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PREMIER RAPPORT DE LA MISSION SUR LE CHIK

Publie le vendredi 3 mars 2006 par Open-Publishing

RAPPORT DE LA MISSION DE RECHERCHE SUR LE CHIKUNGUNYA

"Une situation épidémiologique exceptionnellement tendue"
Publié dans l’édition du vendredi 3 mars 2006
TEMOIGNAGE .

Du 14 au 17 février 2006, une mission de recherche sur le chikungunya a séjourné à La Réunion. Elle a remis son rapport au ministre de la Santé, le 20 février. Ce dernier a diffusé les conclusions de la mission via un communiqué dont nous reproduisons un extrait relatif aux “Constatations d’ordre sanitaire et social”. Les intertitres sont de “Témoignages”.

SANTÉ PUBLIQUE

LES membres de la mission ont constaté une situation épidémiologique exceptionnellement tendue, avec un niveau d’incidence au cours de la mission qui semblait jamais encore atteint dans l’île et la communication de données concernant un possible excès de mortalité particulièrement inattendu et préoccupant, avec près de 10% d’excès de mortalité sur l’ensemble de l’année 2005 (qui était encore peu épidémique) par rapport à la moyenne des six années précédentes : 3.900 décès en moyenne pour la période 1999-2004 (chiffres INSEE) contre 4.272 décès en 2005 (chiffres DRASS).

Surmortalité

Plusieurs témoignages convergents pour laisser penser que cet excès de mortalité, s’il était confirmé, pourrait dépasser les 10% pour les premiers mois de l’année 2006 : des doublements de taux de mortalité entre janvier 2006 et janvier 2005 ont été rapportés par le maire de Saint-Benoît dans les médias locaux, mais aussi par le SMUR de Saint-Paul, mais ces chiffres non vérifiés portaient sur de petits effectifs. Bien que les données présentées fussent préliminaires et fragmentaires, il semble qu’un excès de mortalité - possiblement attribuable à l’épidémie de chikungunya - soit principalement constitué de décès chez des personnes âgées et fragiles. Pour mémoire, l’excès de mortalité moyen lié à la grippe saisonnière en France est de l’ordre de 1%.
Après cette analyse, les membres de la mission se sont permis au cours de leur mission d’en faire part sans délais à l’ARH, au Conseil régional, à la DRASS et la CIRE, au Préfet, et au Conseil Général. Nos recommandations ont été les suivantes : 1) établir une communication transparente, permanente et continue aux autorités de santé, mais aussi aux professionnels et au grand public, y compris en l’absence de données totalement consolidées, et 2) mettre en place sans délai une stratégie de prévention et de soutien aux personnes à risque, en particulier les personnes âgées, les femmes enceintes et les nouveaux-nés (notamment la distribution gratuite de répulsifs, de moustiquaires, de ventilateurs, les démoustications ciblées préventives, les messages d’éducation sanitaire).

Quel taux de prévalence ?

Les membres de la mission ont constaté que l’on manquait de données de séro-prévalence particulièrement indispensables en l’absence de données fiables sur l’incidence de la maladie (cette dernière reposant sur des extrapolations réalisées à partir d’un groupe restreint de médecins généralistes au nombre fluctuant et à la répartition géographique limitée), et que l’on manquait totalement de données sur le pourcentage de formes pauci ou asymptomatiques. Ainsi, on ne sait pas aujourd’hui quelle est la proportion des habitants de l’île de La Réunion déjà été infectée par le virus.
On ne sait pas avec certitude si le virus a déjà circulé sur l’île auparavant et quelle proportion et quelle classe d’âge de la population en aurait encore la trace sérologique.
Ces informations, qui permettraient d’évaluer la probabilité d’une reprise épidémique lors de la saison suivante, seraient cependant fondamentales à obtenir sans délai, tant pour guider les politiques de prévention et de lutte anti-vectorielle, que pour guider les politiques publiques (santé, tourisme, économie).


Entre 100 et 600 millions d’euros perdus

Si l’on entrait ainsi dans un scénario “de type pandémie grippale”, avec un important taux d’attaque, et un excès de mortalité de toutes causes (supérieur ou égal à 10%), ajouté aux conséquences sanitaires, l’impact économique direct et indirect de l’épidémie de chikungunya pourrait être majeur sur l’île. L’Oxford Economic Forecasting Group ayant estimé entre 1% et 6% la perte du PIB causée par une prochaine pandémie grippale dans le monde, par analogie et en rapportant - rapidement et grossièrement - ces chiffres à l’île de La Réunion dont le PIB était de 9.317 millions d’euro en 2004, l’épidémie actuelle conduirait à des pertes de l’ordre 100 à 600 millions d’euro. Pour mémoire le tourisme qui pourrait être particulièrement affecté occupe le tiers des parts de marché du secteur dans l’Océan Indien et le deuxième rang après l’île Maurice, et représente 360 millions d’euro.

(Source : Rapport de la mission de recherche sur le chikungunya - La Réunion, 14-17 février 2006)


Plus de 70% d’une population atteinte

Les taux d’attaque rapportés souvent très élevés, dans la maladie de chikungunya, proviennent d’études anciennes et fragmentaires, et de pays où les infrastructures étaient peu développés. Cependant une discussion bien documentée dans l’ouvrage de Fields (3° édition par RE Johnston & CJ Peters, chapitre "alphaviruses") rapporte un taux de séroconversion de 31% en 1 an à Bangkok en 1962 ; de 15% (<30 ans) et 28% (>30 ans) à Vellore, en Inde, en 1964 ; une épidémie à Ibadan, au Nigeria, en 1969, ou la séro-prévalence dépassait 70% dans toutes les classes d’âge. Dans cette dernière, si le taux de séropositivité antérieur était inconnu, le taux d’attaque a probablement été très élevé, puisque la séropositivité avoisinait les 80% chez les enfants entre 2 et 3 ans. Calisher dans son chapitre de l’Encyclopedia of Virology écrivait également que localement la quasi-totalité d’une population pouvait être touchée et séroconvertir lors d’une épidémie, mais sans apporter de références. Enfin, Laras K, et coll. (Trans Roy Soc Trop Med Hyg, 2001) mentionnent à partir de deux rapports - Haksohusodo S, 1990 et Slemons RD, 1984 que nous n’avons pas pu nous procurer - qu’en 1983, dans le centre de l’île de Java en Indonésie, était survenue une épidémie de Chikungunya dont le taux d’attaque était de 70 à 90% (chiffres rapportés dans le rapport de la mission de l’IGAS de décembre 2005). (Source : Rapport de la mission de recherche sur le chikungunya - La Réunion, 14-17 février 2006)