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Nantes : Période faste pour les expulsions

par Isabelle Rimbert

Publie le vendredi 15 août 2014 par Isabelle Rimbert - Open-Publishing

La violente expulsion du squat de la Moutonnerie fin juillet a laissé une centaine de migrants à la rue, pour la plupart des demandeurs d’asile, régularisés ou sans papiers. Sans toit ni ressource, ils se trouvent dans une situation alarmante de détresse et de précarité. Mais cela ne semble pas concerner les pouvoirs publics : pour la préfecture, il est urgent de ne rien faire, avec l’espoir secret que les migrants, chassés de lieux en lieux, vont finir par miraculeusement disparaître du paysage idyllique nantais. Quitte à les y aider un peu par l’acharnement policier.

Face à l’incapacité et l’inhumanité criante de l’Etat, des associations et des militants tentent d’apporter renfort et soutien aux personnes expulsées. Comme dans les locaux du Gasprom* en plein coeur de la ville.

Dans les locaux du Gasprom, Nantes.

Milieu de matinée, dans la salle d’accueil du Gasprom. Une salle vitrée, donnant sur la rue : en face, une place vide, un resto fermé, grand soleil et silence d’août.

A l’intérieur, une dizaine de personnes squattent des chaises, des canapés. Certains dorment, d’autres discutent, écoutent la radio ou s’accrochent à leur téléphone portable comme à une balise de détresse. Derrière une table, Evelyne, militante de l’asso collégiale "un toit pour toutes et tous", tape la discussion avec ceux qui passent, autour d’un café.

Au mur, des affiches. L’une d’elles représente la carte de France avec cette phrase : "Terre d’accueil ? Pour que le mythe soit réalité". On en est encore loin, visiblement : "ici, précise Evelyne, il y a des gens d’Afrique du Nord, d’Erythrée, du Soudan, du Tchad. Ils sont sans papier ou demandeurs d’asile. Certains sont sensés être logés en CADA (centre d’accueil de demandeurs d’asile), mais il n’y a actuellement plus aucune proposition, et, après l’expulsion par l’Etat de leur lieu de vie (le squat dit de la Moutonnerie), ils se retrouvent SDF. Pour eux, le quotidien est très compliqué : les structures d’aides sociales sont vite saturées, et les organismes tels que Resto du Coeur ou Croix Rouge ne suffisent pas et les possibilités de logement sont quasi nulles."

Ils survivent à coups de bons valables pour 10 repas, mais dans certains endroits, sans papier, pas de possibilité de manger. Heureusement, même en août, des militants essaient de faire face et de parer à l’urgence.

Résistance et solidarité

"Alf", 49 ans, est bénévole de longue date : il vient au Gasprom depuis 1985. "La période d’été est toujours propice aux expulsions, car il y a moins de militants présents pour réagir. La plupart des migrants ici sont des hommes seuls. Si il y avait des familles, peut être que les autorités bougeraient". Pour lui, l’amélioration de la situation passe par l’action, et par la visibilité. "Des solutions ? Il y a plein de logements vides ici, mais la préfecture préfère laisser les gens dormir dans la rue en espérant les voir disparaître, et la répression et les provocations policières sont constantes. il n’y a aucune perspective. A part la résistance et la solidarité".

La solidarité, pas vraiment le fort de la mairie qui s’est abstenue de soumettre la liste des logements vacants à ses collègues de la préfecture. Les délégations de migrants et de militants reçues par la mairie et la préfecture les 7 et 8 août n’ont obtenu aucune solution pérenne pour la mise à l’abri des expulsés. Concernant la procédure d’expulsion de la Moutonnerie le 30 juillet (il s’agissait d’une ordonnance sur requête), la préfecture a répondu que tout s’était déroulé "dans les normes".

Un point de vue que ne partage pas Me Ferrand, avocat en charge du dossier, joint par téléphone : " il s’agit d’une procédure autoritaire extrêmement brutale. Ils ont utilisé une ordonnance sur requête pour avoir les mains libres. On est à la limite de l’escroquerie au jugement : normalement une ordonnance sur requête n’est possible que si il n’y a pas moyen d’identifier les personnes installées dans le lieu. Or des personnes étaient parfaitement déclarées comme habitantes, et identifiées auprès de la mairie. C’est une décision exécutoire, qui peut donc prendre effet rapidement, sans prévenir personne et c’est ce qui s’est passé : les bulldozers sont arrivés et certaines personnes n’ont même pas eu le temps de récupérer leurs affaires. C’est une procédure de lâches, un classique déjà utilisée à NDDL".

Bereha, 35 ans, fait partie des rares femmes que compte le groupe de migrants. Assise près de la table,elle masse ses chevilles en grimaçant, visiblement épuisée. " Lors de l’expulsion de la Moutonnerie, j’ai pu récupérer quelques affaires, mais ce n’est pas le cas de tous : certains ont perdu le peu qu’ils avaient, et d’autres encore n’ont même pas pu récupérer leurs papiers ! Quand j’ai demandé à la police où aller, ils m’ont répondu "c’est pas notre problème, vous n’avez qu’à rentrer chez vous. Je suis réfugiée politique d’Erythrée. Depuis bientôt deux ans, je suis ici, à la rue. Avec des solutions pour 2 nuits, par-ci, une nuit par-là, proposées par le 115. J’ai un contact au CCAS mais l’assistante sociale est en vacances… J’ai des problèmes de reins, de circulation, je suis vidée physiquement et moralement, car rien ne change. En tant que réfugiée politique, j’ai une carte de séjour, mais le problème, c’est le logement. Ma situation ici n’est pas meilleure qu’au pays. Mais ici les gens parlent beaucoup de démocratie, de droits de l’homme. Où sont-ils ? L’administration nous renvoie d’une structure d’accueil à une autre et puis à la rue. Nous sommes traités comme des animaux. "

"L’autonomie ? L’état français nous la refuse"

David, 32 ans, vient de RDC. "Après l’expulsion de la Moutonnerie, J’ai dormi deux nuits par terre devant la préfecture avec une quarantaine de personnes. Vendredi, à 5h du matin, la police nous a encerclés et nous a dégagés un par un avec contrôle d’identité. Les personnes sans papier ont été embarquées, il y a eu 9 GAV, 2 sont passés en procès lundi dernier pour outrage, et une personne est encore en centre de rétention à Rennes. Moi, je suis arrivé ici en février 2012, j’ai fait une demande de papiers et d’asile qui n’a pas abouti. Je me suis installé au squat du Radisson, jusqu’à sa fermeture en mai. Et depuis l’expulsion de la moutonnerie, c’est encore pire pour trouver où dormir et où manger chaque jour."

Pour lui comme pour les autres migrants, c’est un véritable parcours du combattant. " Mais bon, je garde la pêche et je continue à me battre". Il sourit. "Je suis courageux, polyvalent, je demande simplement d’avoir la possibilité de bosser pour m’en sortir : j’ai vraiment envie de vivre ma vie ici, à Nantes. Mais pas de papiers, pas de droits ! On est bloqué, réduit à l’état de mendiants. L’autonomie ? L’Etat français nous la confisque. Est-ce qu’on a le droit de vivre dans ce monde ou pas ? Non : les frontières et les Etats nous refusent ce droit. On ne veut pas être des assistés, juste avoir une autre alternative que la rue. Beaucoup sont au bout du rouleau. Ce système nous bouffe toute énergie".

Amélie, militante, vient prêter main forte régulièrement : Elle renchérit : "C’est désespérant, car non seulement, aucune solution n’est envisagée par la préfecture et la mairie pour ceux qu’elles ont mis dehors, mais en plus la police et la justice ne cessent de leur mettre des bâtons dans les roues . Et les migrants se heurtent à un mur d’indifférence, quand ce n’est pas à des remarques rabaissantes ou des insultes racistes de la pat des flics. Sur Nantes, pas loin d’une dizaine de squats ont été expulsés depuis le mois de juin, sans parler de ce qui se passe à Calais. Ca expulse à tout-va, un peu plus chaque été. Il faut replacer ça dans le contexte plus général d’une répression accrue..."

Se mobiliser et se battre

Entre deux coups d’oeil à son téléphone mobile, David attrape puis repose un sac en plastique rempli de sandwichs :" j’ai amené ça pour tout le monde, mais j’ai même pas faim". Il bidouille son téléphone qui crache soudain un air de musique enjoué. Son visage s’illumine d’un coup : "C’est de la musique du pays, Congo, Kinshasa ! ". Sur la table, une brochure touristique incongrue attire l’oeil : "Nantes et le littoral : spécial belles villas du bord de mer". Hassan, 40 ans, vient d’Algérie. Il est en France depuis 13 ans, n’a toujours pas de papiers. Bénévole, il passe du temps au Gasprom et propose des traductions arabe-français : "il y a très peu de régularisation pour les migrants, ils n’ont aucun statut. C’est un système global qui est pourri, celui de la CE. La situation ne fait qu’empirer, les gens sont laissés à la rue et crèvent de faim dans l’indifférence générale." Quelle piste envisager dans de telles conditions ? "Il faut que les gens se politisent et revendiquent leurs droits. Seul, on ne peut rien changer, on a besoin d’agir dans la globalité".

Pour Me. Ferrand, "la ville de Nantes participe activement au mouvement général qui consiste à vider les squats et lieux d’accueil pour les migrants. Ca fait partie d’une politique urbaine globale. Les prochains sur la liste sont des lieux culturels cpmme les ateliers artistiques autogérés de Bitche, pour lequel on a obtenu un report de procès au 11 septembre."

Lottie, 30 ans, militante estime que le salut ne peut pas venir seulement de la voie légaliste : "dans le collectif d’asso et de militants impliqués avec les migrants, on voit de plus en plus de personnes qui viennent avec la culture du squat. Quand tu vois que l’Etat attaque et se défausse, qu’il n’y a rien à attendre, que les personnes se font dégager une fois, deux fois, trois fois, tu cherches une alternative. Il y a une nécessité d’asseoir un discours politique fort. Les migrants sont en mode survie. C’est aussi à nous, les assos, les militants, les occupants de squats, à porter politiquement cette question : comment se réaproprier les espaces nécessaires pour ceux qui en ont besoin ?" Pour elle, c’est clair : "Par la réquisition populaire."

Comme elle, plusieurs militants rêvent d’une mobilisation permettant de faire émerger des formes d’autogestion émancipatrices pour les exclus de la belle ville de Nantes. Mais en auront-ils le temps, face aux matraques de la police, aux pelleteuses l’Etat et au rouleau compresseur judiciaire ?

* Gasprom : association de solidarité avec les immigrés.

Source : http://nantes.indymedia.org/articles/29962

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