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Censure ?

Publie le dimanche 9 mai 2010 par Open-Publishing
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de Nadjia Bouzeghrane

La France n’en a pas fini avec son passé colonial, y compris lorsqu’il s’agit de fiction cinématographique. Il est significatif qu’un film, avant qu’il ne soit achevé et diffusé, puisse cristalliser une polémique et un tollé de l’ampleur de ceux qui entourent le film de Rachid Bouchareb Hors-la-loi qui représentera l’Algérie au Festival de Cannes. Le procès d’intention déclenché par un député qui n’a même pas vu le film montre combien la relation de ce passé reste taboue. La seule évocation des violences et exactions de la puissance coloniale par une création artistique devient une affaire politique, franchissant le seuil de l’Assemblée nationale et jusqu’à l’Elysée.

En effet, la présidence de la République a demandé à ce que le film lui soit visionné avant sa présentation officielle aux jurés et au public du Festival de Cannes. Est-ce là une démarche courante quand il s’agit d’un film s’inspirant de l’histoire ? Des pressions ont été exercées sur les chaînes de télévision publique, sur les responsables de la sélection officielle du Festival de Cannes pour bloquer le film. Les nostalgiques de « l’Algérie française » ont de beaux jours devant eux. Quarante-cinq ans après l’interdiction de La Bataille d’Alger ou le Petit soldat, l’esprit revanchard, alimentant la « guerre mémorielle », est toujours vivace.

Qu’une partie de la société française soit accrochée à la défense d’une colonisation « positive », c’est une réalité connue. Ce qui est plus inquiétant et problématique, c’est lorsque des responsables politiques de la majorité actuellement au pouvoir s’en réclament et relaient la campagne contre un film. C’est le cas du secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, Hubert Falco, qui, se départissant de la réserve découlant de sa fonction, affiche publiquement son parti pris.

Ce que nous, Algériens, devrions retenir c’est que si les dénégationnistes et occultistes de l’histoire coloniale sont à l’affût de tout ce qui peut aller à l’encontre de leur « vérité », d’autres Français, défenseurs d’une histoire sans tabou ni travestissement d’aucune sorte, d’une reconnaissance sereine par l’Etat français de son histoire, sont tout aussi prompts à réagir. Ainsi que l’ont montré les signataires du texte – parmi lesquels des historiens spécialistes de l’histoire coloniale de renom – publié par le Monde dans son édition datée du vendredi 7 mai, qui considèrent que « le travail d’un réalisateur (…) n’a pas à être jugé par l’Etat » et que « l’évocation d’une page d’histoire tragique peut aussi bien passer par la fiction, avec ses inévitables raccourcis, que par les indispensables travaux des historiens ». 

Autrement dit, la création, sous quelque forme qu’elle se présente, est libre et ne saurait être assujettie à un visa de l’Etat ou d’un groupe politique ou de pensée. De quoi nous faire réfléchir nous-mêmes sur l’écriture de notre part d’histoire et de création d’inspiration historique.

http://www.elwatan.com/Censure,158560

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