Accueil > Sud Liban : dans les rues désertées de Tyr
Sud Liban . Face au bruit sourd des bombes, comme une presse métallique géante, se sent étrangement petit et vulnérable. Bloqués, les habitants qui n’ont pas fui la ville tentent de s’approvisionner comme ils peuvent.
de Pierre Barbancey, Tyr (Sud Liban)
Une nouvelle fois les habitants de Tyr ont été réveillés en sursaut, hier, alors que le jour n’était pas encore levé. À 3 h 30 une explosion secoue la ville tandis que toutes les lumières s’éteignent instantanément. Dans le noir, le vrombissement des hélicoptères indique leur progression sans que l’on sache vraiment ce qui se passe. Quelques minutes plus tard une longue rafale de mitrailleuse résonne. Puis plus rien, laissant les habitants dans une angoisse encore plus forte. S’agit-il d’une opération héliportée ? Les Israéliens entrent-ils dans la ville ? Impossible de le savoir. Pas question de sortir en raison du couvre-feu imposé depuis lundi, de 22 heures à 6 heures. Dans la matinée, le but du raid est visible : un immeuble qui abrite les oeuvres sociales de l’ayatollah Fadlalah - longtemps leader spirituel du Hezbollah - a été touché par deux missiles. « Dégât collatéral », un homme qui entrait dans Tyr en scooter au même moment, en provenance du Sud, a été fauché par la 22-millimètres d’un hélicoptère.
Des cargaisons de mort
Au-dessus des collines qui entourent Tyr, les nuages s’amoncellent. Des nuages naturels mêlés à la fumée noire des bombardements incessants le long de la frontière. De la plaine côtière le sentiment est effroyable. On entend les avions et puis, soudain, un bruit sourd comme une presse métallique géante qui écrase un objet, un bruit qui se répercute sans perdre de sa force et vous frappe en pleine figure. Dans les rues désertées, on se sent alors étrangement petit, totalement vulnérable. La menace israélienne de frapper au Sud Liban tout véhicule en mouvement, considéré comme transport d’armes pour la résistance libanaise, n’est pas à prendre à la légère. Les frappes israéliennes se rapprochent chaque jour davantage. Hier on apercevait même les F16 remonter dans le ciel en lâchant des leurres électromagnétiques, après avoir largué leurs cargaisons de mort à l’entrée de la ville.
Près de la caserne des sapeurs-pompiers, ils sont quelques jeunes assis sur des marches, sirotant une Almaza, la bière libanaise qui se boit glacée. Ils sont unanimes dans leur soutien à la résistance, même si leur coeur penche plus en faveur de l’autre formation chiite, Amal, créée par l’imam Moussa Sadr. À l’instar de Faouzi, sans doute regonflé par le discours télévisé prononcé la veille par Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah : « Malgré l’agression israélienne qui se poursuit, nous, les habitants du Sud Liban, continuons la résistance, comme nous lfait dans le passé », affirme-t-il, sans qu’on sache vraiment si lui-même y participe réellement. « Nous sommes tous derrière Moussa Sadr (sic) et Hassan Nasrallah. Nous continuerons jusqu’au bout. Tout ce qu’a fait Israël ne change rien. Les Israéliens ne nous ont jamais fait peur. De toute façon, c’est l’ennemi éternel. »
S’appuyant sur les difficultés de l’armée israélienne à progresser et sur les pertes officielles annoncées par Tel-Aviv - plus de 80 soldats seraient déjà morts, ce qui est énorme -, Faouzi poursuit : « Nous continuerons à n’importe quel prix. Militairement parlant, nous sommes en train de gagner parce que nous sommes toujours là, après un mois de combats, et parce que la puissance militaire d’Israël en a pris un sacré coup. »
Sur ce qui était, il n’y a pas si longtemps, un marché luxuriant, ils sont maintenant seulement trois marchands. Quelques cageots de pommes de terre le disputent aux cagettes de tomates. Des citrons pas très beaux trouvent difficilement preneur. Les plateaux d’oeufs, en revanche, se sont arrachés. Depuis deux jours il n’y en avait plus dans la ville. Jamal Halawi, guide touristique en temps normal, est venu faire quelques emplettes avec le peu d’argent dont il dispose. Malgré l’annonce d’une importante offensive terrestre, il a décidé de rester à Tyr, avec sa femme et ses cinq enfants. « Je ne vais pas partir parce qu’ici c’est mon pays, dit-il. Je ne vais pas le laisser aux Israéliens. Bien sûr, on a peur. Mes enfants sont effrayés. Mais j’ai besoin de ma terre. Et puis, où aller si on part ? Même en 1982, au moment de l’invasion israélienne, je n’ai pas quitté ma maison. » Il a aussi suivi l’allocution du chef du Hezbollah, la veille. « Nasrallah a dit la vérité, estime-t-il. On est à 100 % avec lui. » Il partage surtout l’idée du déploiement de l’armée libanaise dans le Sud Liban, proposée par le premier ministre Fouad Siniora et acceptée par le Hezbollah. « Si l’armée se déploie à la frontière, peut-être que ça va aller », espère Jamal. Espoir encore lorsqu’il dit : « J’espère que ça va bouger diplomatiquement. Peut-être que Chirac va faire quelque chose, parce que la France, c’est la grand-mère du Liban. »
Une offensive du Hezbollah
Venues de Metoulla dans le nord d’Israël, les colonnes israéliennes avaient progressé dans la nuit de mercredi à jeudi de sept kilomètres en territoire libanais et sont parvenues aux portes de Khiamn, dans le sud-est du Liban. Le Hezbollah a lancé hier, en fin de matinée, une offensive contre les forces israéliennes pour tenter de les repousser. Plusieurs blindés israéliens - 14 selon le Hezbollah - ont été détruits lors de cette contre-attaque qui se poursuivait dans l’après-midi. D’âpres combats se déroulent également, dans le secteur de Marjayoun, entre l’armée israélienne et le Hezbollah avec apparemment de « lourdes pertes » du côté israélien. À Beyrouth, l’aviation israélienne a largué des tracts exigeant que la population de la banlieue sud quitte les lieux.
Côté aide humanitaire, les inquiétudes sont grandes. La mairie de Tyr a fait savoir qu’elle n’avait plus que pour quelques jours de rations à distribuer, en raison du blocus imposé par Israël à tous les convois. Les hôpitaux arrivent à court de vivres, de fioul - seul moyen de faire fonctionner les générateurs - et de matériel médical dans le Sud Liban, alors que le durcissement des combats provoque un afflux de blessés. Les agences humanitaires de l’ONU avaient suspendu mardi leurs livraisons d’aide au sud du Liban, après qu’Israël eut averti qu’il bombarderait « tout véhicule circulant au sud de la rivière Litani ». Hier, le Programme alimentaire mondial (PAM) a affirmé « avoir besoin d’une cessation des hostilités des deux parties pour permettre l’aide humanitaire. Notre opération de secours ressemble à un malade privé d’oxygène [...] si nous ne pouvons fournir nos vivres pour aider quelque 100 000 personnes coincées au sud de la rivière Litani [...]. La destruction de 70 ponts et le déni des « garanties de sécurité » par les forces de défense israéliennes paralysent les efforts du PAM et de l’entière communauté humanitaire ».