Accueil > Unibail, un promoteur trop puissant à Paris  ?

Unibail, un promoteur trop puissant à Paris  ?

par Ariane Girard

Publie le lundi 3 décembre 2018 par Ariane Girard - Open-Publishing

A la suite des révélations faites par le Canard enchaîné sur le contenu d’un rapport d’observation de la Chambre régionale des comptes concernant le chantier de rénovation du Forum des Halles, un parfum de scandale politico-financier semble flotter autour de cette vieille affaire, relancée à la veille des élections municipales. Au centre des questions, le rôle exact et les actions d’Unibail et de son patron, jusqu’en 2013, Guillaume Poitrinal.

Mercredi 24 octobre 2018. «  Le promoteur préféré de la Mairie de Paris s’est offert un festin de béton aux Halles  », titre le Canard enchaîné avant de révéler dans son article un rapport d’observation de la Chambre régionale des comptes qui confirme l’explosion des coûts de rénovation du Forum des Halles (passés de 250 millions d’euros en 2006 à 760 millions en 2009, puis à plus d’un milliard d’euros en 2018) et son acquisition par Unibail à un coût très bas. Unibail-Rodamco est-il «  le promoteur préféré de la Mairie de Paris  » comme le suppose le Canard enchaîné  ? La question mérite d’être posée.

L’affaire du Forum des Halles…

Ce rapport jette une lumière crue sur le rôle d’Unibail, groupe important de promotion immobilière commerciale, que Guillaume Poitrinal dirigea de 2005 à 2013 avec, c’est vrai, un succès certain : fusion avec Rodamco, taille quadruplée, entrée au CAC 40… Mais les magistrats mettent en avant les avantages octroyés par l’Hôtel de Ville à Unibail, propriétaire du site du Forum des Halles depuis janvier 2011. Ils décrivent ce qu’ils appellent des «  dysfonctionnements  » qui ont conduit au rachat du centre commercial du Forum des Halles par le promoteur pour une somme apparemment dérisoire. Unibail-Rodamco n’en était que locataire depuis 1976 dans le cadre d’une concession. Selon les magistrats financiers, Unibail n’a payé que 142 millions d’euros — répartis entre 2009 et 2015 — pour acquérir la «  propriété d’un domaine immobilier, rénové par la Ville, de près de 100 000 m² en plein centre de Paris  », soit moins de 1500 euros le mètre carré dans l’une des zones commerciales les plus prisées de la capitale (1). Avec quel deal en arrière-plan  ? Des promesses faites dès 1976  ? Mystère.

Le promoteur, aujourd’hui devenu Unibail-Rodamco-Westfield, conteste les chiffres. Un modèle de langue de bois technocratique : «  Les chiffres évoqués [par le Canard enchaîné] ne reflètent pas la réalité des investissements effectués par Unibail-Rodamco-Westfield. Toutes les opérations relatives à cet espace ont été réalisées de manière transparente et dans le respect des règles fixées par les instances municipales et nationales compétentes. Les services de l’État ont rendu des avis cohérents avec deux expertises indépendantes préalables sur les montants des opérations foncières.  » (2) Investissements  ? Certes le promoteur a mis de l’argent sur la table. Mais, étant devenu pleinement propriétaire du site, n’en est-il pas le principal bénéficiaire  ? Anne Hidalgo pourrait apporter des éléments de réponse sur ce sujet, elle qui a piloté le dossier de la rénovation du Forum des Halles, en tant que première adjointe chargée de l’urbanisme depuis 2003… À défaut, cette affaire de la rénovation du Forum des Halles, ce long chantier qui s’étala de 2003 à 2018, pourrait s’ajouter à une liste de dossiers litigieux déjà longue : Vélib’, Autolib’ et JC Decaux… Depuis quelques années, la Mairie de Paris ne brille guère par son sens des affaires, mais certains semblent bien en profiter plus que d’autres.

… et celle du parc des expositions de la porte de Versailles

En 2015 déjà, l’hebdomadaire satirique avançait qu’Unibail se serait vu accorder, en échange de la rénovation des Halles, un prolongement de cinquante ans de sa concession pour le parc des expositions de la porte de Versailles, jusqu’en 2065. Rappelons que les trois plus gros projets parisiens sont alors aux mains d’Unibail, directement ou par filiale interposée : le forum des Halles, la transformation de Paris Expo Porte de Versailles et la Tour Triangle qui doit être édifiée sur une partie de l’emprise foncière du parc des expositions. Étrangement, c’est la Mairie de Paris qui prenait la défense d’Unibail : «  Il n’est pas juste de laisser à penser que le contrat de concession serait déséquilibré en faveur d’Unibail  », car «  les investissements exigés par la Ville sur le site sont absolument considérables, et ne pourront être amortis que sur une longue durée. Le projet implique en effet plus de 700 millions d’euros d’investissements  » (3). Admettons.

Un cadeau fait à Unibail grâce au talent de Guillaume Poitrinal  ?

Pour le Canard enchaîné, tout se serait joué courant 2008, avant le vote du conseil municipal en novembre 2010 en faveur de la cession du Forum des Halles à Unibail pour 238 millions d’euros. L’association de riverains Accomplir va alors porter l’affaire en justice, dénonçant un «  gigantesque cadeau  » fait par la Ville au promoteur. Anne Hidalgo, à l’époque première adjointe à la Mairie auprès de Bertrand Delanoë, avait assuré qu’il s’agissait d’une «  bonne affaire pour les parisiens  ». On découvre d’ailleurs aujourd’hui, grâce aux magistrats financiers, que le promoteur n’aurait déboursé que 142 millions d’euros entre 2009 et 2015 pour acquérir la propriété du Forum des Halles…

Et qu’est devenu depuis l’ancien patron d’Unibail, Guillaume Poitrinal  ? Ce dernier n’a pas chômé. En 2013, il crée avec sa femme, Sophie Desmazières, une entreprise de promotion immobilière spécialisée en ossature bois du nom de Woodeum. «  Bon client des médias  », il parcourt les plateaux de télé pour vanter les mérites du bois et, en passant, du label de certification Bâtiment bas carbone (BBCA) qu’il a lui-même mis sur les rails avec un aréopage spectaculaire d’architectes, entrepreneurs et représentants de grands groupes… Philipe Zivkovic, ancien patron de BNP Paribas Real Estate, associé à 50-50 avec Guillaume Poitrinal au sein de Woodeum, en devient PDG en juillet 2016. Or, quel le premier projet de Woodeum labellisé BBCA  ? Sans surprise véritable, il s’agit de l’immeuble Arboretum, futur siège… de BNP Paribas Real Estate, actuellement en cours de construction à Nanterre dans le prolongement du parvis du quartier d’affaires de La Défense.

Guillaume Poitrinal crée en parallèle le fonds d’investissement ICAMAP «  destiné à favoriser la croissance des sociétés foncières de petite et moyenne taille en Europe  ». Il est aussi membre du Conseil de Simplification pour les Entreprises qu’il présida pendant deux ans à sa création en 2014, membre du Conseil Stratégique de la Ville de Paris, président du Conseil Stratégique de l’Attractivité et de l’emploi en Île-de-France et, depuis avril 2017, président de la Fondation du patrimoine… La liste n’est pas exhaustive. Guillaume Poitrinal a, semble-t-il, une vision très claire de ses intérêts, avec une stratégie faite de patience et de discrétion. Il sait se faire tout petit, tout en étant partout. Redoutable  ?

La campagne des élections municipales a commencé

S’il est vrai que les grandes opérations d’urbanisme imbriquant le public et le privé s’accompagnent toujours d’arrangements juridiques complexes, il y a quand même ici des parts d’ombre trop importantes, y compris sur les chiffres, pour ne pas avoir envie de faire toute la lumière sur cette affaire du Forum des Halles.

Les révélations du Canard enchaîné sonnent ainsi le lancement d’une campagne municipale à Paris qui met déjà en lice beaucoup de candidats plus ou moins déclarés. En conflit ouvert avec Anne Hidalgo, maire de Paris, déjà en campagne, une bonne partie d’entre eux est issue de l’équipe municipale en place depuis deux mandatures, à l’instar de Gaspard Gantzer (ancien porte-parole de Delanoe) ou Bruno Julliard (ex-adjoint à la Culture d’Anne Hidalgo) et de LREM comme Benjamin Griveaux (porte-parole du Gouvernement et, notons-le, ancien directeur de la communication et des affaires publiques d’Unibail-Rodamco de septembre 2014 à octobre 2016…), Mounir Mahjoubi (secrétaire d’État chargé du numérique), Hughes Renson (vice-président de l’Assemblée nationale) ou Julien Bargeton (sénateur de Paris qui fut aussi adjoint aux transports de Delanoë). À droite, Rachida Dati et Pierre-Yves Bournazel sont sur les rangs. Marcel Campion, le forain, se lance aussi. Sont parfois cités également, Ségolène Royal, Xavier Niel ou Cédric Vilani… Bref, une élection très disputée. Va-t-elle apporter des éléments sur l’affaire de la rénovation du Forum des Halles, vaste chantier qui dure depuis 2003 et comporte encore beaucoup de zones d’ombre, malgré les éléments chiffrés que vient de rapporter la Chambre régionale des comptes  ? Attendons de voir les coups pleuvoir — à moins que la pléthore de candidats ne concoure en fait à l’omerta…

(1) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/10/23/01016-20181023ARTFIG00332-forum-des-halles-les-juteux-avantages-octroyes-par-la-mairie-de-paris-a-un-promoteur.php
(2) https://www.capital.fr/economie-politique/forum-des-halles-les-avantages-faramineux-accordes-par-la-mairie-a-un-promoteur-1312518
(3) https://www.nouvelobs.com/politique/20150722.OBS2977/comment-unibail-a-mis-la-main-sur-les-chantiers-parisiens.html