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NOUS SOMMES EN GREVE RECONDUCTIBLE

Publie le dimanche 8 juin 2003 par Open-Publishing

Nous sommes enseignants ,nous sommes même fonctionnaires et nous sommes en grève reconductible et nous appelons l’ensemble des autres travailleurs à se mettre en cessation d’activité et à paralyser un système de production devenu socialement injuste et économiquement inefficace, et qui nous rabat sur une lutte des classes que l’on croyait circonscrit à l’avant-dernier siècle.
Quelle est la nature de notre mouvement ?
A l’évidence et n’en déplaise aux sociologues du signifiant, il n’y a pas de malaise de l’école, du système éducatif ou des enseignants ou des parents ; ou encore des élèves et de la massification de l’enseignement ; il y a plutôt à la base, un mal profond de la société qui s’exprime à travers les acteurs de l’enseignement, mais pas seulement.
L’enseignement est à la pointe du combat parce que ,face à la lente décomposition du politique, l’enseignement a été le premier à donner du sens à la surface des choses et à restaurer la chose publique dans un débat trop longtemps confisqué par une techno-structure auto-suffisante et auto-désignée, complètement aliénée aux intérêts tentaculaires de ce que Félix Guattari appelait « le Capitalisme mondial intégré ».
A chaque crise grave, on ne cesse de rabattre le social sur un signifiant complètement inadapté ou autistique : il s’agit d’une crise identitaire de la jeunesse ( mai 68), ou bien d’une manipulation de l’extrême-gauche ( le projet Devaquet en 86) ou bien encore d’une remise en cause des élections (la décentralisation, les retraites).
On assiste à chaque fois au retour du refoulé : la justice sociale.
La justice sociale est comme une citadelle qu’il faut assiéger sans cesse jusqu’à ce que son socle éclate de lui-même : l’égalité sociale, l’égalité des droits entre immigrés et français, l’égalité entre le Nord et le Sud ,l’égalité entre les nantis et le peuple, l’égalité partout et toujours en aspiration, voilà autant de chienlits à abattre !
Que voulons-nous ?
Et qui songe à nous demander ce que nous voulons, sûrement pas les experts de toutes sortes qui ne cessent de nous quadriller en unités de consommation, en smicards, en erémistes, erémastes, emplois-jeunes, fonctionnaires, primo-accédants à l’emploi, pré- retraitables, immigrés, beurettes, femmes -à-temps partiel, foyer mono-parental, foyer fiscal -à- une part, foyer fiscal exonéré etc…
Nous ne savons pas ce que nous voulons, dites-vous, mais au moins nous savons ce que nous ne voulons pas.
Nous ne voulons pas être ce que nous ne voulons pas :des unités consommables traversés par des pulsions télévisuelles, et nous ne voulons pas être agités par des tenseurs psychiques artificiels à visée cathodique, et les archétypes publicitaires n’habitent pas nos esprits.
Nous voulons rendre aux citoyens sa liberté, sa dignité et son esprit critique.
Nous voulons la ré-appropriation de l’espace publique afin que l’on puisse poser la seule question qui vaille en ce moment : qu’est-ce que l’Etat ?
L’Etat doit-il renoncer aux conditions historiques de son être, avec toutes les prérogatives qui en découlent, pour redevenir une entité politique et organique de second ou de troisième ordre, comme au temps des capétiens ?
Si les attaques perpétrées partout contre l’Etat atteignent leurs objectifs, alors plus rien ne pourra garantir l’intérêt général et le bien commun en vue d’un certain bonheur collectif.
Déjà le pilotage économique des vingt dernières années ,qu’il soit d’inspiration libérale ou social-libérale, a montré ses limites et son absence d’ambition en matière de régulation du social.
L’enjeu de la grève actuelle est de faire émerger le sens véritable des réformes et jamais il n’est autant apparu que les réformes ne sont que des variables d’ajustement modulées en fonction de la stratégie d’ensemble du « capitalisme mondial intégré » ( passage du GATT à l’OMC, traité de Maaschtrischt et pacte de stabilité, écrasement de l’Irak etc…) Un Etat démocratique et social n’a sa place qu’en tant qu’anti-thèse du marché car le marché est une force obscure et totalitaire au service du plus fort et depuis « Les temps modernes » de la fordisation du monde, il ne cesse de se renforcer et d’imposer partout son imaginaire uni-dimensionnel :devant les écrans du monde entier, l’univers se révèle comme un théâtre de la cruauté qui met en scène la lutte du plus fort pour dominer et celle du plus faible pour subsister. Le règne animal et la télé-réalité ne sont en eux-mêmes que le redoublement de l’idée que l’existence est une lutte perpétuelle à mort dénuée de tout tragique. L’existence est une masse informe composée d’individus voués à la concurrence et à l’auto-destruction mutualisée.
L’esprit des réformes actuelles s’inscrit totalement dans la logique uni-dimensionnelle et ultra-libérale du marché global, il vide l’Etat de tout son sens politique et le transforme en organiseur du marché.
Une telle désintégration de l’Etat en général et de l’Etat social en particulier est inacceptable et ce, dès lors que sa programmation en est structurée selon les points suivants :
Les services publics deviennent des services commerciaux à forte valeur ajoutée en application de l’A.G.C.S. (Accord Général sur le Commerce des Services) :
 Education (Education Nationale)
 Energie (E.D.F.)
 Télécommunication (France Télécom)
 Transport (S.N.C.F.,Air France)
 Santé (Sécurité Sociale livrée à la Fédération Française des Sociétés d’Assurance)
Réforme des statuts de la fonction publique et réduction du budget de l’Etat font aussi partie des outils de démantèlement de l’Etat.
Depuis une vingtaine d’années ,la mise en musique de ces credos reagano-thatcheriens se traduit par une multitude de petits désastres : impossibilité de vivre dignement, impossibilité de se loger correctement , de manger à sa faim, de se vêtir décemment (même les vêtements usagés sont recyclés en marchandises à la mode), d’accéder à la formation etc…
Un tel retour à l’hiver de la sous-prolétarisation et du lumpen-prolétariat alors que l’augmentation du capital et des richesses s’avère hyperbolique est pour le moins inacceptable, c’est pourquoi la grève risque d’étendre sa contagion dans tous les secteurs de l’économie et ce, jusqu’à ce que la question de la justice sociale apparaisse enfin dans le débat public.
Signé la base