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Quelques réflexions après la mort de Beauty, jeune femme nigérienne expulsée illégalement puis décédée à Turin

par UJFP

Publie le dimanche 15 avril 2018 par UJFP - Open-Publishing

Par Georges GUMPEL.

Il y a quelques jours, à l’occasion de l’assassinat crapuleux de Madame Mireille KNOLL, il a été rappelé à juste titre, que cette pauvre femme était une rescapée de la Rafle du Vel-d’Hiv de juillet 1942.

Cette rafle si souvent évoquée, mais réduite le plus souvent à la seule responsabilité de la police parisienne, de l’arrestation des juifs apatrides dans la capitale et en banlieue, leur transfert au vélodrome du Vel-d’Hiv. Peu ou rien sur la suite de ce crime organisé. Un trou de mémoire, comme le défini Suzanne CITRON (Le mythe national.)

Un trou de mémoire qui nous permet aujourd’hui, de regarder avec effarement, cette vidéo diffusée par Médiapart, nous faisant participer en direct à l’arrestation par la police française, dans un train à Menton, d’une femme enceinte, accompagnée de ses enfants et reconduite à la frontière italienne.

Scène d’une rare violence, qui nous interroge et nous invite à réfléchir et à nous demander comment est-ce possible encore aujourd’hui qu’une pareille infamie soit possible et acceptée.

En réalité, rien là n’est exceptionnel. Simplement, ces pratiques criminelles font partie de notre héritage politique depuis Vichy, jamais correctement traitées et le plus souvent masquées.

Pratiques aujourd’hui inenvisageables, à l’encontre de certains groupes humains, applicables de nouveau à l’encontre d’autres groupes humains, plus particulièrement s’agissant d’hommes, de femmes et d’enfants noirs, venus de pays africains où règnent la famine et l’oppression. Survivants de traversées meurtrières de la Méditerranée.

Rien donc de bien exceptionnel, si ce n’est cette vidéo – produit de notre modernité – qui nous délivre en temps réel les images du crime, prélude à de nouveaux « irréparables » (Jacques CHIRAC – 17-07-1995.)

Pour mémoire, la rafle du Vel’d’Hiv : ce sont 13152 juifs apatrides arrêtés par la police française à Paris et en banlieue, à partir des fiches établies par André TULARD (Sous-Directeur à la Direction des Étrangers et des Affaires Juives à la Préfecture de Police de Paris.)

 3118 hommes, 5919 femmes et 4115 enfants.
 4952 personnes sans enfant, sont directement transférées à Drancy et déportées dans les jours suivants.
 8157 personnes dont les 4115 enfants, sont enfermées au Vel d’Hiv.
 Entre le 19 et le 22 juillet, toutes sont transférées par les autorités françaises en wagons à bestiaux dans les camps du Loiret de Pithiviers et de Beaune La Rolande.
 2244 adultes et 2300 enfants à Pithiviers, 1259 adultes et 1815 enfants à Beaune la Rolande.

Fin juillet 1942, dans le compte-rendu du Conseil des Ministres tenu à Vichy, on peut lire :
« Dans une intention d’humanité, le Chef du Gouvernement a obtenu, contrairement aux propositions allemandes, que les enfants, y compris ceux de moins de 16 ans, soient autorisés à accompagner leurs parents. »

Les adultes, parents des enfants enfermés dans ces camps, les femmes, dont certaines étaient enceintes, sont déportés directement à Auschwitz entre le 31 juillet et le 7 août ; et les chefs de camps pour faire bonne mesure et sans l’avis des Allemands, ajoutent quelques enfants dans ces convois, le plus souvent, sans juger bon de prendre les mesures nécessaires à leur identification.

Le 25 juillet 1942, le Directeur de la Police Municipale de Paris, avise le service commercial de la SNCF que les factures relatives au transport des personnes des camps de Pithiviers et de Beaune la Rolande doivent être adressées au Ministère de l’Intérieur.

Le 10 août, les nazis reçoivent par télex, la réponse de Berlin, indiquant que, suite à la demande des autorités françaises, les enfants juifs apatrides peuvent être déportés avec les adultes dans des proportions adéquates.

Sur la notion de proportions adéquates, Eichmann précise : « il ne doit en aucun cas y avoir de convoi exclusivement composé d’enfants. »

Quelques jours après, tous les enfants des deux camps du Loiret, sont transférés à Drancy et déportés dans les jours suivants.

A Pithiviers et Beaune la Rolande il n’y a désormais plus aucune victime des rafles des 16 et 17 juillet.

Ce qui autorise le 25 août 1942, le Chef de la Police aux Questions Juives en zone occupée, d’adresser au Préfet du Loiret, la note suivante :
« J’ai fait établir à votre nom, à la date de ce jour, un mandat de 20.000 francs. Cette somme vous est remise afin de vous permettre de récompenser le personnel civil des cadres d’organisation et de surveillance des camps de Pithiviers et de Beaune la Rolande qui récemment ont été mis à contribution de façon exceptionnelle. »

A travers ces échanges administratifs, nous voyons que nous ne pouvons pas réduire l’histoire de cette rafle, au seul rôle de la police parisienne, dans les arrestations des 16 et 17 juillet 1942.

En réalité, tout l’appareil de l’État est impliqué, jusqu’au départ de mi-août 1942 du dernier convoi où sont les enfants.
L’appareil d’État restera totalement impliqué jusqu’à la Libération, dans la destruction des 65500 autres juifs dont 7500 enfants.

Raul HILBERG note dans son livre La destruction des juifs d’Europe (Chapitre l’Héritage de Vichy) :
« les Français firent mieux que les Allemands en matière de spécialisation des services administratifs affectés à l’entreprise de destruction des juifs, aidés en cela par leur longue tradition de centralisation administrative.

Il indique également :
« Le système administratif français sort intact de la tourmente, rien n’est vraiment changé dans le fonctionnement de l’État et de sa haute fonction. Les grands corps de l’État restent inchangés. »

Ce système administratif que l’on voit à l’œuvre aujourd’hui :

 pour interdire légalement ou non, l’accès au territoire au mépris des normes internationales, à des hommes, des femmes et des enfants en quête d’humanité.
 Pour organiser des chasses à l’homme dans les montagnes frontalières franco-italiennes.
 Pour organiser des opérations de police inhumaines à Calais et à Paris. Entre Vintimille et Nice.

Nous retrouvons aujourd’hui cette permanence de la barbarie d’État, appliquée sans état d’âme par ses représentants politiques, administratifs, militaires et policiers.

L’arrestation de Beauty avec ses enfants, leur expulsion violente en Italie, révèlent tout cela.

Elle révèle également, l’indifférence de l’État – hier comme aujourd’hui - au sort des personnes expulsées ou déportées, une fois la frontière franchie.

Il n’y a pas eu de marche blanche pour Beauty, aucune mobilisation politique, aucune protestation du CRIF et de la LICRA. Normal.

Telle la route de la soie, reliant dans l’Antiquité la Chine aux rives de l’Europe, une nouvelle route est en train de s’inscrire entre Tel Aviv, l’Europe occidentale et la France. Une route par où transite du matériel de surveillance et de répression « made in Israël » ultra sophistiqué, mais surtout une route virtuelle, véritable caution morale pour l’Occident, du racisme, de la négrophobie, et de la négation de l’Autre.

Cette route là, passe aujourd’hui par Vintimille, par Menton et Nice, poursuit son chemin, infeste la France toute entière, autorise de nouveau l’irréparable.

On ne jette plus quelques enfants juifs dont on a supprimé l’identité, dans des wagons à bestiaux, plus simplement, on falsifie ou on détruit l’état civil des enfants noirs, dans le centre de rétention qui ne dit pas son nom, de la gare de Menton-Garavan, avant de les reconduire en toute illégalité à la frontière.

Peut-il être acceptable de nier aux Migrants leur humanité, tout en imposant dans le même temps, jusqu’à la nausée « un devoir de mémoire » à ce point réducteur ?

Georges GUMPEL
Enfant juif, j’ai franchi la ligne de démarcation clandestinement, fin mars 1942, près de Vichy.
Enfant caché, 1943-1944, fils de déporté – Convoi du 11 août 1944 – mort à Mathausen.
Partie civile au procès de Klaus Barbie.

Le 11 avril 2018

source : http://www.ujfp.org/spip.php?article6312

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