Accueil > Irradiation : un cocktail explosif dans nos assiettes

Irradiation : un cocktail explosif dans nos assiettes

Publie le jeudi 3 mars 2005 par Open-Publishing

Samedi 5 mars à 15h : manifestations simultanées en France devant les usines d’irradiation des aliments.

de Guillaume Lamy

Santé. Les aliments stérilisés par source radioactive remplissent nos assiettes. Pourtant, les études sur leur toxicité sont controversées. Une manifestation est prévue samedi, devant l’usine Ionisos, à quelques kilomètres de Lyon, l’un des sept centres d’irradiation français.

Des cuisses de grenouilles aux rayons gamma, des ailes de poulet au cobalt 60, des fraises et des haricots au césium 137 (le cobalt 60 et le césium 137 sont deux éléments radioactifs) ... non, il ne s’agit pas de cuisine-fiction, encore moins de gastronomie extraterrestre. Nos assiettes en sont pleines et on en consomme tous les jours. Sans le savoir. Bon appétit !

Tous ces aliments ont un point commun : ils sont traités par rayonnements ionisants. C’est la technique dite de l’irradiation, encore appelée ionisation. Développée à l’origine par la NASA pour nourrir les astronautes dans un environnement confiné, elle a ensuite été développée industriellement par un lyonnais, à la fin des années 70. Autrement dit, avant d’être vendus dans les rayons des supermarchés, les aliments prennent, pendant quelques heures, un bain de “soleil” devant une source hautement radioactive bleuté : le cobalt 60 ou le césium 137 . La société Ionisos, dont le siège social est implanté à Dagneux, dans l’Ain, est l’un des rares centres à irradier toutes sortes de produits - on en compte sept en France et 167 dans le monde. Du matériel médico-chirurgical aux matières plastiques, en passant par les cosmétiques et les composants électroniques, tout y passe. L’agro alimentaire compris. Chez nous, ce sont principalement les cuisses de grenouilles congelées, quasiment toutes importées d’Asie et ionisées à 100% , les volailles, les abats de poulets et les épices (cumin, gingembre, curry, poivre, etc).

Mais bon nombre de fruits et légumes provenant de pays tropicaux et subtropicaux ont de grandes chances d’être irradiées délibérément. En fait, l’ionisation permet de ralentir la dégradation des aliments en empêchant la germination des bulbes et des tubercules, en éliminant les insectes et les micro-organismes (bactéries, levures, moisissures) et en asphyxiant les vers parasites dans les viandes blanches, comme les salmonella ou les listeria.. A première vue, l’irradiation peut donc apparaître comme un moyen efficace de lutter contre les intoxications alimentaires.

L’irradiation modifie la structure moléculaire des aliments....

Mais pour de nombreuses associations de consommateurs et de scientifiques, l’amélioration des qualités hygiéniques des aliments n’est pas une fin en soi. Ils pointent du doigt la potentielle toxicité des aliments irradiés. Ainsi, pour sensibiliser le public, une dizaine d’associations, dont Attac, Confédération paysanne, Biocoop, Action Consommation et le réseau Sortir du nucléaire, organisent, samedi prochain, une manifestation devant les grilles de Ionisos pour protester contre cette banalisation. “Au-delà du fait que Ionisos manipule des matières radioactives, nous ne savons pas quel est l’impact des aliments irradiés sur l’organisme humain. Pour cette raison, nous demandons l’arrêt définitif de l’irradiation volontaire des aliments” explique Stéphane Lhomme, porte-parole de Sortir du nucléaire.

Chez Ionisos, ça sent le roussi. Les responsables de la société sont sur le qui-vive. La gendarmerie et la police en alerte rouge. Pas question de courir le moindre risque : huit mètres carrés de Cobalt 60 sont entreposés dans l’enceinte de l’usine. De quoi contaminer une région entière pendant des siècles.. La technique, bien au point, impressionne : à peine une heure de rayonnement gamma et toute la structure moléculaire d’un aliment est “cassée”, sans que ce dernier change d’apparence. Résultat : l’aliment n’abrite plus le moindre organisme vivant. “L’aliment est mort sur la plan biologique, les tissus sont pulvérisés, l’ADN détruit” explique Roland Desbordes, scientifique à la Criirad **, l’association qui a publié les cartes officielles des vraies retombées de Tchernobyl en France. Il ajoute que les cides aminés et les vitamines sont également tuées - “notamment A, B1, B6, B12, C, E, K, PP”. Bref, manger des ananas de Guinée au mois de mars risque de ne vous apporter qu’un effet psychologique. Son irradiation permettra d’allonger considérablement sa durée de conservation. Comme l’explique Esmilaire, directeur industriel de Ionisos France,“c’est l’idéal pour les distributeurs qui peuvent vendre leurs produits plus longtemps, en repoussant la date limite de consommation”.

Les rats développent des cancers du colon

Malgré l’agrément de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Union européenne pour irradier certains aliments, des craintes subsistent. Les aliments irradiés créent de nouvelles molécules, dont les effets sont encore très peu connus. On les appelle les cyclobutanones. En 2002, une étude franco-allemande réalisée sur des rats a montré que ces “composés peuvent être considérés comme des promoteurs dans le processus de la cancérogenèse intestinale” **. Les militants anti-irradiation ont donc pris cette étude comme base de leurs revendications. Mais chose surprenante, Eric Marchioni, professeur à la Faculté de pharmacie de Strasbourg et l’un des auteurs de l’étude, que nous avons contacté rectifie le tir des associations : “les cyclobutanones produits par les aliments ionisés ne sont pas dangereux en soi. Ils sont un facteur aggravant. En l’état actuelle de nos connaissances, on peut dire qu’il n’y a aucune conséquence sur la santé”.

Et de conseiller : “entre un aliment ionisé et un autre, choisissez l’ionisé, c’est plus sûr”. Un argument que conteste néanmoins Roland Desbordes, directeur de la Criirad, comme beaucoup d’autres scientifiques. “Du moment où l’on observe des réactions chez le rat, dont le patrimoine génétique est similaire à 99% à celui de l’homme, on peut se poser des questions... même s’il y a un pas entre le rat et l’homme. On ne peut donc pas conclure à l’inoccuité de l’irradiation des aliments pour les humains”. Même au sein de l’Union européenne, les avis divergent. Un rapport de la commission de l’environnement de l’Union européenne, publié après l’étude franco-allemande, recommande en effet de soumettre à examen scientifique “une recherche sur les effets à long terme”, les cancers mettant en effet plusieurs années à se déclarer. Qui a raison ? Qui a tort ? Les aliments ionisés que nous mangeons tous les jours sans le savoir sont-ils nocifs pour l’homme ? Dans le doute, le principe de précaution vaudrait d’être appliqué sur le sujet. C’est en tous cas l’idée de la charte de l’Environnement, votée lundi au Parlement, à Versailles. En attendant, l’obligation d’étiqueter les aliments irradiés comme tels est n’est pas appliquée - exception faite des cuisses de grenouilles congelées. Les distributeurs sont réticents à estampiller leurs produits “irradiés” ou “ionisés”. Le consommateur, lui, commence à avoir les crocs.

Guillaume Lamy

* Criirad : commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité

** Etude toxicologique transfrontalière destinée à évaluer le risque encouru lors de la consommation d’aliments gras ionisés. Dominique Burnouf, Henry Delincée, Andrea Hartwig, Eric Marchioni, Michel Miesch, Francis Raul, Dalal Werner. Karlsruhe 2002.


Encadré 1

Aliments “contaminés” et aliments “irradiés”

Les aliments “contaminés” contiennent des particules radioactives. Les produits radioactifs peuvent provenir de gaz et d’aérosols radioactifs, de fuites, du recyclage de matériaux contaminés, de retombées d’essais nucléaires, de stockage de déchets nucléaires, etc. L’ingestion d’aliments contaminés provoquent des lésions au sein des tissus qui peuvent être à l’origine de mutations celullaitres et ainsi favoriser l’apparition de cancers ou de maldies génétiques. Les aliments “irradiés” sont soumis à des rayons ionisants afin de détruire la flore pathogène. Ils ne deviennent pas radioactifs mais leur structure est profondément boulversée. Pour l’ehure, leur toxicité n’est pas prouvée. leur inocuité non plus. Pourtant, on en mange tous les jours..

Encadré 2

Le Codex Alimentarius adoptera-t-il la radioactivité ?

Le Code alimentaire international, plus connu sous le nom de Codex Alimentarius, fixe les normes alimentaires mondiales. D’ici la fin de l’année, une révision révolutionnaire pourrait être adoptée et changer durablement nos modes de consommation et nos comportements. Il s’agit d’autoriser la commercialisation d’aliments contaminés par les installations nucléaires qui fonctionnement normalement. La norme ne sera plus l’absence de contamination mais une contamination considérée comme “acceptable”. Aujourd’hui, la règle est de tolérer une telle commercialisation qu’en situation post-accidentelle et pour une durée maximum d’un an. “Ces normes seraient celles adaptées au lendemain de Tchernobyl, sans réserve de temps, c’est scandaleux !” tempeste Roland Desbordes, directeur de de la Criirad (commision de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité). L’enjeu est donc de taille. L’union euroépenne doit donner son avis en avril à Rotterdam.
G.L

Encadré 3

Les aliments ionisés en France

L’Union européenne autorise l’ionisation de certains produits : “les herbes aromatiques, les épices et les condiments végétaux”. Mais l’irradiation est également autorisée pour certains aliments, destinées à l’alimentation directe des consommateurs et pouvant être contaminées par des souches de salmonella ou de listeria : viande de poulets, oeufs, fromages au lait cru, cuisses de grenouilles, crevettes. En France, cela concerne les herbes aromatiques surgelées, les oignons, l’ail, les échalotes, les légumes et les fruits secs, les flocons et germes de céréales pour produits laitiers, la farine de riz, la gomme arabique, la volaille, , la viande de poulet, les abats de poulet, les cuisses de grenouilles congelées, le sang séché, le plasma, les coagulats, les crevettes congelées décortiquées ou étêtées, les blancs d’oeuf, la caséine, les caséintaes.

LYON CAPITALE du 2 mars 2005 -


Appel national pour l’interdiction de l’irradiation des aliments

Grande mobilisation nationale le samedi 5 mars 2005 à 15h devant les 7 centrales d’irradiation des aliments pour dire

"NON à l’irradiation des aliments"

Nous, citoyens, consommateurs, travailleurs, organisations de défense de la santé publique, de protection de l’environnement et luttant pour une économie plus juste et plus solidaire, affirmons notre refus de l’irradiation des aliments et demandons l’interdiction de ce procédé.

La production et la consommation d’aliments irradiés représentent de nombreuses menaces pour la santé publique (perte de nutriments et de vitamines dans les aliments irradiés, augmentation des risques de cancer, de malformation, et de carences nutritionnelles) et pour l’environnement (multiplication des risques liés au transport et à l’utilisation de substances hautement radioactives dans les centrales d’irradiation des aliments).

L’irradiation des aliments se généralise sans aucun débat démocratique, et cela alors même que ce procédé touche au quotidien de tous les citoyens : à notre alimentation, à notre santé, à la qualité de notre environnement et à la survie de l’économie locale, et notamment de l’activité agricole. En fait, l’irradiation des aliments est utilisée avec deux objectifs principaux :

 Réduire les coûts de production en contournant les normes sanitaires : l’irradiation permet d’éliminer en bout de chaîne certaines bactéries et insectes qui infectent les aliments. Ce procédé est utilisé prioritairement par les industries dont les pratiques sanitaires sont douteuses. Des aliments produits et transformés selon des normes sanitaires rigoureuses n’ont pas besoin d’être irradiés. l’irradiation, partout où elle est pratiquée, encourage la détérioration des conditions d’hygiène en amont de la chaîne ;

 Allonger la durée de conservation des aliments pour permettre le stockage et le transport sur un temps plus long, et ainsi supprimer le dernier obstacle à la circulation mondiale des produits, à la globalisation des échanges agricoles et alimentaires.

Ces deux usages n’ont d’intérêt ni pour le dynamisme de nos économies locales ni pour les consommateurs. Bien au contraire : ils encouragent la délocalisation de nos agricultures et de l’industrie de transformation qui y est liée, contribuent à la dégradation des conditions de production des produits alimentaires et empêchent les consommateurs de juger de la fraîcheur et de la qualité des aliments achetés.

Face à cette situation, nous exigeons :

 l’interdiction de l’irradiation des produits alimentaires ;
 l’interdiction de la commercialisation d’aliments irradiés.

Dans les plus brefs délais, nous demandons :

 Un dispositif d’information transparent pour tous les habitants des communes où les centrales d’irradiation des aliments sont situées, tout particulièrement lorsque les centrales utilisent des substances radioactives (conditions de stockage, transport, mécanisme en cas d’accident,...) ;

 Le respect de la loi concernant l’étiquetage des aliments irradiés ou contenant des ingrédients irradiés, commercialisés en France.

 Pour que la loi soit respectée, les autorités publiques doivent mettre en place des programmes d’analyses et d’enquêtes sur les aliments irradiés commercialisés illégalement. Ces enquêtes devront viser tout particulièrement les catégories de produits pour lesquelles la Commission européenne a repéré un grand nombre de fraudes (fines herbes, crustacés, cuisses de grenouilles, champignons,... 29% des compléments alimentaires testés dans l’Union européenne en 2002 étaient irradiés) (Voir « Rapport de la Commission sur le traitement des denrées alimentaires par ionisation pour l’année 2002 » COM(2004) 69 final ) ;

 l’application de mesures de sanction effectives contre les entreprises qui ne respectent pas la législation. Les entreprises de distribution qui commercialisent illégalement des produits irradiés devraient être soumises à des amendes substancielles. Par ailleur, le rapport de la Commission européenne sur le traitement des denrées alimentaires par ionisation pour l’année 2002 signale que « Il est apparu que certaines entreprises qui sont établies en France et qui appliquent le traitement par irradiation ne satisfont pas aux dispositions en matière d’étiquetage des denrées et ingrédients alimentaires. Les autorités compétentes françaises ont donc rappelé à ces entreprises les dispositions en question ». Ces entreprises devraient se voir immédiatement retirer leur agrément ;
 
La signalisation de tous les aliments irradiés ou contenant des ingrédients irradiés distribués dans la restauration, et tout particulièrement dans les cantines scolaires.

Nous appelons à une grande mobilisation nationale le samedi 5 mars 2005 devant les 7 centrales d’irradiation des aliments pour dire "NON à l’irradiation des aliments"

Liste des organisations signataires :

 Action Consommation
 Les Amis de la Terre - France
 Association Léo Lagrange pour la Défense des Consommateurs
 ATTAC - France
 Biocoop
 Confédération Paysanne
 CRiiRAD
 Fédération Nature et Progrès
 Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures (MDRGF)
 Public Citizen
 Réseau Sortir du Nucléaire

Tous les détails sur : www.sortirdunucleaire.org

Contact presse (Réseau “Sortir du nucléaire”) : 06 64 100 333

Attention : la 7ème manifestation (Berric, Morbihan) est déplacée (suite à la fermeture de l’usine d’irradiation fin 2004) vers celle de Pouzauges (Vendée).