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Travailler peut nuire gravement à votre santé

Publie le mercredi 10 septembre 2008 par Open-Publishing
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Travailler peut nuire...

Par Jérôme Skalski

C’est à partir de « nombreux témoignages recueillis lors d’enquêtes – dans les secteurs de l’industrie nucléaire, sidérurgique, automobile, électronique, mais aussi dans le secteur des services » que le livre d’Annie Thébaud-Mony, Travailler peut nuire gravement à votre santé, publié aux éditions La Découverte, s’attache à sortir de l’ombre ce qui « demeure constamment un « angle mort » de la santé publique » à savoir les atteintes à la vie, à la santé et à la dignité des travailleurs ».

Ainsi que l’explique son auteur, « se situant en référence aux droits fondamentaux que définit le Code de procédure pénale, [ce livre] cherche à identifier les rapports de domination et d’exploitation à l’oeuvre dans les situations et analyse comment les stratégies de résistance, individuelles et collectives, informelles ou organisées, sont constamment en butte à des formes impitoyables de répression ».

Sortir de l’ombre ce qui demeure constamment un « angle mort » de la santé publique

Pari tenu au fil des sept chapitres de cet ouvrage qui démontrent en outre, par le fait, l’impunité totale des « responsables », « au nom des règles impitoyables du capitalisme néolibéral », tour à tour « qu’il s’agisse de l’homicide, du délit de la mise en danger d’autrui, de la sous traitance des risques, des atteintes à la dignité, de la non-assistance à personnes en danger, du délit d’expérimentation humaine dans une recherche sous influence et de la délocalisation de la mort au travail vers des pays dont les travailleurs sont plus que jamais les « damnés de la terre » ».

Le travail tue blesse et rend malade

« Dans toutes les régions du monde, souligne Annie Thébaud-Mony, au nom de la compétitivité, le travail tue, blesse et rend malades des milliers d’hommes et de femmes qui n’ont d’autres choix pour gagner leur vie que cet emploi dont ils savent qu’il peut gravement nuire à leur santé. Aujourd’hui, en France, selon les chiffres de l’assurance-maladie et du ministère du Travail, le travail tue, blesse et rend malade, à raison de deux morts par jour dus à des accidents de travail, de huit morts par jours dus à l’amiante, de deux millions et demi de salariés exposés chaque jour à des cocktail de cancérogènes, de millions d’hommes et de femmes constamment poussés aux limites de ce qu’un être humain peut supporter, moralement et physiquement. » Mais s’interroge la sociologue : « Est-ce le travail qui tue ou ceux qui, autour des tables ovales des conseils d’administration, décident son organisation ? »

...au nom de la compétitivité

Il se révèle en effet une « contradiction » flagrante à la source de cette situation. D’une part, le fait que « les savoirs sientifiques et médicaux permettent aujourd’hui d’identifier de très nombreux facteurs d’altération de la santé par le travail » et d’autre part « la généralisation de la mise en danger délibérée d’autrui dans les choix d’organisation et de conditions de travail ainsi que dans les politiques publiques les rendant légitimes ».

« Cette violence tire sa légitimité de choix politiques d’organisation productive et d’organisation du travail »

Qu’est-ce qui fabrique socialement cette « violence » de la maladie ou de la mort « acceptable » au travail ? Annie Thébaud-Mony l’explique sans fard : « Cette violence tire sa légitimité de choix politiques d’organisation productive et d’organisation du travail que gouvernants et décideurs, publics et privés, imposent comme inéluctable. Le plaidoyer pour l’éternel retour de la croissance économique occulte la violence des rapports de domination dans le travail. Il ne s’agit plus d’une opposition frontale entre patrons et ouvriers mais d’une mise en concurrence des travailleurs entre eux. Ceux issus de générations ouvrières ayant conquis par leurs luttes le droit à la sécurité économique, à la vie, à la santé, à la dignité sont mis en concurrence avec ceux d’autres continents, d’autres pays, là où les dirigeants mondiaux des firmes multinationales exploitent sans vergogne les travailleurs pauvres, adultes et enfants, hommes et femmes, interdits de droits. Quand une usine textile en France, quand Renault ou Volkswagen licencient des milliers de travailleurs belges, où leurs dirigeants vont-ils trouver les moyens de nouveaux « gains de productivité » sinon dans cette possibilité d’exploiter ou de sous-traiter l’exploitation des travailleurs chinois, indiens, brésiliens ou bulgares, avec la complicité des autorités locales, la plupart du temps dans les conditions du capitalisme primitif du XVIIIème siècle ? Cette mise en concurrence des travailleurs du monde entier masque les contradictions et conséquences dévastatrices de la politique économique néolibérale qui constitue la « mondialisation », notamment l’accumumlation des impasses techniques d’un développement industriel dédié exclusivement à la réalisation de profits immédiats pour les dirigeants d’empires industriels démesuré. »

Si le livre d’Annie Thébaud-Mony relève de l’enquête sociologique, il n’en reste pas moins que sa conclusion se veut militante et pratique. Il ne se contente pas de dresser un tableau rigoureux de la réalité sociale mais, en définissant ses lignes de force, s’y engage vigoureusement : « L’enjeu essentiel , conclue-t-il en effet, est de faire pression dans le champ social et politique pour le respect des droits individuels et collectifs à la vie, à la santé, à la dignité, ceux des travailleurs d’aujourd’hui mais aussi ceux des générations futures, lourdement menacées par un développement industriel et financier ordonné aux seules fins de l’enrichissement à court terme d’une minorité. »

Annie Thébaud-Mony, Travailler peut nuire gravement à votre santé, La Découverte/poche, Paris, 2008. 10 euros.

Sociologue et directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Annie Thébaud-Mony dirige le Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers professionnels (GISCOP 93) à l’université Paris-XIII. Porte-parole de Ban Asbestos, réseau d’associations qui luttent au niveau internationale contre l’utilisation de l’amiante elle est aussi l’auteur, entre autres, de La reconnaissance des maladies professionnelles en France. Acteurs et logiques sociales, La Documentation française, Paris, 1991 ; Précarisation sociale, travail, santé, IRESCO, INSERM-CNRS, Paris, 1997 ; Organisation du travail et santé dans l’Union européenne, Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de Vie et de Travail en Europe, Dublin, 2002 et du Dossier "Travail et santé" dans Problèmes politiques et sociaux, n° 883, La Documentation française, Paris, 2002.

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