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Les coulisses de Erika : "De l’argent contre l’absence de poursuites !"
Publie le samedi 10 février 2007 par Open-PublishingNous publions ici in-extenso l’entrevue du journaliste de la Chaine France 3, Willy Colin co-auteur de l’enquête-polémique qui concerne l’Erika et sa cargaison. Un entretien sans complaisance à l’égard de la compagnie Total !
– En quoi ce procès est-il une première ?
W.Colin : C’est la première fois dans l’histoire de ce type de catastrophes qu’un affréteur, en l’occurrence TOTAL, est poursuivi pénalement pour des faits de pollution marine et de mise en danger de la vie d’autrui. Toute la chaîne du transport maritime se retrouve sur le banc des accusés. Quant aux parties civiles présentes, elles sont plus de 70. Ce sont des collectivités territoriales, des professionnels des associations environnementales et des collectifs citoyens. Il leur faudra à tous beaucoup d’énergie et de pugnacité, pour obtenir réparation. Les préjudices - économique, écologique et en terme d’image ont été estimés à plus d’un milliard d’euros.
– Total est visé en premier lieu. Mais on sait que la compagnie a déjà dépensé quelques 200 millions d’euros pour des chantiers de dépollution, le pompage des cuves de l’Erika, et le traitement des 260 000 tonnes de déchets générés par la pollution. Matériellement, la compagnie n’a-t-elle pas déjà payé ? Doit-on s’attendre à de nouvelles indemnisations ?
W.Colin : La compagnie joue la montre depuis 7 ans. « Pour le politiquement correct, il fallait que nous soyons mis en examen », c’est en ces termes que les responsables de Total Fina ont interprété la décision de la juge d’instruction Dominique de Talancé. Ensuite la compagnie n’a pas manqué d’initiatives pour faire reculer l’échéance du procès. Elle s’est aussi employée à limiter le nombre des parties civiles concernées. Et ce, dés les premières semaines de la catastrophe en passant des accords avec certaines collectivités, dont les côtes ont été souillées par le pétrole. Exemple à la Turballe, en Loire Atlantique, l’enrochement de Pen Bron de plusieurs centaines de mètres a été démonté et remplacé entièrement avec des crédits venant de Total. Cette commune s’est affaiblie juridiquement. Aujourd’hui, elle n’est plus en mesure de réclamer quoi que ce soit, d’ailleurs elle ne s’est pas constituée partie civile ! Autre exemple, le label Huitres Vendée Atlantique malmené à cause de la marée noire a négocié avec Total la prise en charge financière de campagnes publicitaires. En toute discrétion, des émissaires de Total, se sont donc rendus au chevet des victimes pour discuter et envisager avec elles un règlement à l’amiable : De l’argent en échange de l’absence de poursuites !
– Quelle devrait être la défense de Total durant le procès ?
W.Colin : Total va essayer de nier toute responsabilité dans le naufrage de l’Erika en jouant la carte du vice caché. La batterie d’avocats du pétrolier va s’évertuer à rejeter la faute sur le RINA, l’organisme italien qui a donné au navire son bon pour le service autrement dit son permis de navigation. Visé aussi par les défenseurs de Total, le gestionnaire nautique du pétrolier qui n’aurait pas été assez regardant sur les réparations effectuées au niveau du pont du navire, c’était quelques mois avant le naufrage. Le rapport du BEA Mer a conclu d’ailleurs à la casse en deux du tanker en mettant en exergue ces réparations réalisées au rabais. Sauf que TOTAL dispose de son propre service de contrôle pour affréter les pétroliers. Celui-ci est accusé de négligence-manifeste dans le choix de l’Erika… ».
En bénéficiant de cette vitrine que constitue le procès, les victimes de la marée noire vont insister pour que des mesures fortes soient prises en faveur d’ un véritable assainissement des pratiques en matière de transport maritimes.
– Une question, pourtant essentielle, ne va pas être abordée durant ce procès : celle de la nature du pétrole transporté par l’Erika, et notamment sa nocivité. Qu’en est-il ?
W.Colin : Durant notre enquête, un des experts ayant participé à l’instruction judiciaire nous a affirmé que l’analyse certifiant le produit de l’Erika se trouve être beaucoup trop sommaire. Elle ne permet pas d’affirmer à 100% qu’il s’agissait bien d’un fioul lourd N°2. Une ou plusieurs substances (additifs), qui n’entrent pas dans la composition d’un fioul lourd classique, peuvent être présentes dans ce produit. Ces substances étrangères suffiraient à faire de ce fioul lourd n°2, un déchet. Or, elles n’ont jamais été recherchées - hormis une seule, le chlorure -. Pour en savoir plus, il faudrait engager un collège d’experts durant de longs mois, ce qui représenterait un coût de plusieurs centaines de milliers d’euros.
Aujourd’hui, des bénévoles et des spécialistes ayant participé aux opérations de dépollution se plaignent de maux divers. Tout ceci pose un problème de santé publique. A l’époque, aucun suivi sanitaire n’avait été organisé. Récemment, un appel à témoignages du collectif anti-marée noire de Saint-Nazaire et de l’association des bénévoles de l’Erika a permis d’identifier des situations dramatiques. Les inquiétudes de ces bénévoles ont été également relancées par la parution d’une étude de l’ENSA de Toulouse. Ce laboratoire agronomique a rappelé le caractère cancérogène du produit transporté par l’Erika et accusé les autorités d’avoir minimisé les risques. « La cargaison de l’Erika est un sujet-tabou que la compagnie Total n’a pas envie de voir surgir au milieu des débats. Depuis plusieurs semaines, le géant pétrolier, via ses avocats et conseils, tente de tordre le cou à ces informations. Notre travail consiste à rétablir la vérité. Cette vérité appartient à celui qui l’a cherche, point à celui qui prétend la détenir ».
Source : Web France 3 "section ouest". Page spéciale sur le site de la chaîne. Le lien :http://ouest.france3.fr/dossiers/28...