Accueil > La presse allemande de droite réclame la démolition du mémorial soviétique

La presse allemande de droite réclame la démolition du mémorial soviétique

par Christoph Dreier

Publie le mardi 22 avril 2014 par Christoph Dreier - Open-Publishing
1 commentaire

Lundi, les journaux Bild et Berliner Zeitung (BZ) du groupe de presse allemand de droite Springer ont soumis au parlement allemand une pétition appelant à la démolition du mémorial soviétique situé dans le parc du Tiergarten à Berlin. « A une époque où les chars russes menacent l’Europe libre et démocratique, nous ne voulons pas de chars russes à la Porte de Brandebourg ! » déclare la pétition. Deux chars originaux T-34 font partie de ce mémorial.

Peter Huth, rédacteur en chef de BZ et directeur adjoint de Bild, a déclaré qu’en raison des événements en Ukraine, « la crainte des chars russes qui ont renversé Hitler et qui quelques années plus tard se sont tournés contre les manifestants allemands » était revenue. « Des unités de l’armée russe ont marché jusqu’à la frontière de l’Ukraine et menacent la liberté d’un Etat souverain », écrit-il. « Les derniers chars russes à Berlin doivent partir ! »

Ce mémorial avait été établi en 1945 dans le parc du Tiergarten de Berlin pour honorer les soldats de l’Armée rouge tombés lors de la Seconde Guerre mondiale. Il rend hommage tout particulièrement aux 80.000 soldats qui avaient péri lors de la libération de Berlin, et dont certains sont enterrés sur place.

L’argumentation monstrueuse de Huth va au-delà de la campagne médiatique qui se déroule en ce moment. En général, les médias soutiennent le coup d’Etat mené par les fascistes en Ukraine ainsi que le renforcement des troupes de l’OTAN en Europe de l’Est, et dépeignent la Russie comme l’agresseur. Mais avec Huth, il s’agit d’une tentative de réhabilitation du fascisme allemand.

Avec la prise de Berlin, le 2 mai 1945, l’Armée rouge avait porté un coup mortel à la dictature nazie qui avait terrorisé la classe ouvrière allemande, assassiné 6 millions de Juifs et noyé l’Europe dans le sang. Elle avait mis fin à une guerre qui avait été lancée dès le début dans le but de liquider physiquement une vaste section de la population soviétique et tous les Juifs d’Europe.

C’est un fait historique incontestable que dans la lutte contre l’impérialisme allemand, l’Union soviétique a assumé de loin la responsabilité la plus lourde parmi les alliés. Le régime nazi fut finalement vaincu par l’Armée rouge et les travailleurs et paysans de l’Union soviétique. Quatorze million de soldats perdirent la vie dans des luttes héroïques. Et au moins tout autant de civils soviétiques furent victimes des nazis.

Les chars T-34 que Huth aimerait retirer du mémorial jouèrent un rôle crucial dans la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie. Malgré la dégénérescence stalinienne du jeune Etat ouvrier, l’Union soviétique fut en mesure de lancer un programme d’industrialisation sans précédent grâce à l’économie planifiée. Dès 1942, le T-34 fut construit par milliers et dépassa de loin les chars allemands du moment.

La diffamation du char soviétique T-34 en tant que « char russe » est un flagrant mensonge historique. Le régime de Poutine ne représente en aucune façon l’ancien Etat ouvrier et l’Union soviétique ne se limitait pas à la Russie d’aujourd’hui. Dans le combat pour Berlin, il y avait non seulement des Russes, mais aussi des Ukrainiens, des Biélorusses et beaucoup d’autres nationalités qui perdirent la vie.

Il y a, derrière cette demande de démolition d’un monument antifasciste, la tentative de réécrire l’histoire et de réhabiliter le national-socialisme. Seuls des groupes fascistes et des radicaux d’extrême-droite avaient jusqu’ici souillé des mémoriaux soviétiques et appelé à leur destruction. Maintenant, la campagne est menée par l’un des plus puissants groupes médiatiques en Allemagne.

En cela, la maison de presse Springer n’est pas seule. En février dernier, le magazine Der Spiegel publiait un long article dans lequel des historiens de droite s’exprimaient en faveur d’une révision fondamentale de l’histoire allemande. Sans la moindre critique, on y laissait Ernst Nolte s’exprimer et faire porter la responsabilité de la Deuxième Guerre mondiale à la Pologne et à la Grande-Bretagne. On y citait les propos de l’historien Jörg Baberowski de l’université Humboldt à Berlin disant que « Hitler n’était pas mauvais. »

Baberowski a systématiquement oeuvré ces dernières années pour présenter l’Union soviétique comme le véritable agresseur dans la Deuxième Guerre mondiale. Dans son livre Verbrannte Erde (Terre brûlée), publié en 2012, il affirme que Staline voulait faire la guerre à l’Allemagne. « Staline aimait la guerre de destruction », écrit Baberowski en concluant, « Hitler était mal préparé à mener une guerre contre un régime pour qui la violence était une seconde nature et dont les soldats étaient volontiers prêts à y recourir. »

La révision de l’histoire et la banalisation du national-socialisme qui a trouvé son expression la plus nette à ce jour dans cet appel lancé pour la démolition du mémorial soviétique est directement liée à la résurgence du militarisme allemand.

Pour faire la guerre à nouveau, l’élite dirigeante allemande doit minimiser les crimes qu’elle a commis durant la Deuxième Guerre mondiale. Depuis que le président Gauck, le ministre des Affaires étrangères Steinmeier et la ministre de la Défense, von der Leyen ont annoncé en début d’année la fin de la « politique de la retenue militaire », un assaut systématique a été entrepris contre les convictions antifascistes et antimilitaires qui sont profondément enracinées dans de vastes couches de la population.

Pour encercler et déstabiliser la Russie, le gouvernement allemand a collaboré avec Svoboda, les héritiers du collaborateur nazi Stepan Bandera, lors du coup d’Etat en Ukraine. La maison de presse Springer, jadis l’un des plus fervents défenseurs de la Guerre froide, a soutenu cette alliance et permis au politicien de l’opposition, Vitaly Klitschko, qui jouit du soutien de la Fondation Konrad Adenauer, d’assurer une chronique régulière dans les colonnes du quotidien Bild. Le BZ, le Bild et le journal Die Welt cherchent à se surpasser les uns les autres dans leur propagande de guerre contre la Russie.

Mais la propagande de guerre n’a eu que peu d’impact jusqu’ici. Une écrasante majorité de la population allemande est opposée aux actions du gouvernement allemand en Ukraine tout comme aux interventions de l’armée à l’étranger.

Au début du mois, le rédacteur en chef adjoint du service politique de Die Welt, Klaus Christian Malzahn, s’étaint plaint dans Welt am Sonntag que l’OTAN devenait de plus en plus impopulaire. « Une majorité de 53 pour cent s’est prononcée contre les opérations de contrôle et de surveillance par l’OTAN de l’espace aérien des partenaires d’Europe de l’Est afin de parer à d’éventuelles attaques russes », a rapporté Malzahn avant de lancer une offensive contre cette majorité. « De toute évidence, beaucoup de citoyens allemands ordinaires [deutsche Michel] croient », écrit Malzahn que la république fédérale peut survivre indéfiniment « sans intervention militaire hors zone et sans d’agaçants engagements de l’OTAN ».

C’est dans ce contexte que survient la campagne menée par Springer contre le mémorial soviétique. La collaboration du gouvernement allemand avec les forces fascistes en Ukraine qui vont de ville en ville détruire les statues de Lénine et terroriser les travailleurs a causé la rupture du barrage. Avec l’appel à démolir le mémorial soviétique, le journal Bild tente de mobiliser les éléments les plus arriérés contre les sentiments anti-guerre de la majorité de la population.

http://www.wsws.org/fr/articles/2014/avr2014/alle-a19.shtml

Messages