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Révolte et jacquerie, ou projet révolutionnaire ?

Publie le mercredi 13 mai 2009 par Open-Publishing
6 commentaires

La révolution improbable

À en croire l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, la France serait exposée à un « risque révolutionnaire ». Une perspective également prise au sérieux, quelques semaines plus tôt, par Henri Guaino, conseiller du chef de l’État, pour qui « cette crise déroule tous les chapitres d’un manuel d’économie. Prenons garde à ce qu’elle ne déroule pas aussi tous ceux d’un manuel d’histoire », spécialement la montée des extrémismes qui a suivi le krach de 1929.

Pour ceux qui redoutent une crise sociale et politique de grande ampleur, deux ingrédients seraient réunis : le terreau du chômage et de la détérioration des conditions d’existence, et des poussées de colère suscitées par un fort sentiment d’injustice. À certains égards, la montée de la violence à travers la multiplication des conflits sociaux et les atteintes aux biens (occupations, destructions...) et aux personnes (séquestrations) pourrait s’interpréter comme le signe annonciateur de possibles tornades.

Pourtant, une telle perspective semble, pour l’heure, hautement improbable. Pour au moins trois raisons :

D’abord, dans les démocraties stabilisées, dotées d’une culture politique forte, ce qui n’était pas le cas de la République de Weimar achevée en 1933 par Hitler, on n’observe pas de lien mécanique entre la montée du chômage et les crises politiques. Souvenons-nous du propos alarmé du président Pompidou, au début des années 1970 : « À plus d’un million de chômeurs, ce serait l’explosion ! ».

On a, hélas, dépassé les 3 millions en 1993 et le pronostic ne s’est pas vérifié. Cela est à mettre au compte du remarquable dispositif amortisseur de l’État-providence que bien des pays étrangers nous envient. Il fait, aujourd’hui, la preuve de ses vertus et de la justesse de l’adage selon lequel « l’assurance ne coûte cher qu’avant l’accident ».

Ensuite, un coup d’oeil sur l’histoire montre que les crises sociales majeures éclatent généralement dans des périodes économiquement ascendantes : la grande vague des grèves dures et longues de la fin XIXe - début XXe siècle s’inscrit dans le contexte de forte montée en puissance de l’industrie. Le Front populaire intervient sur fond de stabilisation du chômage, à partir du début 1935, et de confiance dans la reprise économique. Mai 68 coïncide avec le plus fort de la croissance. Le monde du travail sait bien qu’il serait la première victime d’une crise générale amplifiant les effets destructeurs de la dépression en cours.

Enfin, si l’on excepte les syndicats Solidaires, les grandes centrales ne sont pas prêtes à jeter de l’huile sur les foyers allumés çà et là. Une grève générale, d’ailleurs nullement dans leurs vues actuelles, relèverait à leurs yeux de l’aventure irresponsable. Si revendicatifs soient-ils, les syndicats ont, depuis les origines, toujours su marier un discours combatif et un sens aigu de la négociation et du compromis. D’ailleurs, rien n’indique dans l’opinion publique des frémissements en ce sens.

Le scénario le plus probable, sauf cataclysme économique, semble devoir être la multiplication des foyers locaux d’inflammation, de grèves « sauvages », comme on en a connu au début des années 1970 dans des formes plus dures qu’aujourd’hui, plus ou moins bien « coiffées » par les syndicats. Autant d’actions qui relèvent de la révolte ou de la jacquerie mais non du projet révolutionnaire. L’urgence est de faire du dialogue social, en amont des problèmes, l’instrument d’une démocratie sociale capable de contribuer à la résolution des difficultés actuelles.

Jacques Le Goff,
Professeur de droit public Faculté de droit de Brest.

 Ouest France du lundi11 mai 2009


 Jacques LE GOFF enseigne le Droit du travail, les Libertés publiques, les Politiques sociales et la Philosophie du droit.

Messages

  • Voir à ce propos pour une analyse plus approfondie :

    MANIFESTE POUR UNE ALTERNATIVE

    http://www.fedetlib.net/carnets/MANIFESTE001.PDF

  • “Le scénario le plus probable, sauf cataclysme économique,”

    Les seules revolutions effectives ont eu lieu en periode de cataclysme economique consecutifs a des guerres,famines etc..

    Nous (l’Occident developpé) sommes a un point d’inflexion historique ou le cataclysme économique n’est plus impossible....

    Le debat sur l’ALTERNATIVE CONCRETE CREDIBLE n’en est que plus urgent...

  • Un peu léger :

    1 le "mecanisme amortisseur" est de plus en plus bouffé par les coupures budgétaires et les privatisations

    2 le cataclysme économique est bien en place : c’est une crise systèmique, pas conjoncturelle, les dettes à éponger aujourd’hui sont issues d’une longue liste de crises remontant au Krack de 1987 qui avaient été surmontées en balancant de l’argent à tout va et en dérégulant pour cacher la faiblesse des garanties.

    IL N’Y AURA PAS DE REPRISE EN 2010, ni en 2011, il y aura un pourrissment jusqu’à l’éclatement d’une guerre de grande ampleur.

    3 le rôle de somnifére social des partis socio-démocrates et staliniens n’est pas assez bien évalué, ce sont eux qui font qu’en fin de compte, après quelques bravades sans lendemain, sans perspectives nettes, les masses "ne réagissent pas" comme vous dites.

  • Si on excepte Solidaires ?

    Ah bon ?

    Ils ont quitté l’intersyndicale et refusé de participer aux singeries des 26 mai et 13 juin ?

    J’étais pas au courant. :)

    Article intéressant ne serait-ce ce parti pris partisan et donc, très critiquable, dont je partage pas mal d’analyses....si on reste dans une perspective strictement économique et financière.

    J’irais même plus loin sur l’analyse de la situation.

    Qu’on le veuille ou pas pour le moment le travailleur français (public et privé) a majoritairement un emploi, des conditions de travail qu’il juge (à tort ou à raison) confortable ou disons, supportables, et un salaire qui lui permet bon gré mal gré de serrer les fesses en attendant que "ça " passe.

    Tout est dans ce "majoritairement". Et dans la perspective choisie.

    Si nous étions enfin dans une perspective politique, les choses seraient différentes, et cela il ne tient qu’à nous de le construire.

    LA POLITIQUE, voilà l’alliée des luttes de la classe dite ouvrière, du prolétariat et notamment des luttes des minorités (oui actuellement ce sont, mathématiquement, des minorités) de travailleurs sans emploi, pauvres ou mal payés.

    D’ailleurs, la lutte , le combat contre les békés et le résidu d’esclavagisme rampant en Guadeloupe, la question, qu’on le veuille ou pas, en filigrane, de l’indépendance (largement entendue) d’un peuple, notamment, constitue je pense la PERSPECTIVE politique qui renforce et rend possible le LKP, autant qu’elle fait défaut en métropole.

    Restons dans l’économie, dans la perspective économique, nous aurons la majorité des "autres" prolétaires ou alliés, "contre" nous, contre cette minorité d’exploités qui demande à être protégée et aidée.

    On ne fera rien alors, à part étouffer les révoltes (pour certains) ou ajouter de l’huile sur un petit feu (pour d’autres) qui ne fera pas "tâche d"huile".

    Et évidemment donc, malgré le vrai respect que j’ai pour le professeur Le Goff à certains égards, je ne partage pas sa conclusion sur l’urgence de faire du "dialogue social" un instrument "d’une démocratie sociale capable de contribuer à la résolution des difficultés actuelles."

    C’est pour le coup, non pas du rêve ni de l’espoir, mais de la pure utopie (et je ne suis pas une utopiste).

    Le "dialogue social" ne peut pas, n’est pas conçu pour être un instrument révolutionnaire.

    Alors peut être faut il trouver un autre concept, pour aider à créer une autre réalité (au risaue de me faire flinguer en tant que juriste je ne peux que constater le pouvoir performatif de certains énoncés !) et ce n’est pas une mince affaire mais il est urgent que nous recommencions à mener la bataille POLITIQUE, et donc, inévitablement celle des mots (et des concepts).

    Comme disait en 1932 le toujours fascinant Carl Schmitt :

    « Celui qui détient la vraie puissance définit aussi les mots et les concepts. Caesar dominus et supra grammaticam : César règne aussi sur la grammaire »

    in 1990 (1932), « Les formes de l’impérialisme dans le droit international », trad. J.-L. Pesteil, dans Du politique, Puiseaux, Pardès, p. 99.

    La Louve

  • Ensuite, un coup d’oeil sur l’histoire montre que les crises sociales majeures éclatent généralement dans des périodes économiquement ascendantes : la grande vague des grèves dures et longues de la fin XIXe - début XXe siècle s’inscrit dans le contexte de forte montée en puissance de l’industrie. Le Front populaire intervient sur fond de stabilisation du chômage, à partir du début 1935, et de confiance dans la reprise économique. Mai 68 coïncide avec le plus fort de la croissance. Le monde du travail sait bien qu’il serait la première victime d’une crise générale amplifiant les effets destructeurs de la dépression en cours.

    L’article de J. Le Goff est très intéressant. Mais je constate que c’est à chaque fois que l’économie va mieux qu’il y a explosion populaire. POURQUOI ? Peut-être bien que c’est parce que le patronat s’empiffre sous les yeux ébahis des travailleurs pour qui il n’y a pas un retour d’ascenseur !

    Et quel est le point commun avec aujourd’hui ? Ben que les patrons du cac40, surtout malgré la crise, n’hésitent pas à "s’empiffrer sous les yeux ébahis des travailleurs", à croire que la Crise n’est qu’un faux-prétexte pour délocaliser, faire des plans sociaux, afin d’envoyer un message fort à tous les salariés de France, de Navarre et d’ailleurs, qu’il va falloir revoir à la baisse nos prétentions, si nous voulons garder nos emplois ! Ca s’appelle ESCLAVAGE, travailleurs corvéables jour et nuit, 24/24, 7/7, comme une carte de paiement !

  • Propositions concretes alternatives :

    Alimentons l’Europe

    Lettre ouverte aux candidats aux élections européennes 7 juin 2009

    jeudi 14 mai 2009

    L’agriculture : un projet européen pour sortir des crises

    Objectif : 1 000 000 de paysans en plus et 2 000 000 d’emplois induits en Europe d’ici 5 ans

    Lettre ouverte du 11 mai aux candidats aux élections européennes du 7 juin 2009 à l’initiative des associations Minga et Nature&Progrès.......

    Les signataires :

    Frères des Hommes, AMAP Ile de France, Alliance PEC Rhône-Alpes (réseau régional des AMAP en Rhône Alpes), Alliance Provence (réseau régional des AMAP en Provence Alpes Côtes d’Azur.), Confédération Paysanne, Graines del païs, Biotropical, Liamm An Doaur (Terre de Liens Bretagne), Action Consommation, Réseau Ecobâtir, Fruits oubliés, ...

    http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article10567