Dini fixera - en s’adressant à lui dans la salle des séances de Montecitorio - une échéance pour son exécutif. Comme les déchirures successives mises en œuvre par le secrétaire, il sera facilité aussi par le fait que d’ autres (ceux qui voteront la confiance à Dini) tendent de toute façon un filet de protection. Comme pour d’autres ruptures, Bertinotti se donnera la peine d’en augmenter le bruit mais aussi d’éviter qu’elles soient irréparables. Peut-être en vertu de cela, ainsi que pour consolider la créature parti qu’il sent toute à lui, Cossutta soutient le secrétaire : en donnant voix à ses attaques hostiles envers les dissidents à travers Liberazione (dirigée, à l’époque, par Diliberto), tandis que ses fidèles sont cooptés dans le secrétariat à cause du turn over des transfuges.

L’irrésistible désistement

D’ailleurs Refondation - sous la pression de l’aire du président - est engagée entre temps, dans la saison des maires, et participe aux alliances de gouvernement dans les villes. C’est aussi le laissez-passer pour l’accord de désistement avec l’Olivier, la formule décrivant par elle-même une différence inconciliable. En juin 1995, Bertinotti et Cossutta rejettent la proposition de programme commun soutenue par Prodi. Le reste du centre-gauche, qui rêve de différentes façons de la grande gauche social-démocrate (avec D’Alema) et du parti démocratique (avec Prodi et Veltroni), ne le regrette pas trop. Tandis que pour Refondation s’ouvre une zone de pêche électorale à gauche du Pds. Résultat : aux élections d’avril 1996, le Prc recueille 3.215.960 voix (8,6 %) et 35 sièges dans la part proportionnelle à la Chambre des députés. Refondation vote la confiance, mais elle reste hors de l’exécutif.

Le troisième congrès s’ouvre tout de suite après. "Autonomie et unité" est le mot d’ordre qui sanctionne le paradigme des "deux gauches" et l’inspiration (scolastique) du Prc à avoir un rôle hégémonique sur la gauche antagoniste ; mais aussi la répression (elle aussi scolastique) des minorités au nom de la "lutte contre le sectarisme". Les slogans bifront deviendront une caractéristique du parti bertinottien : entre attitude contradictoire post-moderne et duplicité traditionnelle, interrompues seulement par les impératifs singuliers pour faire face aux pires moments (comme après la crise avec Prodi et la scission de ’98).

Le parti de masse qui n’existe pas

L’année suivante a lieu la première conférence d’organisation du Prc, dont l’important consensus électoral ne trouve guère de correspondance dans son corps militant. Les cercles sont litigieux et repliés sur eux-mêmes, souvent archéocommunistes ; la recette fondée sur la construction de nouvelles structures intermédiaires entre le parti et la société, ouvertes aussi aux non inscrits, représente une autre tesselle du parcours bertinottien. Le "parti antagoniste de masse" (un autre concept double) est un hybride qui tient ensemble le penchant cossuttien pour l’organisation et celui pour la nouveauté du secrétaire, mais en attribuant toujours le rôle d’ "avant-garde" au parti avec un P majuscule, au groupe dirigeant plus ou moins diffus. Le lancement du sujet juvénile va se révéler ensuite comme le seul coup efficace pour l’organisation (probablement parce qu’il ne va pas se construire selon les canons traditionnels) de la part d’un parti post-vingtième siècle, encore alourdi par des fétiches, simulacre du "parti de masse", où il n’y a pas de proportion ni de cohérence entre le consensus et l’enracinement entendu traditionnellement.

Entre temps, la tension avec le gouvernement s’aiguise. A la fin de 1997, on arrive au risque de crise sur la loi des Finances, que Bertinotti ne veut pas voter ; à tel point que le 10 octobre Prodi se rend au Quirinal pour remettre son mandat (au Président de la République, NdT). C’est le bras de fer sur les 35 heures, que le Prc n’a obtenues que virtuellement. Mais c’est encore plus le bras de fer à l’intérieur du parti. Cossutta ne comprend pas la légèreté avec laquelle Bertinotti cultive le rapport de négociation avec l’exécutif : le président base son raisonnement réaliste sur l’action politique du parti à l’intérieur du système d’alliances et sur le consensus électoral à en tirer dans les zones contiguës à la gauche. Bertinotti, au contraire, sent que le rapport avec l’esprit de refus qui anime le Prc se perd si l’on se concentre surtout sur la tenue du corps militant et de la classe dirigeante : "Nous aurions pu imploser" observera-t-il à l’époque, en enregistrant, au contraire, une augmentation des adhérents. Paradoxalement, en cultivant le corps instinctuel de Refondation avant son cerveau, Bertinotti se révèle par moments plus cossuttien que Cossutta. Le bras de fer s’achèvera lors de la réunion du secrétariat qui (le 13 octobre) donne au leader tout pouvoir pour poursuivre la négociation avec Prodi, mettant en minorité la composante cossuttienne, de laquelle se détache l’aire de l’Ernesto. Et, avec elle, la caisse du parti.

La main gagnante du secrétaire

La crise de gouvernement résorbée, Cossutta et les siens débouchent le champagne face à un secrétaire à la mine sombre. Toutefois, Bertinotti a fait le pas en avant définitif pour la pleine conquête du parti, en termes d’organisation et de caisse : il s’est assuré aussi de la fidélité d’ex cossuttiens qui sera déterminante pour lui afin de soutenir la rupture suivante avec Prodi, déjà inscrite dans le cours des choses. Même si, depuis toujours, les hommes du président sont les mieux organisés au niveau de la représentation institutionnelle.

Au niveau intérieur, en somme, la rupture remonte à 1997 : l’année suivante ne servira qu’à la faire fermenter mieux. A tel point qu’elle se reflètera aussi sur la crise qui s’ouvre à Liberazione, entre la fin de ’97 et mai ’98, et qui se résoudra par la paradoxale inscription à la Fieg (Fédération italienne des éditeurs de journaux, NdT) de la société d’édition du Prc, se faisant ainsi "patronne".

Bertinotti et les siens sentent vaciller l’autonomie du parti, sa subjectivité dans l’alliance avec la coalition de l’Olivier. Et ils serrent le poing. C’est un réflexe identitaire, même brutal, face à l’homologation avec l’Olivier, mais qui lit en même temps les fléchissements des leaders européens même par rapport à la social-démocratie traditionnelle, en en critiquant la dérive, jugée inéluctable et en cultivant toute radicalité anti-libérale. Bertinotti perçoit le chemin sans issue du centre-gauche, bien qu’il manque d’autres débouchés. Cossutta s’en inquiète dans le cadre national : il sent la menace berlusconienne et demande au parti de continuer à s’engager dans une coalition marquée par une continuité avec la tradition du Pci. Le discriminant historique et politique entre Bertinotti et ceux qui "ne feront jamais tomber un gouvernement de gauche", comme argumentait encore il y a quelques jours Oliviero Diliberto, est ici. En effet, la majorité parlementaire est composée d’un arc de forces que Bertinotti juge irrécupérables à une alternative au libéralisme. Toutefois, les mêmes forces gouvernent des zones importantes et traditionnelles du territoire. C’est pourquoi les cossuttiens réunissent en juin 1998 à Bellaria tous les administrateurs locaux du parti dans une dernière tentative de persuader le leader que rompre avec le gouvernement de centre-gauche est erroné et dangereux.

La fin du gouvernement Prodi

Mais le cadre a effectivement sauté, aussi à cause des affrontements internes à l’Olivier en tant que sujet politique (de Prodi et Veltroni) par rapport à l’Olivier en tant que cartel de partis (de D’Alema), internes au centre-gauche avec un trait d’union par rapport à celui qui ne l’a pas. Toute une politique est en train de vaciller, pressée par le dogme du libéralisme et des compatibilités financières - avec les institutions super nationales attenantes : l’espoir qu’entraînaient les succès de Clinton et de Blair plutôt que de Jospin et de Schröder. Et en Italie l’affrontement s’est déplacé sur le gouvernail, ou au moins sur la cabine de direction, de ce capitalisme bien tempéré (comme le définissait Prodi) : entre la tradition catholique démocratique et la tradition social-démocrate qui harcèle et sans que personne - sauf des Cassandres isolées, qui ne manquent pas - ne se pose effectivement le problème d’un pas en avant global.

Ainsi tombe le gouvernement Prodi, en laissant non payée une échéance de guerre (celle des Balkans) que devra honorer le premier chef de gouvernement post communiste, Massimo D’Alema, avec le soutien amer du Pdci et des Verts. Mais Bertinotti ne rompt pas seulement sur la guerre (qui sera l’année suivante le cheval de bataille de la débâcle aux élections européennes) : il amorce dès juillet le parcours de sortie de la majorité à travers la formule (encore une fois double) "virage ou rupture",demandant un changement de route dans le sens du public (ce sont des année où privatiser est une sorte de devoir moral) de la politique économique.

La scission avec la bouée de sauvetage

Mais, à nouveau, Bertinotti agit en se construisant aussi un parapluie de protection : cette fois double. L’aire cossuttienne - dont a pris de facto les rênes Diliberto - quittera le parti en fondant le Pdci avec ses députés, mais une voix manquera quand même du boulier compteur tenu par Arturo Parisi pour calculer la confiance au gouvernement Prodi. Toutefois, le leader du Prc a agi aussi sous la protection du semestre blanc : c’est-à-dire d’une dissolution du parlement pour convoquer de nouvelles élections qui auraient probablement anéanti le consensus et la représentation du Prc, en en compromettant l’avenir de façon irrémédiable. En ayant perdu l’expérience des cadres et des élus cossuttiens, la créature parti affronte la crise plus difficile de survie physique, une crise qui est peut-être aussi la dernière avant de fixer enfin l’attention à l’extérieur de soi.

A nouveau, on cherche de la rupture le plus grand bruit plutôt que l’irréparabilité. Mais, il ne s’agit pas seulement d’une rupture, il s’agit d’un véritable "virage". C’est en effet la césure définitive avec le totem du gouvernement et du frontisme. C’est la prise d’acte, encore discutée, de l’échec du gouvernement Prodi, qui est paradoxalement aussi l’assomption du système bipolaire majoritaire, où on ne mesure plus l’exercice de la négociation et de l’"hégémonie" sur les quotes-parts proportionnelles de représentation institutionnelle : un thème qui sera reproposé peu après par les mouvements et qui reste encore beaucoup à explorer, même si Bertinotti s’affiche, encore aujourd’hui, favorable au système proportionnel. Le Prc y arrive à travers une scission déchirante, débordante d’orgueil de parti et de ressentiment envers les anciens camarades, inculpé de la banqueroute politique du gouvernement Prodi par le peuple aigri de la gauche : jamais si enfermé en lui-même, et en même temps jamais tellement en haute mer .

La Refondation de Bertinotti deuxième acte : de la "rupture de la cage du centre-gauche" à la non violence comme rupture avec le léninisme et paradigme de démocratie, par lesquelles on renoue les relations avec le reste de la gauche

Que la refondation commence avec la scission avec le Pdci est devenu, dans le dernier lustre, le premier commandement bertinottien. C’est un dogme, qui correspond à la vérité surtout dans la mesure où le Prc a effectivement risqué l’extinction : à tel point que se refermer comme un hérisson est devenu un mouvement naturel de survie. Du reste, le prix de la rupture avec le gouvernement Prodi se présente d’autant plus cher que le Prc a fait exploser une expérience que le sentiment commun de l’électorat de centre-gauche vivait comme un espoir concret de transformation. Les transfuges du Pdci posent ce thème en cohérence avec la tradition communiste. Ceux qui sont sur des positions non différentes mais qui ne les suivent pas - et qui représentent aujourd’hui une partie de l’aire de l’Ernesto - privilégient de cette même culture la raison de parti et celle de gouvernement et de frontisme. Au contraire, le ressentiment des gens de gauche va au delà. Mais, tout autour, les aiguilles tournent plus vite que ce que prévoyaient les partis et même la clepsydre de Bertinotti. C’est le début de 1999, année de la guerre au Kosovo, de l’échéance du mandat présidentiel de Oscar Luigi Scalfaro et des élections européennes.

La fausse carte du Quirinal s’évanouit

Protégé par le semestre blanc, qui exclut la possibilité d’élections où l’Olivier réduirait le Prc à sa plus simple expression, le secrétaire estime avoir dans son jeu la carte pour rentrer en lice à travers l’élection du président. On dit qu’il pourrait s’agir de Prodi, qui sera, au contraire, garé à la direction de la commission européenne : parmi les variantes du jeu de Bertinotti, l’arrivée au Quirinal de l’ex premier avec le soutien le la gauche pourrait rouvrir le dialogue avec le gouvernement. Mais la majorité du premier gouvernement d’un post communiste, celui de Massimo D’Alema, est soutenue par le trait d’union demandé au centre-gauche par Francesco Cossiga. Donc la candidature du professeur tombe bien avant que le Quirinal soit l’apanage de Carlo Azeglio Ciampi - sur lequel aujourd’hui Bertinotti change d’opinion, mais pour lequel rageusement il ne vota pas - ; à tel point qu’on comprend tout de suite que les effets de la crise seront plus profonds et plus durables que prévu.

La guerre qui éclate le 24 mars - déjà autorisée par le gouvernement Prodi - ne fait que le confirmer : elle représente la prise d’acte de l’échec européen dans les Balkans, la dernière épreuve d’interventionnisme états-unien dans le vieux continent avant de fixer le regard sur l’Orient, pas que sur le Moyen Orient. Pour D’Alema il s’agit d’une sorte de Némésis historique, tandis qu’au parlement le chef du groupe de l’époque Fabio Mussi peine dans tous les sens à tenir dans les rangs les députés ds. Pdci et Verts s’expriment contre l’intervention, mais ils restent dans le Conseil des ministres. Refondation fait du vacarme. Elle ne le fait pas avec la Cgil mais avec la Fiom, même si les rapport avec celle-ci se sont refroidis après la rupture avec Prodi, quand deux cars de collets bleus de Brescia étaient allés voir Bertinotti pour qu’il change d’avis.

Le leader du Prc effectue une torsion mouvementiste qu’on prévoyait en partie et qui trouve un terrain favorable dans une partie, de culture étrangère au Pci, présente dans le parti. Aussi parce que la scission a frappé d’une façon importante le tissu des cadres intermédiaires et de base qui administrait le territoire, en représentant le ciment de l’organisation du parti. Autrement dit, avec le schisme cossuttien le fétiche du "parti de masse" se dissout à tout jamais.

La protestation dans l’urne européenne

Encore une fois, la réponse bertinottienne est double. D’un côté, la rechange récompense les nouvelles générations (c’est le cas de nombre de jeunes secrétaires de fédération) et pousse sur la pédale mouvementiste pour insuffler de l’oxygène dans les eaux très basses dans lesquelles nage le Prc. De l’autre côté, il y a un tour de vis drastique des règles et de l’organisation internes.

Dans le but d’amorcer le réaménagement interne, à mars a lieu le quatrième congrès, en édition extraordinaire. "Une alternative de société" est le mot d’ordre des assises où l’hétérogène majorité bertinottienne (dont font partie aussi l’aire de l’Ernesto et celle de Maitan) fait face à la minorité de gauche. Le choix de la rupture avec le centre-gauche est assumé et avec lui celui de l’impraticabilité de l’alternative à travers le système politique : ce qui d’un côté déplace l’attention vers la société, mais propose de l’autre une mise en discussion intransigeante du bipolarisme à dégonder.
Même si la véritable partie du congrès extraordinaire se joue toute entière sur les équilibres internes à la majorité, premier indice des différences que le congrès de Venise fera émerger : tellement que tous les organismes électifs montent d’une façon importante à cause de la poussée transversale de cordée territoriales et de différents courants.

Bertinotti en sort plus que jamais leader et toutefois il n’est pas du tout immune du conditionnement des autres composantes de la majorité. De toute façon, la campagne électorale aux élections européennes est centrée uniquement sur le secrétaire : sur la base de la position contre la guerre au Kosovo - d’autant plus avantageuse parce que les autres voix critiques Pdci et Verts ont continué à soutenir le gouvernement - on s’attend à un 5 - 6 % qui chasse les doutes sur la survie politique du Prc causés par la crise avec Prodi. C’est, au contraire, une débâcle. Refondation paye dans l’urne la rage du peuple de gauche : le maigre 4,3% est drainé par 1.515.328 voix. Selon tous les analystes, les voix perdues vont en partie au Pdci (2%) mais en plus grande partie vers le retrait qui caractérise et assèche la deuxième phase du gouvernement de centre-gauche de l’Olivier : celle où, face à une menace de grève générale de la part de la Cgil, palais Chigi menaçait en retour des démissions de l’exécutif.

Un résultat "lourdement négatif", reconnaît Bertinotti. Et qui accélère la réflexion sur l’inaptitude de l’organisation parti face aux transformations sociales, à la fragmentation mais aussi à la formation de consciences critiques autonomes, de fin de millénaire. Comme le démontre d’ailleurs le succès ouvertement anti-parti de Emma Bonino (avec un sensationnel 8,5% qui rendra fou tout le monde).

La poussée essentielle du vent de Seattle

Plus que de la scission cossuttienne, la "recherche" bertinottienne part de cette claque électorale. On convoque pour février 2000 une conférence d’organisation, mais les recettes pour une nouvelle agrégation des mille ruisseaux de la critique et de la rébellion de l’époque, de plus en plus réfractaires à la dimension idéologique, ne donnent rien. Quoiqu’en décembre 1999 le "vent de Seattle" apporte en don le nouvel ingrédient essentiel : la critique à la globalisation néo-libérale qui mettrait fin à l’histoire, une critique exercée dans le refus d’une idéologie spéculaire et dans le cœur libéral de l’Empire.

Recommence ainsi la confrontation interne à la majorité bertinottienne qui, à travers deux congrès, mène jusqu’à aujourd’hui. L’exigence d’une solution de continuité avec le "communisme du XX° siècle", qui ouvre ses grilles rouillées au protagonisme des générations nouvelles qui perçoivent cette histoire comme un mausolée oppressif, est mise noir sur blanc par Bertinotti dans un livre interview avec Alfonso Gianni. Le rêve d’une "gauche alternative" prend corps, mais dans les formes inachevées qui en caractérisent encore aujourd’hui les profils proposés de plusieurs côtés, parce qu’en même temps on confirme qu’on ne peut pas renoncer à la forme parti. Tenir ensemble cette dichotomie est, aujourd’hui encore, une des obstinées incohérences bertinottiennes : postmoderne autant que dévote à des totems trop chers.

D’ailleurs le parti doit encore sortir de sa dernière épreuve de survie : les politiques de 2001, auxquelles il se présente séparé du centre-gauche et donc sous la menace du "vote utile" outre celle du non vote punitif. On choisit la formule de la "non belligérance" : les candidats du Prc ne se présentent pas dans les collèges de la chambre des députés pour ne pas entraver ceux de l’Olivier, la représentation est limitée à la quote-part proportionnelle et aux sénateurs. Le prix est encore cher : 1.868.113 voix permettent d’atteindre 5%. Mais le million et 300 mille voix en moins par rapport à cinq ans auparavant sont un transvasement double vis-à-vis des 600.000 qui sont allés au Pdci.

Gênes rouvre la confrontation interne

La confrontation interne se ranime à la veille du G8 de Gênes et de la mobilisation du Forum social, qui, malgré le sang,n’est pas suffoquée. De Porto Alegre souffle forte et chaude l’expérimentation "participative" sur laquelle l’aire bertinottienne est en train d’investir fortement, l’organisation juvénile en tête, selon un protocole de présence pari thétique du parti dans le mouvement. C’est le terrain à l’intérieur duquel commencent à se renouer aussi les fils des relations à gauche : avec l’Arci plutôt qu’avec les Verts ou la gauche Ds, avec la Fiom et ensuite la Cgil. Aussi dans la botte, d’ailleurs, la reprise du conflit et du Prc souffle du Mezzogiorno : en mars 2001 il y a eu le Forum global sur l’information à Naples (malmené par le gouvernement de l’Olivier) ; mais c’est aussi l’année où on enregistre le progrès électoral qui des régions méridionales facilite le dépassement du barrage et l’augmentation contemporaine des inscriptions dans cette zone. Aussi une partie importante de la nouvelle génération viendra-t-elle de l’expérience de direction dans ces territoires - et ensuite des luttes de Melfi, Scanzano, Acerra.

Bertinotti indique, non sans le ton emphatique qui lui appartient, le "mouvement des mouvements" comme sujet nouveau de la transformation. La prise de distance de la part de l’Ernesto est explicitée en juillet justement sur les colonnes du Manifesto dans le signe d’une nouvelle proposition de la centralité de la contradiction capital-travail mise en discussion par les sirènes mouvementistes du secrétaire, ouvrant de facto la course vers le cinquième congrès de l’année suivante. Le secrétaire réplique en annonçant un "virage à gauche" du modèle d’organisation du parti qui doit s’ouvrir aux nouvelles instances en attaquant les "conservatismes" et les "résidus de stalinisme" par rapport auxquels il demande une coupure drastique, ouvrant par conséquent la voie à la légitimation de la dissension interne qui sera sanctionnée par le congrès.

On retrouve aussi la confrontation dans les votes au congrès. L’analyse du secrétaire en termine aussi sur le plan théorique avec le siècle passé, avec l’idée léniniste de la prise du pouvoir par une avant-garde, en s’en remettant à la dynamique des mouvements sociaux. "Rompre la cage du centre-gauche" devient la prémisse nécessaire à une régénération politique et sociale qui favorise la formation d’une "gauche d’alternative" non précisée. Mais c’est aussi rompre avec le stalinisme, avec le parti identitaire, avec la principauté exclusive de la contradiction capital travail et avec la façon dont elle a été déclinée par le Pci. Et avec déjà un embryon de réflexion sur la non violence, enclenchée par les polémiques suscitées par une manifestation pour la Palestine ouverte par un groupe qui endossait de fausses ceintures explosives. Relu aujourd’hui, c’était déjà un canevas du récent congrès. Relus aujourd’hui, les résultats des votes qualifiants de ce congrès sont étonnants pour leur analogie avec Venise : l’aire bertinottienne 59 %, l’Ernesto autour de 29%, la minorité trotskyste 13%.

C’est sur la base de cette proportion, reproposée aujourd’hui pour soutenir la participation à l’Union prodienne, qu’on observe dans l’aire du secrétaire comment avec les minorités de gauche le parcours est "commun pendant un bon bout et s’arrête ensuite au seuil de Palazzo Chigi", tandis qu’avec l’Ernesto la différenciation est de fond, en faisant abstraction du thème du gouvernement.

Sous certains aspects on pourrait donc voir que très peu de choses ont changé dans ces derniers deux ans et demi : sauf dans la militarisation interne des composantes respectives pour affronter les assises vénitiennes qui pour cela a rendu les différences plus visibles. Même sur le plan de la division géographique des rapports de force qui tiennent le leadership dans la ligne de mire : Bertinotti tire son consensus surtout de la Campanie, des Pouilles, de la Sicile, du Latium et de la Toscane ; les forteresses de l’Ernesto sont la Calabre et le Piémont ; l’Emilie est coupée en deux comme une pomme ; bien qu’équivalentes, la minorité de Erre est plus forte dans les aires métropolitaines et celle de Ferrando répartie sur le territoire. Et puis, l’esprit de solidarité du congrès ne cache pas le fait que même dans l’aire bertinottienne cohabitent deux cultures différentes (quoiqu’on ne puisse plus les mettre en relation avec leurs sigles de provenance), des aspirations personnelles légitimes et des conflictualités générationnelles ou traditionnelles.

Le dogme politique de la non violence

Mais le cadre extérieur a changé. La "superpuissance" du mouvement de la paix a poussé toutes les forces du centre-gauche et Prodi à se ranger contre la guerre en Irak et au repositionnement de pans entiers de la classe politique. Aussi parce que la menace représentée par Sergio Cofferati - en tant qu’interlocuteur et leader politique de ces procès - s’est auto désamorcée grâce à l’incapacité de l’ex leader de la Cgil de sortir de sa conception scolastique et de ses obédiences. La victoire de Zapatero en Espagne a renforcé la température du vent critique par rapport aux vertus thaumaturgiques de la domination occidentale (plutôt que du marché) et le même air continue à souffler de l’Amérique latine.

Entre un congrès et l’autre la refondation bertinottienne elle aussi a fait des pas ultérieurs, y compris un déchirement significatif avec une partie des mouvements Désobéissants à partir de la question de la non violence et pas seulement de celle-ci, si on considère l’éloignement des sièges de Strasbourg de Nunzio D’Erme, qui de quelque façon n’avait pas démérité en tenant compte de la contribution des préférences de Désobéissants dans le résultat des élections européennes 2004, où le Prc regagne 6,2% et presque 2 millions de voix. Un baptême de succès pour le nouveau contenant de la Gauche européenne, voulu fortement hors des seules limites communistes et comme expérimentation de formules d’agrégation non identitaires.

Mais le dogme de la non violence reste la principale clef de voûte pour lire presque tout le congrès vénitien. La proclamation de la désertion adressée par le secrétaire en premier lieu à son propre parti - "Venez me prendre parce que moi je n’ai pas d’armes" - plutôt qu’un virage condense en soi, en ce cas, une rupture : qui ne concerne certainement pas l’unité de mesure de la violence mais plutôt les formules de la démocratie, c’est-à-dire la césure définitive avec l’idée léniniste des avant-gardes, avec la "vexation" des minorités organisées par rapport à la majorité partagée ; et pour cela aussi, en partie, avec les veto des minorités internes aux majorités, légitimées (et presque encensées).

La véritable force qui est dehors

L’exercice de la non violence est aussi ce qui a rouvert les canaux du dialogue avec le reste du centre-gauche, qui a délimité la discriminante du refus de la guerre et de l’opposition à ceux qui la font. Donc, toujours autour de ce raisonnement, sur le plan des alliances politiques la façon d’organiser les négociations sur une base proportionnelle touche à sa fin et le rideau s’ouvre sur l’expérimentation des primaires - avec le succès bien assené de Vendola dans les Pouilles - et de la construction commune globale du programme (tandis que les tentations néo-centristes qui animent aussi des secteurs de la Fed réformiste ouvrent de facto la "cage du centre-gauche").

C’est le déchirement définitif avec un héritage encombrant de l’histoire communiste : aussi dans l’assomption d’arguments de la gauche radicale des années ’60 et ’70 - toujours déplorés par le Pci - par rapport au thème du travail et du non travail comme cela avait déjà été en relation avec les mouvements. D’ailleurs, c’est aussi l’accomplissement d’un virage cautérisé par la réflexion critique sur l’histoire communiste réalisée et approfondie avec Pietro Ingrao. Qui, justement à l’occasion du congrès, s’est inscrit, et on l’a beaucoup fêté, au Prc : en se faisant témoin du rapprochement, et peut-être ce n’est pas un hasard, par les tentatives de sortir à gauche des crises du Pci qui furent faites par ceux qui restèrent dans le Pds. Et qui se trouvent récemment être parmi les compagnons de route les plus assidus d’une Refondation dont la force est de plus en plus en dehors de ses frontières.

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