Accueil > À partir du livre « Crépuscule » de Juan Branco : trois enseignements

À partir du livre « Crépuscule » de Juan Branco : trois enseignements

par Alina Reyes

Publie le samedi 6 avril 2019 par Alina Reyes - Open-Publishing
5 commentaires

J’ai lu ce livre à l’automne dernier, quand il a été mis en ligne gratuitement par son auteur. Je l’ai lu péniblement car il était extrêmement mal écrit. Ce qu’avaient remarqué la plupart des lecteurs, tout en vantant l’intérêt de ce qui y était dit. On trouve en ligne ce genre de commentaires : « Autant le dire : dans sa publication première – gratuite sur le net – le texte est assez lourd par son style, à la limite du pompeux ; agrémenté de surcroît de nombre de fautes, d’oublis de mots, etc. » ; et, d’un autre lecteur lui aussi déclarant ensuite tout l’intérêt des révélations faites dans le livre : « Mieux vaut acheter le livre car la version pdf distribuée gratuitement sur internet est bourrée de coquilles et à certains moments, peu, très peu lisible. » L’éditrice déclare en effet que le texte a été retravaillé pour la publication papier (que je n’ai pas lue).

Cela dit, Juan Branco est un combattant pugnace et courageux. Il expose tout ce qu’il a pu savoir de cette oligarchie au pouvoir, du fait qu’il a lui-même grandi dans cette caste, fait les mêmes grandes écoles, fréquenté les mêmes gens. Destiné à devenir l’un des leurs – disons plutôt à rester l’un des leurs – il a eu accès à nombre de petits secrets sur le fonctionnement de « l’élite », sur les rapports des uns avec les autres. Le succès de son livre (n°1 des ventes) tient sans doute beaucoup à cet aspect magazine people accusateur, montrant dans leur intimité et leurs combines grands et petits personnages qui ont fabriqué Macron président et la macronie. Il met en pleine lumière la misère de ce petit monde humainement lamentable qui, tel une bande de hyènes, s’affaire à dévorer le corps de la République assassinée.

La première leçon que je tire de ce livre et de son succès, c’est que les Français ont soif de reprendre la main, de secouer le pays de ses parasites, de rétablir République et démocratie ; et de manifester le réel, celui qu’ils sont, celui qu’ils vivent, face au délire d’élites dévorées par leur soif de pouvoir, d’argent et de notoriété, ignorantes de la vie réelle des humains – c’était aussi ce que dénonçait, d’une autre façon, le livre de Ruffin.

La deuxième leçon, je la tire du constat de l’incapacité de Juan Branco à écrire correctement, sans commettre de nombreuses fautes de syntaxe et d’orthographe témoignant d’une pensée pour le moins confuse. Ainsi donc on peut faire de brillantes et nombreuses études, entre autres Sciences Po et l’ENS, passer par des universités prestigieuses (Sorbonne, Yale), être titulaire de plusieurs Masters et d’un Doctorat, tout en étant incapable d’écrire proprement ni d’exprimer une pensée (Crépuscule ne contient d’ailleurs pas de pensée, seulement des faits). Branco n’est pas le seul dans ce cas : le livre de Macron, très petitement écrit, témoigne d’une absence de pensée sidérante, de même que, d’après tous leurs lecteurs, le livre de ses conseillers paru récemment. Il faut le dire et le répéter : le mot élites pour parler de ces gens est un mensonge. Ils ne sont des élites que parce que leur naissance les a placés dans ce champ social, où tout est organisé pour qu’ils y restent. Mais la vérité est que la bêtise ou l’incapacité y règnent au moins tout autant qu’ailleurs.

La troisième leçon, je la tire des difficultés que Juan Branco a eues à publier son livre, et du fait qu’il l’ait finalement publié, avec beaucoup de succès. Aucun éditeur n’en a d’abord voulu – et ce n’était pas parce qu’il était mal écrit, car les éditeurs sont rompus à réécrire les textes de nombre d’auteurs qui ne savent pas écrire. C’était, comme l’a dit le service Livres de Libération quand il lui a été demandé pourquoi le livre n’avait pas été chroniqué, parce qu’il était trop « politique ». Il se trouve que le même argument m’a été opposé il y a quelques années lorsque j’ai proposé mon livre La grande illusion. Figures de la fascisation en cours, y compris chez de petits éditeurs connus pour leur engagement politique. Voici le genre de réponse qui m’ont été faites : « remarquablement écrit ; je suis d’accord à 200 % ; mais le livre est trop politique, je ne peux pas publier ». Que se passe-t-il quand le livre est trop politique, et pas dans le sens qu’il faudrait pour plaire à la presse ? Le livre, s’il est publié, n’est pas chroniqué. Or un livre dont on ne parle pas n’est pas connu, donc il ne se vend pas – d’où le refus des éditeurs, même quand ce ne sont pas des éditeurs liés aux oligarques dont parle Branco. C’est exactement ce qui s’est passé pour Crépuscule. Aucun journal n’en a parlé. Pourtant, il est aussitôt devenu un best-seller. Pourquoi ? Pas par miracle mais parce que Juan Branco a du réseau, il fait partie de ce monde ; même s’il est boycotté par la presse il est invité sur pas mal de plateaux télé, radio, internet, etc. Un auteur tel que moi, qui viens du peuple et n’ai jamais cherché à faire partie de ce milieu, n’a pas de réseau. Voici donc la troisième leçon : pour publier un livre politique non conforme, mieux vaut être un fils de bourgeois, élevé dans la caste, qu’une fille du peuple. Même quand on est un fils de bourgeois qui choisit courageusement de dénoncer les méfaits de sa classe, on reste encore, toujours, favorisé. Oui, c’est bien tout ce système qu’il faut faire tomber.

Portfolio

Messages

    • Vous avez dû lire la version imprimée, réécrite avec le concours de l’éditrice. J’ai dit que j’ai lu la première version en ligne de Crépuscule, qui était épouvantablement rédigée. C’est le seul texte que j’ai lu de Juan Branco. J’ai été sidérée de constater qu’un gars aussi diplômé ne maîtrise pas sa langue. Comment peut-on accepter ça aux examens ? Je ne dis pas que c’est le cas de tous, mais on voit bien que beaucoup de ces gens qui sortent des grandes écoles sont en fait très peu capables de pensée. C’est le problème des élites qui se retrouvent à faire de la politique.

    • Il ne faut pas juger le livre de Branco comme un ouvrage littéraire ; c’est du journalisme d’investigation écrit dans l’urgence pour essayer d’éteindre le cancer Macron qui bouffe le corps social.

      Il est vrai que la version pdf gagnerait à être élaguée et davantage "éclaircie".

  • Bonjour, je suis en train de lire le livre de Juan Branco. Et si j’adhère à deux de vos trois leçons (!), je ne puis qu’être en désaccord avec la seconde. Ce livre n’a aucune prétention littéraire ou romanesque. Il l’a dit d’ailleurs lui-même.

    Il a un caractère informatif et peu importe son côté pompeux ou ampoulé. Il dit et dénonce, des faits plus ou moins avérés, qui montrent bien la Macronie se mettant en place, appuyée par l’entre-soi oligarchique. L’essentiel n’est pas, pour lui, d’obtenir un prix littéraire, mais -peut être- un prix de journalisme d’investigation destiné à le faire connaître d’un plus grand nombre encore.

    Merci en tout cas pour votre critique constructive.

  • Je suis bien d’accord, le livre n’a pas à être "littéraire". Mais il devrait être correctement écrit, ce qui n’est pas le cas pour la version en ligne (ni même, très souvent, pour les tweets de Juan Branco). Et je déplore que quelqu’un puisse être aussi diplômé sans mieux maîtriser le français. Le livre de Ruffin est très bien écrit, ceux de Denis Robert sont très bien écrits, et pourtant ils n’ont pas fait autant d’études. Il y a un problème dans la formation de nos "élites". Ce sont ces gens qui entourent Macron et le conseillent, ils ont fait les mêmes études que Branco, comme il le dit. Résultat ?

    Quant à l’investigation, je ne pense pas qu’elle soit très poussée. Juan Branco raconte ce qu’il sait de par son milieu, et il a raison de le faire. Mais journalistiquement, cela ne représente pas un travail de grande ampleur comme le fait de soulever l’affaire Clearstream, par exemple. Son mérite est d’avoir mis en évidence pour le grand public le système oligarchique, mais ce n’est pas une révélation, on savait bien que Macron avait été fait par ces oligarques. Donc c’est surtout le caractère pamphlétaire, politique, qui fait son travail, et qui le fait utilement. Et comme je l’ai dit, c’est grâce à sa position privilégiée dans la société, qui lui permet d’être très présent dans divers médias, qu’il peut diffuser largement son livre. En somme, ce sont toujours les fils de bourgeois qui s’en sortent sans avoir à faire preuve de beaucoup de sérieux dans le travail. Attention au syndrome Cohn Bendit & cie. Ou, plus près de notre temps, des Geoffroy de Lagasnerie qui, tout en étant "de gauche", finissent par se permettre de dénigrer avec morgue le travail précieux d’un David Dufresne.